La lanterne magique au service de l’internationale catholique

Floris Prims, prêtre et historien, y eut recours pour promouvoir l’Œuvre des enfants hongrois, visant notamment à offrir à ceux-ci des familles d’accueil temporaire quand la misère régnait dans leur pays, dominé un temps par les communistes. Ce média se prêtait au mieux à une sensibilisation en faveur de la solidarité jouant sur l’émotion (1923-1927)

   Les lendemains de la Grande Guerre ont vu les horizons de l’opinion publique s’élargir vers l’Europe centrale et orientale, théâtre d’événements tragiques. Le sort des plus petits, en particulier, a retenu l’attention: ce n’est pas sans raison qu’Ellen Key avait annoncé, dès 1900, l’avènement du « siècle de l’enfant » . L’aide organisée en Belgique s’est ainsi adressée aux tout jeunes de Russie, d’Autriche, mais surtout de Hongrie. Selon les estimations, entre 1923 et 1927, ils furent 21.542 à venir de ce pays par trains spéciaux pour être placés dans des familles d’accueil. Margo Buelens-Terryn et Eleonora Paklons (Université d’Anvers) ont récemment retracé cette action aujourd’hui centenaire, en portant l’accent sur les moyens modernes mis à contribution pour la promouvoir [1].

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Les panoramas belges, chefs-d’œuvre en péril

Objet d’un engouement éphémère au tournant des XIXe et XXe siècles, ces immenses toiles réalistes déployées en cercle sont aujourd’hui bien souvent en triste état, quand elles n’ont pas carrément disparu. Elles ont souffert des critiques qui n’y ont vu qu’un « mass medium » relevant du divertissement plutôt que de l’art (1880-)

   Ceux qui ont visité au moins une fois le site de la bataille de Waterloo n’ont pu manquer le grand Panorama de la bataille qui s’y trouve conservé dans une rotonde de 35 mètres de diamètre. Réalisée en 1912 par le peintre français Louis-Jules Dumoulin, la toile se déploie en cercle sur le mur intérieur de l’édifice, de sorte que le spectateur peut se croire au cœur même de l’ultime affrontement de Napoléon avec les puissances coalisées. Ce qui se donne ici à voir est aussi un des rares témoins d’une forme de représentation qui connut son heure de gloire au tournant des XIXe et XXe siècles, avant que le cinéma la rende obsolète.

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Espérer avec Jean Ladrière

Nourri d’Emmanuel Mounier et de Jacques Leclercq, le philosophe, professeur à l’UCLouvain a marqué une génération. Un récent colloque a été l’occasion de montrer comment, héritier de la conception moderne qui veut que la raison soit tributaire de l’histoire, il a proposé une interprétation eschatologique de cette historicité (1921-2007)

   La publication des actes d’un colloque consacré au concept de l’espérance dans le christianisme, l’islam et le judaïsme fournit l’occasion de porter un éclairage particulier sur Jean Ladrière (1921-2007) [1], cette figure éminente de notre histoire intellectuelle contemporaine. Une figure qui a marqué, dans son domaine spécifique, toute une génération et dont la notoriété s’est largement étendue au plan international.

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Pas de frontière linguistique dans le comté de Flandre

A Bruges, un Picard écrit un livre de conversation français/néerlandais diffusé parmi les lettrés et les commerçants de la ville, tandis qu’un Flamand bilingue rédige en français la chronique des troubles des dernières années. Deux indices parmi d’autres d’une pratique de la langue d’oïl bien au-delà des régions de Lille et Douai (2è moitié du XIVè siècle)

   Le comté de Flandre était-il bilingue, voire trilingue ? Si la réponse affirmative à cette question ne fait guère de doute, une conception ancienne veut que le domaine du français à l’ombre du Lion ait été étroitement limité aux châtellenies méridionales, constitutives de la Flandre wallonne ou Flandria Gallica. Bien que battue en brèche par les études contemporaines, cette construction demeure largement répandue. Ainsi peut-on lire, dans une encyclopédie en ligne bien connue, que « le comté de Flandre est traversé par la frontière linguistique entre dialecte thiois (Bruges, Gand, Ypres, Dunkerque) et latin vulgaire (Tournai, Lille, Douai) » [1].

