Une droite radicale dans la Résistance

Nationaliste, antiparlementaire, anticommuniste, corporatiste, défilant en uniformes, la Légion nationale belge a pu apparaître comme un calque du fascisme mussolinien. Elle s’en est pourtant distanciée et sous l’occupation allemande, son chef Paul Hoornaert ainsi que nombre de ses membres sont morts pour la cause alliée (1922-1944)

   2 février 1944. A la prison pour travaux forcés de Sonnenburg (aujourd’hui Słońsk en Pologne), Paul Hoornaert rend son dernier souffle, vaincu par la maladie, les mauvais traitements et la sous-alimentation. Dix-huit mois auparavant, à Aix-la-Chapelle, un tribunal militaire allemand l’a jugé en tant que responsable d’une organisation qui « poursuivait des buts germanophobes » . Quinze de ses hommes ont été condamnés en même temps que lui, dont sept ont été fusillés.

   Ce chapitre tragique de l’histoire de la Résistance ressemble à bien d’autres, avec une particularité. C’est que l’organisation ainsi décimée fut en son temps considérée comme « fasciste » et le serait encore plus au nôtre. Il s’agit de la Légion nationale belge, dont le parcours vient d’être retracé par Lionel Baland [1], « un écrivain » , ainsi qu’il se présente, qui a tiré amplement profit de travaux antérieurs mais aussi de sources de première main (presse surtout, dossiers de l’armée belge…).

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L’impossible parti catholique en Brabant wallon

Ici comme ailleurs, aucune des tentatives visant constituer une formation qui soit beaucoup plus qu’un regroupement de tendances n’a pu aboutir dans la seconde moitié du XIXe siècle . L’autonomie locale, l’indépendance des élus et les divisions entre libéraux et ultramontains ont fait obstacle aux volontés centralisatrices (1857-1884)

   Appréhendé avec les critères de notre réalité présente, le XIXe siècle politique procure un dépaysement total. Rien ici qui puisse évoquer de près ou de loin ce qu’on appelle communément, de nos jours, la « particratie » . Il existe certes des courants d’opinion. Et les libéraux se sont bien donné un embryon de parti dès 1846. Mais les obédiences sont en quelque sorte invertébrées, la volonté de se doter d’une organisation centralisée au sommet n’émergeant que peu à peu, non sans s’exposer à de nettes réticences. Une récente étude de Paul Wynants, professeur émérite de l’Université de Namur, relate ces tentatives et les contre-feux qu’elles ont suscités dans le monde catholique du Brabant wallon [1].

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Une diplomate britannique face à la Révolution brabançonne

Appelée à remplacer son mari absent dans ses fonctions de ministre plénipotentiaire à Bruxelles, Lady Torrington s’est montrée au fait de la vie politique et des usages du métier. Elle a défendu avec sang-froid l’immunité de la résidence de l’ambassadeur. Son cas n’est nullement isolé, du moins sous l’Ancien Régime (1789)

   « Lady Torrington est l’âme de mon bureau » ( « the soul of my office »  ): quand il écrit cette phrase, George Byng, 4e vicomte Torrington, ministre plénipotentiaire à Bruxelles de 1783 à 1792, ne rend pas seulement un touchant hommage à son épouse. Il justifie aussi et surtout, dans une lettre adressée au duc de Leeds, alors secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, que sa moitié le remplace dans ses attributions à un moment crucial: celui de l’année 1789 qui voit les Pays-Bas méridionaux – en bonne partie la Belgique actuelle, moins le pays de Liège – se soulever contre la tutelle autrichienne.

   Pareille relève professionnelle n’est pas rare. Profitant de la proximité de nos régions avec l’Angleterre, l’ambassadeur retourne régulièrement au pays pour siéger à la Chambre des lords et… s’occuper du jardin qu’il aménage dans sa propriété du nord de Londres avec le célèbre paysagiste Capability Brown. Pendant ces périodes d’absence, les secrétaires chargés d’affaires ne pourraient-ils pas suppléer ? Mais non, c’est Madame. Et de la recherche que Jean-Charles Speeckaert a menée à son propos, il ressort que l’ambassadrice de fait se révèle bien à la hauteur du devoir et au courant des usages diplomatiques [1]. On a donc affaire ici à une sorte de gender study, mais concluant quelque peu à rebours de la plupart des théories et des travaux qui se présentent sous ce label.

