Retour en force de la peine de mort

Collaborateurs et délateurs en firent les frais entre la Libération et 1950. 242 ont été exécutés alors que la peine de mort n’était plus effective en temps de paix depuis 1863. La gravité des faits et le traumatisme de la population expliquent une sévérité qui fut toutefois à géométrie variable et s’est atténuée avec le temps (1944-1950)

   Pendant les six années qui suivirent la Libération et la fin de la Seconde Guerre mondiale, 242 condamnés à mort ont été exécutés en Belgique, soit trois fois plus que les 79 recensés pendant 110 ans entre 1830 et 1940! Il s’agissait évidemment de collaborateurs politiques, policiers ou militaires et de délateurs, auxquels il faut ajouter un criminel de guerre, le major allemand SS Philipp Schmitt, commandant du camp de Breendonk, dernier à avoir été fusillé, le 9 août 1950.

   Pour faire pleine lumière sur ce retour en force de la peine capitale, on dispose aujourd’hui du précieux travail de quatre historiens. Elise Rezsöhazy, Dimitri Roden, Stanislas Horvat et Dirk Luyten, attachés à des universités, à l’Ecole royale militaire ou au Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (Ceges/Soma), ont pu pour la première fois tirer ample moisson non seulement des dossiers pénaux individuels, mais aussi des archives de l’auditorat général [1].

Continuer à lire … « Retour en force de la peine de mort »

Et les occupés devinrent occupants…

Entre Clèves et Aix-la-Chapelle, puis jusqu’à Monschau et Blankenheim et un temps dans la Ruhr, la Grande Guerre a été suivie par une longue présence armée des Belges en Allemagne. Ces années au bord du Rhin, dans le cadre des politiques alliées de sécurité et de réparations, n’ont pas été exemptes de violences de part et d’autre (1918-1930)

   Pendant près de douze ans, de décembre 1918 à juin 1930, la Belgique a occupé, entre Clèves et Aix-la-Chapelle, ceux qui l’avaient précédemment envahie. La zone s’est élargie ensuite vers l’ouest jusqu’à Monschau et vers l’est jusqu’à Blankenheim pour atteindre une superficie de  5564 km², équivalant à un peu plus que nos actuelles provinces de Liège et de Brabant wallon augmentées de la Région de Bruxelles-Capitale. Une population de près de 1,5 million d’habitants s’est trouvée surveillée, voire punie, par des effectifs qui ont grimpé jusqu’à un pic de 48.000 hommes et 2000 officiers en mars 1919. Cet épisode, qui n’est pas le plus familier au grand public, a trouvé son historienne en Anne Godfroid, docteure de l’Université libre de Bruxelles et de l’Ecole royale militaire, travaillant au musée royal de l’Armée [1].

Continuer à lire … « Et les occupés devinrent occupants… »

Comment on devient « Juste parmi les nations »

Deux familles juives allemandes réfugiées, qui se partageaient un appartement à Bruxelles, ont été décimées sous l’occupation. Un de leurs membres, le jeune Ralph Mayer, a été caché chez l’avocat Albert Jonnart, à qui cet hébergement coûta la vie, puis dans les locaux des musées royaux d’Art et d’Histoire par l’archéologue Jacques Breuer (1940-1944)

   Au 1er janvier 2022, pas moins de 1787 Belges avaient reçu le titre de « Justes parmi les nations » , décerné en Israël par la fondation Yad Vashem, gardienne de la mémoire de l’holocauste [1]. Mais bien plus élevé fut en réalité le nombre des hommes et des femmes qui, entre 1940 et 1944, contribuèrent chez nous, parfois au péril de leur vie, à sauver des Juifs de la déportation.

   Avant la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique aurait compté entre 60.000 et 90.000 israélites, fourchette large qui s’explique par l’absence de recensement racial ou religieux. On avait généralement estimé à un tiers le nombre de membres de la communauté qui furent cachés par des personnes ou des institutions. Au début de ce siècle, Sylvain Brachfeld, journaliste d’origine anversoise établi en Israël, a refait les calculs et porté la proportion à quelque 56 % [2].

   Pour retracer minutieusement une de ces actions de secours, qui concerna en partie sa propre famille, Jean-Christophe Dubuisson, professeur d’histoire et de français, s’est mis à la recherche des témoins et des archives, dans notre pays et à l’étranger. En résulte un ouvrage qui illustre au mieux comment des individus, sans prédispositions apparentes, peuvent s’élever à l’héroïsme au quotidien [3].

Continuer à lire … « Comment on devient « Juste parmi les nations » »

Pierre Hubermont, de la littérature prolétarienne à l’Ordre nouveau

L’auteur socialiste de « Treize hommes dans la mine » , inspiré par la condition ouvrière, s’est rallié sous l’occupation allemande à la collaboration au nom de l’unification européenne, de la cause wallonne, de l’antisémitisme, de l’antimaçonnisme… Condamné et ostracisé après la Libération, il a été néanmoins réédité (1920-1989)

   Le 28 mai 1940, Henri De Man, président du Parti ouvrier belge (POB, ancien nom des actuels PS et Vooruit), invite dans un manifeste ses militants à accepter le fait de la victoire allemande, convaincu que celle-ci ouvre la voie à une révolution qui instaurera « la souveraineté du Travail » . Parmi les figures que le chef socialiste entraîne dans son sillage émerge notamment celle de Pierre Hubermont, « écrivain prolétarien » auquel le roman Treize hommes dans la mine a, quelques années auparavant, conféré une renommée internationale. Un trio de chercheurs s’est attaché à retracer son itinéraire, singulier et symptomatique à la fois [1].