   L’historiographie, on le sait, n’est pas toujours imperméable aux effluves de la politique. La dualité germanique-romane du comté – comme aussi du duché de Brabant et de la principauté de Liège – en faisait une anticipation de la Belgique. Doté d’une frontière séparant les deux cultures, il préfigurait la Région flamande unilingue. Mais le passé ne se laisse pas modeler par le présent. Dans la principauté médiévale, le français, plus précisément le picard, fut écrit et parlé partout.

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Mythes et réalités d’un best-seller: le « Congo » de David Van Reybrouck

Salué par un concert de louanges médiatiques et politiques, ce livre à succès n’a pas fini d’être contesté par les spécialistes. L’engagement qui sous-tend le récit ainsi que le mélange qu’il présente de fiction littéraire et de « non-fiction » historique sont particulièrement épinglés

   Quand, en automne 2012, parut Congo. Une histoire de David Van Reybrouck [1], deux ans après sa version originale en néerlandais (Congo. Een geschiedenis), quelque 250.000 exemplaires de l’ouvrage avaient déjà été vendus. Avant même cette sortie dans la langue de Voltaire, l’éditeur avait dû lancer une seconde édition. Récompensé de plusieurs prix prestigieux, le livre devait aussi bénéficier d’une ample diffusion hors frontières, traduit en anglais, allemand, norvégien, suédois, italien, espagnol. Il est vrai qu’il avait été d’emblée validé, certifié conforme au vrai et porté aux nues par les médias dominants…

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L’université flamande, « un sacrilège obscurantiste »

La « demi-flamandisation » de l’Université de Gand en 1923 – avant celle, complète, de 1930 – s’est heurtée à une opposition résolue en Flandre comme en Wallonie. A Liège, corps académique, étudiants et diplômés se sont mobilisés contre une mesure jugée attentatoire au ciment intellectuel de la Belgique et à la liberté de l’institution (1918-1930)

   22 novembre 1918, onze jours après l’Armistice Le roi Albert Ier annonce dans un discours du trône une série de réformes majeures, parmi lesquelles la néerlandisation – on dit alors « flamandisation » – de l’Université de Gand. C’est peu dire qu’il y a là de quoi surprendre. La revendication n’est certes pas neuve et certainement pas incongrue: dans l’Empire austro-hongrois, cette soi-disant « prison des peuples » , les Tchèques ont eu à Prague une université dans leur langue dès 1880. Mais en Belgique, au sortir de la guerre, le projet est lourdement entaché de sa récupération par l’occupant allemand dans le cadre de la Flamenpolitik visant à scinder le pays.

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Le rêve d’un peuple de lecteurs

Des premières bibliothèques au XIXè siècle à l’animation de rue aujourd’hui en passant par la loi Destrée de 1921, la lecture publique s’est voulue formative autant qu’informative, dans le prolongement de l’école et de ses réseaux (1830-)

   Il y a un peu plus de cent ans était votée la loi Destrée organisant et finançant la lecture publique en Belgique. L’initiative privée comme politique avait toutefois précédé, et de loin, cette intervention du législateur en la matière. Un récent dossier du Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (Carhop) est venu poser quelques jalons à cet égard [1].

   Dans le sillage de sa longue expérience acquise sur le terrain scolaire, le monde catholique apparaît à l’origine des premières bibliothèques, dès les années 1830-1840. Les « bons livres » y sont en principe destinés à tous mais de facto, lecteurs et lectrices proviennent surtout des classes instruites. Les sections gratuites destinées aux moins favorisés s’ouvriront plus tard, avec un succès variable, à mesure que s’élargira l’accès à l’école.

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De l’édition des Lumières à celle des gouvernements

Au XVIIIè siècle, le « Journal encyclopédique » de Pierre Rousseau, lancé à Liège, sert à propager les « idées nouvelles ». Il est à l’origine de la maison Weissenbruch, spécialisée notamment dans les publications musicales et officielles, les publicités et les affiches. L’entreprise familiale aura la vie dure (XVIIIè-XXIè siècles)

   « Rien de plus singulier, de plus louable, que la fortune de M. Pierre Rousseau, de Toulouse, qui, d’auteur médiocre et méprisé à Paris, est devenu un manufacturier littéraire très-estimé et très-riche » . Tel est le point de vue rapporté par Louis Petit de Bachaumont en 1769 dans ses Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France [1]. Il faut y ajouter que la success-story ici évoquée s’est jouée pour l’essentiel à Liège et à Bouillon: un itinéraire à l’inverse, donc, de celui des artistes et écrivains qui allaient quérir gloire et gain dans la capitale française.