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Les Acec, ce chaudron social

Fleuron de l’industrie belge avant d’être vendus et filialisés, les Ateliers de constructions électriques de Charleroi, présents aussi à Gand, Herstal et Ruisbroek, ont été le haut lieu d’un militantisme « rouge » qui ne fut pas que syndical et socialiste. Il fut aussi associatif dans sa forme et communiste, trotskiste ou chrétien dans ses obédiences (1886-1992)

   La place majeure qu’occupent, dans l’histoire industrielle de la Belgique, les Ateliers de constructions électriques de Charleroi (Acec), ainsi que la parution récente d’une monographie du syndicaliste et communiste Robert Dussart qui donna longtemps le ton social au « Pays noir » [1], ont incité le Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (Carhop) à consacrer un numéro de sa revue trimestrielle à ce haut lieu du militantisme en entreprise [2]. Un militantisme beaucoup plus diversifié dans ses formes et ses inspirations qu’il n’y paraîtrait de prime abord au sein d’une firme des plus « rouges » , où le syndicat socialiste (FGTB) fut de fait tout-puissant.

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Le Hainaut comté, Mons capitale: un fait des princes

L’autorité des rois puis empereurs germaniques apparaît bien ténue à l’ouest de la Meuse. La maison des Regniers, en rébellion ouverte, a longtemps porté le titre de « comes » et exercé le pouvoir comtal sans être reconnue. Mais elle s’est heurtée aux Ardenne-Verdun, fidèles du suzerain (Xè-XIè siècles)

   Depuis l’œuvre pionnière de Léon Vanderkindere [1], les origines de nos principautés médiévales n’ont cessé d’offrir un terrain de choix à la recherche historique. Mais la complexité y est de règle et il faut, bien souvent, se contenter de maigres sources. Tel mode opératoire valable ici ne l’est pas nécessairement ailleurs.

   Si, dans le diocèse de Liège, les détenteurs du pouvoir épiscopal – futurs princes – sont nommés par les monarques germaniques qui ont succédé aux Carolingiens, on est loin de retrouver partout pareille dépendance, comme l’illustre le cas du Hainaut tel qu’exposé par Michel de Waha, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles [2]. Le pays de sainte Waudru apparaît aux antipodes politiques de celui de saint Lambert…

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Roger Nols, d’une passion identitaire à l’autre

Ceux qui voient en lui un « raciste patenté » contestent la présence de son buste à l’hôtel communal de Schaerbeek. Celui qui en fut le bourgmestre pendant deux décennies n’en collectionna pas moins les succès électoraux. Et fut à peine plus provocateur que bien d’autres à l’époque (1964-2004)

   Il est question à Schaerbeek de retirer ou, au minimum, de « contextualiser » le buste de Roger Nols installé, avec ceux d’autres célébrités politiques locales, dans la galerie qui précède la salle des mariages de la maison communale. Faisant suite à une demande introduite en 2017 par le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (Mrax), pour qui l’ancien bourgmestre ne fut rien moins qu’un « raciste patenté » , l’actuelle majorité (Défi-Ecolo/Groen-MR-CDH) a constitué un groupe de travail qui doit rendre ses conclusions en décembre prochain.

   Pour servir de base à leur réflexion, les élus et citoyens dudit groupe disposent d’une étude, rendue publique, où Serge Jaumain (Université libre de Bruxelles) et Joost Vaesen (Vrije Universiteit Brussel) portent sur la période nolsiste leurs regards d’historiens [1]. Disons d’entrée de jeu qu’ils sont tout sauf laudatifs. Mais ils entendent aussi « discuter des risques du « présentisme » , c’est-à-dire l’utilisation du passé en fonction d’objectifs politiques actuels sans tenir compte de la réalité historique » . Risques bien… présents aussi, ajouterai-je, quand sont mis en cause des monuments ou des noms de rues liés au passé colonial.

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Les victoires d’outre-tombe de la libre-pensée

La sécularisation des cimetières, la crémation, les funérailles civiles… ont figuré très tôt à l’agenda de la laïcité militante et des loges. La prépondéance politique des libéraux à Bruxelles a assuré des succès rapides aux associations porteuses de cette nouvelle culture de la mort. Beaucoup plus lente fut sa percée en milieu rural (XIXè-XXè siècles)

   La lutte entre forces laïques et chrétiennes, catholiques surtout, pour le contrôle de l’espace public, grandissante à partir de la seconde moitié du XIXè siècle, est aussi culturelle. Ce n’est pas pour rien que dans l’Allemagne de Bismarck, elle s’appelle le Kulturkampf. Dans cette guerre, les rites funéraires et les cimetières constituent un champ de bataille privilégié.

   Jeffrey Tyssens et Christoph De Spiegeleer (Vrije Universiteit Brussel) ont braqué leurs projecteurs sur ce volet de la marche à la sécularisation en Belgique. Un récent article du second s’attache à le replacer dans une perspective européenne plus large, tout en montrant comment ses protagonistes réussirent à marquer points sur points à Bruxelles [1]. Sans surprise, c’est l’action conjuguée des associations de laïcité militante et des pouvoirs politiques épousant leurs vues qui s’avère décisive. La capitale belge, où le parti libéral est alors dominant sans discontinuer, constitue à cet égard un terrain des plus favorables.

