Enquête sur le tombeau d’une comtesse de Luxembourg

Des fouilles menées à Valenciennes en 1973, complétées par une tête de statue en 2014 et d’autres pièces au puzzle ont conduit à identifier la probable dernière demeure de Béatrice d’Avesnes, mère de l’empereur du Saint-Empire Henri VII de Luxembourg, établie dans l’ancien couvent des dominicaines qu’elle avait fondé (XIVe siècle)

   Deux caveaux peints, deux gisants fragmentaires de pierre blanche et les éléments d’un soubassement comportant des personnages sous arcatures: tels furent les fruits des fouilles de sauvetage menées à Valenciennes en 1973, à l’occasion de travaux entrepris sur le site de l’ancien couvent des dominicaines dites « de Beaumont » . Mais qui donc avait reposé dans ces tombeaux ? Une enquête récente menée par Ludovic Nys, professeur d’histoire de l’art à l’Université polytechnique Hauts-de-France, aboutit à des conclusions bien différentes de celles qui s’étaient imposées initialement [1].

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Des échevins et leurs sceaux dans le temps

Chacun d’eux avait le sien. Garants de la validité des actes, ils témoignent de l’imagerie et de la symbolique d’une époque ainsi que de l’art des graveurs qui atteint son apogée au XIVe siècle. Il y a plus de cent ans, Albert Huart avait retrouvé et décrit ceux de la Ville de Namur. Son travail est aujourd’hui complété par René Laurent (XIIIe-XVIIe siècles)

   Ancêtres de nos tampons modernes – avant nos signatures numériques –, les sceaux ont servi longtemps de garants de la validité des actes sur lesquels ils étaient apposés. Leur usage à tous les niveaux de pouvoir, ainsi que ce qu’ils révèlent des représentations de leurs contemporains, confèrent tout son intérêt au riche ensemble des photographies de moulages de la collection des Archives générales du Royaume (AGR), aujourd’hui accessible en ligne [1]. Intérêt aussi, dans le cas plus particulier de Namur, du travail accompli par un érudit dès le début du siècle dernier et poursuivi ces dernières années par un autre: il nous ouvre l’instructive série des sceaux des échevins de la Ville au Moyen Age et aux premiers Temps modernes [2].

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Dans la tête des participants à la plus vieille loterie

Organisée à Bruges en 1441 pour remédier à l’endettement de la Ville, elle a été rééditée et a fait école. Les Pays-Bas de la fin du XVIIe siècle en comptaient plusieurs centaines. Sur les billets, les participants adressaient leurs supplications à Dieu, à la Vierge, aux saints… ou écrivaient des plaisanteries moins édifiantes (XVe-XVIIe siècles)

   C’est à Bruges, en 1441, que fut organisée la première loterie de l’histoire des anciens Pays-Bas, lesquels englobaient une grande partie de la Belgique actuelle. L’événement a été peu étudié et pour cause: pour toute source le concernant, on ne dispose que d’une ligne dans les comptes de la cité. Mais ce ne fut pas one-shot, comme il se dit en franglais. Et pour un des jeux de hasard ultérieurs, celui de 1446, c’est Byzance! Les Archives de la Ville contiennent à son sujet pas moins de trois registres, dont un précieux document qui nous entrouvre la porte sur ce que les joueurs avaient en tête. Marly Terwisscha van Scheltinga (Universiteit Antwerpen, Fonds Wetenschappelijk Onderzoek) en a tiré parti [1].

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Une porte du ciel pour les statues bien élevées

L’église Notre-Dame à Bruges conserve l’exemplaire ancien et rare d’un dispositif qui permettait de visualiser les scènes de l’Ascension ou de l’Annonciation, entre autres. L’ouverture était pratiquée généralement à la croisée du transept. Vers elle ou à partir d’elle, on voyait les figures religieuses monter ou descendre selon le récit biblique

   Connue surtout pour la hauteur où s’élancent sa tour et sa flèche, l’église Notre-Dame à Bruges ne fait pas partie des édifices les plus visités par les touristes. Elle constitue pourtant un cas, unique dans nos régions et rare en Europe, en ce qu’elle recèle une entrée symbolique vers le ciel, pratiquée dans son plafond, ainsi qu’un mécanisme qui permettait d’y élever certaines statues voire, peut-être, quelques exemplaires de ces dernières. On doit à l’historien de l’art Jean Luc Meulemeester de précieux éclairages à ce propos [1].