   C’est en Cité ardente que Pierre Rousseau (1716-1785) a lancé, en 1756, son Journal encyclopédique, organe de propagande pour les Lumières, promis à une large diffusion européenne. C’est en bord de Semois qu’il a créé, en 1768, la Société typographique de Bouillon. L’entreprise sera durable. Transmise à la belle-famille du fondateur après la mort de celui-ci, elle deviendra la Société d’édition et d’imprimerie Weissenbruch, établie à Bruxelles et active jusqu’à l’aube du XXIè siècle. De cette longue histoire témoigne aujourd’hui un important fonds d’archives, qui a fait l’objet en 2016 d’une donation à l’Université de Liège où sa numérisation a été mise en œuvre [2].

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Flamand ou allemand ? Une autre question linguistique

L’usage d’appeler « Duitsch » ou « Duytsch » (allemand) la langue parlée dans le nord de l’espace belge, tout en la distinguant de celle d’outre-Rhin, a traversé les siècles jusqu’au XXème. Parfois en rude concurrence avec « Dietsch » , le mot a fini par céder la place à « Vlaemsch » sous l’influence francophone

   Si, au début du XIXè siècle, vous aviez demandé à des Flamands du Limbourg ou du Brabant quelle langue ils parlaient, qu’auraient-ils répondu ? Flamand ? Néerlandais ?… Ni l’un, ni l’autre. Selon Jan Frans Willems, qui la rapporte en 1837, la réponse aurait été: « Ik spreek Duitsch » , littéralement « Je parle allemand » . L’écrivain et philologue suggère toutefois qu’il faut comprendre « Dietsch » , soit « thiois » , entendu ici comme le terme désignant les parlers germaniques dans l’espace belgo-néerlandais. Avec des variantes phoniques, les dialectes continueront d’être désignés de la sorte par ceux qui les pratiquent jusqu’au milieu du XXè siècle.

   L’usage ambigu remonte loin.

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Egyptologie et égyptomania: l’effet Toutankhamon

La découverte du tombeau du jeune pharaon a (r)éveillé bien des passions, dont celle de la reine Elisabeth qui s’est rendue sur place avec l’égyptologue Jean Capart et le futur Léopold III. Si la presse à sensation s’est emparée des rumeurs de malédiction, la recherche et l’activité muséale ont su tirer parti de la vogue (1922-1940)

  « Amon-Ra, roi des Dieux, vous accorde toute prospérité, une longue vie, le cœur plein de joie. Ceci est pour vous réjouir. Dès que vous aurez reçu cet écrit d’invitation vous vous préparerez à assister à la « Réception chez Toutankhamon » organisée par le Murray’s Club le jour du Seigneur 14 mars 1926 dans les Salons du Palais d’Egmont, rue aux Laines, à 9 heures du soir » .

   Il n’est guère d’événements mondains qui aient été annoncés de si insolite manière. Son déroulement fut à l’avenant, les membres du Murray’s Club, un cercle de la haute société, ayant été conviés à se présenter en habits inspirés de l’époque pharaonique, dans des décors et avec un menu de dîner en perspective qui l’étaient tout autant (au menu: « Extrait d’Apis – Latus rose aux fruits de la Grande Verte – Volailles de la Table des Dieux – Foie d’oies sacrées du Temple d’Amon… » ) . En princesse égyptienne, la fille de nos souverains Marie-José, future éphémère reine d’Italie, attira tous les regards. Sur scène défilèrent les divinités et les personnages illustres du Nouvel Empire. Saluée par la presse comme un succès complet, la soirée bruxelloise donna lieu l’année suivante à un remake somptueux à Hélipolis, la nouvelle ville au nord-est du Caire à laquelle le nom de l’ingénieur et industriel belge Edouard Empain est étroitement associé.

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