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Jeanne, Marguerite, Jacqueline: le pouvoir féminin au Moyen Age finissant

A la tête de plusieurs principautés, elles ont exercé leurs prérogatives de duchesse ou de comtesses, laissant toutefois la défense du territoire à leur époux. Pour être bien préparées, il valait mieux qu’elles soient considérées comme héritières présomptives dès leur naissance ou leur plus jeune âge (XIVè-XVè siècles)

   Jeanne, duchesse de Brabant et de Limbourg de 1355 à 1406. Marguerite de Male, comtesse de Bourgogne (Franche-Comté), Artois, Flandre, Rethel et Nevers, de 1384 à 1405 (également deux fois duchesse de Bourgogne). Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut, de Hollande, de Zélande et dame de Frise de 1417 à 1433. Ces trois noms le disent assez: le pouvoir féminin n’est pas un mythe dans nos anciennes principautés, ici saisies alors que s’amorce l’unification bourguignonne.

   On ne peut toutefois se dissimuler les difficultés parfois rencontrées par les filles pour succéder à leur père. En l’absence de règles fixes, il faut se référer aux coutumes. Endosser le rôle guerrier assigné au seigneur féodal ne va, en outre, pas de soi quand on appartient à l’autre moitié de l’humanité… C’est afin d’éclairer le champ des possibles et ses limites que Camille Rutsaert (Universités catholique de Louvain et Saint-Louis Bruxelles) s’est penchée sur la formation, le statut et le destin des trois figures précitées [1].

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L’université flamande, « un sacrilège obscurantiste »

La « demi-flamandisation » de l’Université de Gand en 1923 – avant celle, complète, de 1930 – s’est heurtée à une opposition résolue en Flandre comme en Wallonie. A Liège, corps académique, étudiants et diplômés se sont mobilisés contre une mesure jugée attentatoire au ciment intellectuel de la Belgique et à la liberté de l’institution (1918-1930)

   22 novembre 1918, onze jours après l’Armistice Le roi Albert Ier annonce dans un discours du trône une série de réformes majeures, parmi lesquelles la néerlandisation – on dit alors « flamandisation » – de l’Université de Gand. C’est peu dire qu’il y a là de quoi surprendre. La revendication n’est certes pas neuve et certainement pas incongrue: dans l’Empire austro-hongrois, cette soi-disant « prison des peuples » , les Tchèques ont eu à Prague une université dans leur langue dès 1880. Mais en Belgique, au sortir de la guerre, le projet est lourdement entaché de sa récupération par l’occupant allemand dans le cadre de la Flamenpolitik visant à scinder le pays.

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Belges ou Wallons d’abord ? La brouille des libéraux liégeois

Jusqu’à la fin des années ’60, la défense de l’unité belge est centrale dans le programme du Parti de la liberté et du progrès (PLP-PVV). Mais les adeptes du mouvement wallon constituent dans ses rangs une minorité non négligeable. Ouvertement ou à fleurets mouchetés, les deux tendances n’ont cessé de s’opposer (1945-1972)

   C’était en mars 1992. Jean Gol s’apprêtait à retrouver la présidence du Parti réformateur libéral (PRL, aujourd’hui MR) quand il me convia, en même temps que le chef du service politique d’un quotidien bruxellois bien connu, à un déjeuner dans un petit restaurant sis non loin du théâtre royal de la Monnaie. Au cours de l’entretien, il apparut vite que cette invitation avait pour but de nous sonder sur l’hypothèse d’un rattachement de la Communauté française de Belgique à la France. Car l’ex-ministre liégeois, qui avait percé dans la carrière sous les couleurs du Rassemblement wallon, était convaincu que la Flandre se rendrait sous peu indépendante. Et la seule issue viable pour les francophones, dans ce cas, était pour lui de s’intégrer à l’Hexagone. Tout ceci étant, bien sûr, off the record: le grand chef bleu se garda toujours de faire état publiquement de son option préférentielle, alors même qu’il nouait des contacts en ce sens dans les cénacles français.

   Difficile d’imaginer plus grand contraste qu’entre ce président-là et l’actuel, le jeune Georges-Louis Bouchez (6 ans en 1992!), qui arbore volontiers les couleurs nationales et n’a pas craint d’affirmer son regret de la Belgique unitaire. L’un et l’autre, l’ancien et le nouveau, ont été ou sont le reflet, aux deux extrémités, d’un clivage persistant parmi les élus et cadres libéraux, entre fédéralistes-unionistes (dont un petit noyau unitariste) et partisans d’une autonomie régionale ou communautaire maximale (dont un petit noyau rattachiste).

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