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Pas si mâle, le Moyen Age…

Les sources brabançonnes confirment que dans ce monde inégalitaire, les femmes ne sont nullement confinées au rôle de mères au foyer. Certaines ont plus que réussi dans les métiers de marchandes, entrepreneuses, bailleuses de fonds, artistes, artisanes… D’aucunes se sont aussi illustrées dans le milieu des hors-la-loi (1350-1550)

   Cela fait longtemps déjà qu’elle a pris du plomb dans l’aile, l’image toujours répandue du Moyen Age comme une longue nuit violente dominée par les hommes – rois, chevaliers, clercs. Régine Pernoud, dans La femme au temps des cathédrales (1980), voyait dans cette représentation une projection sur les siècles antérieurs de la condition féminine dégradée par le retour en force du droit romain aux temps modernes. A l’opposé cependant, Georges Duby défendit l’idée d’un Mâle Moyen Age (1988), avec pour principal argument que les sources ont presque toujours des hommes pour auteurs.

   Le professeur au Collège de France n’en invitait pas moins à poursuivre le travail qui, dans son cas, se limitait au XIIe siècle. Car à mesure qu’on avance dans le temps s’accroît la masse des documents où s’exprime directement le sexe qu’on ne peut plus appeler faible. Le milieu citadin, en particulier, s’avère des plus riches à cet égard, les activités y impliquant le recours à l’écrit davantage qu’en milieu rural. C’est sur ce Moyen Age tardif – en gros, la période 1350-1550 –, et essentiellement dans le cadre du duché de Brabant ainsi que de la seigneurie enclavée de Malines, qu’a porté l’enquête dirigée par Jelle Haemers, Andrea Bardyn et Chanelle Delameillieure, tous trois liés à la Katholieke Universiteit Leuven (KU Leuven) [1]. Et leurs conclusions corroborent très largement la thèse de Régine Pernoud: les textes les ont mis en présence d’une société « modelée tout autant par les hommes que par les femmes » (p. 215).

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Ne croyez pas les dénigreurs d’Albéron II!

Marqué notamment par la reprise du château de Bouillon, le règne politique et religieux de cet évêque de Liège a été amplement discrédité par son successeur. Venu de l’Eglise de Metz et soutenu par le Pape, il offrait pourtant l’avantage de ne pas être lié aux clans qui s’affrontaient pour imposer leur candidat (1135-1145)

   Quand, en 1145, Albéron II meurt en Italie, on ne ramène pas son corps à Liège bien qu’il en soit l’évêque. Ce retour sera pourtant accordé en 1167 à son successeur Henri II de Leez, passé lui aussi de vie à trépas au-delà des Alpes. Sa dépouille sera ensevelie dans la cathédrale Saint-Lambert. Même un prédécesseur déshonoré, Alexandre Ier, déposé en 1135, a eu droit à cette dignité. L’exception peut certes résulter de maintes raisons. Elle n’en est pas moins symbolique d’une mauvaise réputation dont l’historiographie a gardé les traces.

   D’où vient-elle ? Selon Julien Maquet qui a proposé, au dernier congrès francophone d’histoire et d’archéologie tenu à Tournai, une réévaluation du treizième successeur de Notger, la piètre estime en laquelle ont été tenues ses dix années de pouvoir politique et religieux résulte d’un travail de sape mené par le précité Henri de Leez et son entourage [1]. Pour en comprendre les ressorts, il faut parfois lire les sources entre les lignes…

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Scènes de la vie conjugale au haut Moyen Age

L’idéal chrétien du mariage monogame, indissoluble et fécond est loin de se concrétiser partout et toujours, mais il est bien affirmé et structurant. Le couple légitime acquiert une visibilité et une reconnaissance comme entité à part entière. Le bonheur partagé et le rôle agissant de la femme ne sont pas une invention des temps modernes (VIe-XIIe siècles)

   En 1168 à Valenciennes, Baudouin IV, comte de Hainaut, préside avec la comtesse Alix l’adoubement de son fils et les réjouissances auxquelles il donne lieu. Trois ans plus tard, Baudouin V vient de succéder à son père et c’est aussi avec sa femme, Marguerite, qu’il se fait reconnaître dans la future « Athènes du Nord » en y célébrant la fête de Noël en compagnie de 500 chevaliers. Le chroniqueur Gislebert de Mons, qui rapporte ces faits, relate également la transmission du pouvoir entre époux à laquelle donne lieu, en 1190, le départ du comte de Flandre Philippe d’Alsace pour la croisade: « En présence du comte de Hainaut, de la comtesse Marguerite – sa sœur, dont il a fait son héritière – et de leur fils, il confia la garde et la protection de sa terre à son épouse Mathilde » .

