La lanterne magique au service de l’internationale catholique

Floris Prims, prêtre et historien, y eut recours pour promouvoir l’Œuvre des enfants hongrois, visant notamment à offrir à ceux-ci des familles d’accueil temporaire quand la misère régnait dans leur pays, dominé un temps par les communistes. Ce média se prêtait au mieux à une sensibilisation en faveur de la solidarité jouant sur l’émotion (1923-1927)

   Les lendemains de la Grande Guerre ont vu les horizons de l’opinion publique s’élargir vers l’Europe centrale et orientale, théâtre d’événements tragiques. Le sort des plus petits, en particulier, a retenu l’attention: ce n’est pas sans raison qu’Ellen Key avait annoncé, dès 1900, l’avènement du « siècle de l’enfant » . L’aide organisée en Belgique s’est ainsi adressée aux tout jeunes de Russie, d’Autriche, mais surtout de Hongrie. Selon les estimations, entre 1923 et 1927, ils furent 21.542 à venir de ce pays par trains spéciaux pour être placés dans des familles d’accueil. Margo Buelens-Terryn et Eleonora Paklons (Université d’Anvers) ont récemment retracé cette action aujourd’hui centenaire, en portant l’accent sur les moyens modernes mis à contribution pour la promouvoir [1].

Un exemple de photo visant à promouvoir l’aide internationale au lendemain de la Grande Guerre. Ces enfants russes frappés par la famine de 1921 ont reçu des chaussures américaines. (Source: Hoover Institution Archives, Stanford University, United States, dans Jay Winter & Blaine Baggett, « 14-18. Le grand bouleversement » (1996), trad. de l’anglais, (Paris), Presses de la Cité, 1997, p. 358)

   Dans un premier temps, l’initiative repose principalement sur le prêtre hongrois Miklós Knébel (1892-1949). Si celui-ci est établi aux Pays-Bas, il trouve en fait davantage de foyers catholiques disponibles chez nous que chez nos voisins du Nord où le protestantisme est alors dominant. Le contact ne tarde pas à être établi avec le cardinal Mercier, primat de l’Eglise en Belgique, qui accorde sa protection officielle à l’Œuvre des enfants hongrois.

   Ses bénéficiaires demeurent généralement six mois sous nos cieux, le temps de se refaire une santé physique et morale après les privations endurées pendant le conflit mondial, aussitôt suivi en terres magyares d’une période de troubles violents, marquée par la brève présence au pouvoir des communistes de Béla Kun. Il peut arriver que les séjours organisés se prolongent, voire deviennent définitifs, notamment – mais pas exclusivement – dans le cas des orphelins.

   La patrie de saint Etienne nouvellement indépendante, amputée toutefois de quelque deux tiers de son territoire par le traité de Trianon (1920), peut trouver son intérêt dans des mobilisations humanitaires de nature à lui procurer un peu de visibilité sur la scène européenne. Pour le parti et les associations catholiques belges, l’appel à la bienfaisance ne va cependant pas d’emblée de soi, s’agissant d’un pays qui certes partage majoritairement la même foi mais qui, comme composante du défunt Empire austro-hongrois, a été un allié de l’Allemagne. Les préventions seront cependant surmontées. On ne fait pas la guerre aux gosses et la démarche est à l’unisson du tournant international amorcé par le christianisme social au moment  où les « concurrences » socialiste et bolchevique se sont elles aussi dotées de structures transcendant les frontières.

   Reste à faire connaître l’Œuvre. A côté des canaux classiques – presse écrite, sermons du dimanche… – s’est rapidement imposée, comme soutien au message, la lanterne magique, ainsi qu’on appelle l’appareil alors en vogue au moyen duquel sont projetées des images (et que le cinématographe détrônera bientôt). Combiné avec la parole d’un conférencier et parfois même avec les chants d’une chorale, ce média se prête au mieux, selon les contemporains, à une sensibilisation en faveur de la solidarité jouant sur l’émotion. « Les images, rappellent les chercheuses, avaient alors la valeur d’un « témoignage »  » .