   Ces scènes, parmi bien d’autres, sont révélatrices d’un temps qui voit les couples agir conjointement et publiquement, notamment dans l’exercice de l’autorité princière ou royale. Selon Emmanuelle Santinelli-Foltz (Université polytechnique des Hauts-de-France), auteur d’une somme sur les différentes formes de la vie conjugale et leur évolution au long d’un haut Moyen Age élargi [1], cette association se fait plus étroite et s’affiche davantage à partir de l’époque carolingienne en même temps que se développent de nouvelles pratiques. Il faut certes faire le départ entre ce qui tient à une documentation plus abondante et diversifiée et ce qui traduit de réels changements. L’affichage en commun de la souveraineté n’en est pas moins avéré. Tout indique, selon la médiéviste, « que le couple acquiert à partir du IXe, et surtout du Xe siècle, une identité nettement plus affirmée, en tant que communauté d’action, qui témoigne de la place qui lui est alors pleinement reconnue, sans que cela ne s’accompagne cependant forcément d’une communauté de vie » (p. 218).

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La sécurité des monastères a un prix

Chargés de les défendre contre les pilleurs et les guerroyeurs, les avoués doivent aussi répondre à l’appel du prince pour participer à la défense du pays. Les moines et leurs dépendants sont tenus de contribuer à l’effort de guerre, particulièrement important dans le comté de Flandre (XIe-XIIe siècles)

   Dès les premiers siècles médiévaux, les abbayes fleurissent un peu partout en Europe. Et tout aussi tôt, il faut pourvoir à leur sauvegarde, ainsi qu’à celle des terres en leur possession, contre les pilleurs et les guerroyeurs. La mission d’assurer protection et justice aux religieux revient à ceux qu’on appelle les avoués. Mais leur fonction revêt aussi un aspect moins connu, plus directement lié à l’organisation militaire du pays. Jean-François Nieus est venu l’éclairer dans le cadre du comté de Flandre, « l’une des terres d’élection de l’avouerie monastique » [1].

   Au IXe siècle déjà, pour faire face aux raids normands, les grands monastères ainsi que les évêchés sont soumis à de lourdes obligations. En témoignent les énigmatiques caballarii et herescarii (guerriers ou paysans ?) du polyptyque (registre) carolingien de l’ancienne abbaye bénédictine de Saint-Bertin, située du côté aujourd’hui français, à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Les sources ne permettent toutefois pas de déterminer l’implication de l’avoué dans cette défense commune.

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Le Hainaut comté, Mons capitale: un fait des princes

L’autorité des rois puis empereurs germaniques apparaît bien ténue à l’ouest de la Meuse. La maison des Regniers, en rébellion ouverte, a longtemps porté le titre de « comes » et exercé le pouvoir comtal sans être reconnue. Mais elle s’est heurtée aux Ardenne-Verdun, fidèles du suzerain (Xè-XIè siècles)

   Depuis l’œuvre pionnière de Léon Vanderkindere [1], les origines de nos principautés médiévales n’ont cessé d’offrir un terrain de choix à la recherche historique. Mais la complexité y est de règle et il faut, bien souvent, se contenter de maigres sources. Tel mode opératoire valable ici ne l’est pas nécessairement ailleurs.

   Si, dans le diocèse de Liège, les détenteurs du pouvoir épiscopal – futurs princes – sont nommés par les monarques germaniques qui ont succédé aux Carolingiens, on est loin de retrouver partout pareille dépendance, comme l’illustre le cas du Hainaut tel qu’exposé par Michel de Waha, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles [2]. Le pays de sainte Waudru apparaît aux antipodes politiques de celui de saint Lambert…

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Pas de frontière linguistique dans le comté de Flandre

A Bruges, un Picard écrit un livre de conversation français/néerlandais diffusé parmi les lettrés et les commerçants de la ville, tandis qu’un Flamand bilingue rédige en français la chronique des troubles des dernières années. Deux indices parmi d’autres d’une pratique de la langue d’oïl bien au-delà des régions de Lille et Douai (2è moitié du XIVè siècle)

   Le comté de Flandre était-il bilingue, voire trilingue ? Si la réponse affirmative à cette question ne fait guère de doute, une conception ancienne veut que le domaine du français à l’ombre du Lion ait été étroitement limité aux châtellenies méridionales, constitutives de la Flandre wallonne ou Flandria Gallica. Bien que battue en brèche par les études contemporaines, cette construction demeure largement répandue. Ainsi peut-on lire, dans une encyclopédie en ligne bien connue, que « le comté de Flandre est traversé par la frontière linguistique entre dialecte thiois (Bruges, Gand, Ypres, Dunkerque) et latin vulgaire (Tournai, Lille, Douai) » [1].

   L’historiographie, on le sait, n’est pas toujours imperméable aux effluves de la politique. La dualité germanique-romane du comté – comme aussi du duché de Brabant et de la principauté de Liège – en faisait une anticipation de la Belgique. Doté d’une frontière séparant les deux cultures, il préfigurait la Région flamande unilingue. Mais le passé ne se laisse pas modeler par le présent. Dans la principauté médiévale, le français, plus précisément le picard, fut écrit et parlé partout.

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