Le chanoine Floris Prims, historien d’Anvers et grand propagandiste de l’action pour les enfants hongrois. (Source: 2ememain)

   C’est ici qu’intervient Floris Prims (1882-1954), chanoine et prêtre engagé, également archiviste, connu surtout pour les volumes monumentaux de sa Geschiedenis van Antwerpen (Histoire d’Anvers). En août 1924, celui qui sera un grand propagandiste de l’action pour les enfants hongrois effectue, avec le train affrété pour eux, un aller-retour à Budapest où il est témoin de la misère des populations. Il en rend compte dans un récit de voyage publié peu après, Met een kindertrein naar Hongarije (En Hongrie avec un train d’enfants), ainsi que dans différents périodiques illustrés et finalement dans une série de conférences également illustrées, la lanterne magique aidant. Sur la base des annonces et comptes-rendus des journaux, ces dernières auraient été au nombre de 35 – c’est un minimum – entre 1924 et 1927. La plus grande partie a été donnée fin 1924, ce qui correspond à la phase de lancement de l’opération. Toutes les séances ont été mises sur pied par des cercles catholiques, la plupart dans la région d’Anvers, celle où seront enregistrés les plus nombreux accueils. On ne manquera pas de souligner que la Vierge Marie, patronne de la Hongrie, l’est aussi de la Métropole. L’objectif des présentations sera toujours de trouver des familles hôtes, mais aussi de collecter des fonds ou de la nourriture et des vêtements à envoyer sur place.

L’arrivée d’un train d’enfants hongrois en Belgique. (Source: Collectie Stad Antwerpen, dans n. 1, p. 220, afb. 9)

   Au cours de ses tournées, Floris Prims fait usage des moyens visuels chaque fois que l’infrastructure de la salle et les moyens matériels le permettent. Dans certains cas, il conclut la projection d’images par celle d’un petit film. Un article de la Gazet van Antwerpen, le 3 novembre 1924, donne une idée de l’impression produite sur les participants: « Sa conférence solidement documentée fut poignante à tous égards: le triple besoin  de ce malheureux peuple en logement, en vêtements et en nourriture fut montré justement, mais de manière aussi fidèle que touchante en mot et en image » [2]. Les photographies ramenées de scènes de rue mettent en évidence le dénuement des Budapestois, sans pour autant que ceux-ci dérogent au bon ordre et à la discipline: la notion du « pauvre méritant » est ici sous-jacente.

   Le contexte du nécessaire combat contre les « rouges » affleure tout autant. La révolution de mars 1919 s’est déroulée « selon le modèle de la Commune de Paris » , explique Prims, ajoutant que « l’appauvrissement général de l’État […] a été suscité par ce communisme insensé » . Il faut sauver les enfants dans leur corps, mais aussi dans leur âme… En même temps, il s’agit de jeter un pont pacifiste entre deux nations: « Merveilleuse catholicité qui rassemble ainsi les peuples. Elle bâtit davantage de paix que les diplomates » .

   Les activités liées à l’Œuvre des enfants hongrois prennent fin après 1927, au moment où la Hongrie, stabilisée et admise à la Société des Nations, abandonne la posture victimaire qui a été la sienne jusqu’alors. On reparlera de solidarité vingt ans plus tard, en 1946-1948, dans un tout autre contexte, celui de l’accaparement durable du pouvoir par les staliniens profitant de la présence de l’Armée rouge. Et quelques années plus tard, en 1956, la répression de l’insurrection de Budapest par les troupes soviétiques entraînera l’exil de quelque 200.000 Hongrois, dont plus de 6000 trouveront asile chez nous.

P.V.

[1] « Met de kindertrein naar België. Sociaal-geëngageerde lantaarnlezingen van Floris Prims over de Belgisch-Hongaarse kinderactie (1924-1927) » , dans De Moderne Tijd, vol. 6, issue 2/3, Amsterdam, oct. 2022, pp. 201-231. https://demodernetijd.nl/tijdschrift/, redactie@demodernetijd.nl. [retour]

[2] Cette citation et les suivantes selon ma traduction. [retour]

2 réflexions sur « La lanterne magique au service de l’internationale catholique »

  1. Mes grands parents habitaient Florennes à l’époque de l’arrivée en 1923 des petits Hongrois; mon grand père Eugène qui avait 8 enfants était receveur des contributions. Il a accueilli un petit Kalman de 12 ans tellement faible qu’il fallait le soutenir et le réveiller la nuit parce qu’il faisait pipi au lit. Il avait pris l’habitude de baiser la main de mon grand père avant chaque repas et celui-ci mettait les mains en poche pour l’en empêcher. Ce petit malade récompensait sa famille d’accueil par sa douceur et sa gaité. ils étaient 10 pour tout Florennes et se réunissaient à l’occasion. le village organisa des matchs de foot Belgique Hongrie avec ces enfants qui avaient un esprit nationaliste. C’est étrange pour moi de lire votre article qui relate un fait que mon papa a raconté dans des cahiers. Ensuite j’ai repris cette anecdote touchante dans un de mes livres sur ‘L’origine de notre famille’, tellement cette histoire m’avait touchée. Notre humanité charrie beaucoup de misère.

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