Continuer à lire … « Pierre Hubermont, de la littérature prolétarienne à l’Ordre nouveau »

Versailles 1919: l’échec de la « grande Belgique »

Michel Auwers en déplace la responsabilité des politiques vers les « jeunes loups » de la diplomatie formés à l’école de Léopold II. En opposition à son successeur et à la tradition neutraliste belge, leur agenda annexionniste visant nos voisins s’est heurté à un air du temps peu favorable à la quête d’agrandissements territoriaux (1914-1920)

   « Adieu, veau, vache, cochon, couvée! » … Au terme des négociations qui aboutissent au traité de Versailles, signé le  28 juin 1919, la Belgique obtient un morceau de la Rhénanie, qui constitue aujourd’hui notre Communauté germanophone, un mandat d’administration des ex-colonies allemandes du Ruanda-Urundi (futurs Rwanda et Burundi), la fixation des réparations dues par le Reich vaincu ainsi que la fin du statut de neutralité obligatoire. C’est beaucoup moins que les rêves nourris, au cours de la Grande Guerre, dans des milieux nullement marginaux et jusque dans les sphères gouvernementales: rêves d’un retour aux frontières d’avant 1839, rêves lorgnant vers le Grand-duché de Luxembourg, le Limbourg hollandais et l’embouchure de l’Escaut, voire davantage encore.

Continuer à lire … « Versailles 1919: l’échec de la « grande Belgique » »

Une droite radicale dans la Résistance

Nationaliste, antiparlementaire, anticommuniste, corporatiste, défilant en uniformes, la Légion nationale belge a pu apparaître comme un calque du fascisme mussolinien. Elle s’en est pourtant distanciée et sous l’occupation allemande, son chef Paul Hoornaert ainsi que nombre de ses membres sont morts pour la cause alliée (1922-1944)

   2 février 1944. A la prison pour travaux forcés de Sonnenburg (aujourd’hui Słońsk en Pologne), Paul Hoornaert rend son dernier souffle, vaincu par la maladie, les mauvais traitements et la sous-alimentation. Dix-huit mois auparavant, à Aix-la-Chapelle, un tribunal militaire allemand l’a jugé en tant que responsable d’une organisation qui « poursuivait des buts germanophobes » . Quinze de ses hommes ont été condamnés en même temps que lui, dont sept ont été fusillés.

   Ce chapitre tragique de l’histoire de la Résistance ressemble à bien d’autres, avec une particularité. C’est que l’organisation ainsi décimée fut en son temps considérée comme « fasciste » et le serait encore plus au nôtre. Il s’agit de la Légion nationale belge, dont le parcours vient d’être retracé par Lionel Baland [1], « un écrivain » , ainsi qu’il se présente, qui a tiré amplement profit de travaux antérieurs mais aussi de sources de première main (presse surtout, dossiers de l’armée belge…).

Continuer à lire … « Une droite radicale dans la Résistance »

La sécurité des monastères a un prix

Chargés de les défendre contre les pilleurs et les guerroyeurs, les avoués doivent aussi répondre à l’appel du prince pour participer à la défense du pays. Les moines et leurs dépendants sont tenus de contribuer à l’effort de guerre, particulièrement important dans le comté de Flandre (XIe-XIIe siècles)

   Dès les premiers siècles médiévaux, les abbayes fleurissent un peu partout en Europe. Et tout aussi tôt, il faut pourvoir à leur sauvegarde, ainsi qu’à celle des terres en leur possession, contre les pilleurs et les guerroyeurs. La mission d’assurer protection et justice aux religieux revient à ceux qu’on appelle les avoués. Mais leur fonction revêt aussi un aspect moins connu, plus directement lié à l’organisation militaire du pays. Jean-François Nieus est venu l’éclairer dans le cadre du comté de Flandre, « l’une des terres d’élection de l’avouerie monastique » [1].

   Au IXe siècle déjà, pour faire face aux raids normands, les grands monastères ainsi que les évêchés sont soumis à de lourdes obligations. En témoignent les énigmatiques caballarii et herescarii (guerriers ou paysans ?) du polyptyque (registre) carolingien de l’ancienne abbaye bénédictine de Saint-Bertin, située du côté aujourd’hui français, à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Les sources ne permettent toutefois pas de déterminer l’implication de l’avoué dans cette défense commune.

Continuer à lire … « La sécurité des monastères a un prix »

Du Directoire à l’Empire, les dix ans d’un Flamand dans les armées françaises

Né et vivant à Wakken (Dentergem), le conscrit Jean Gheerbrant a gagné la Légion d’honneur et s’est hissé au grade de maréchal des logis-chef. Témoin des drames vécus tant par les civils que par les militaires, il n’a cessé de se réclamer de sa région d’origine et non de la France (1798-1808)

   Quand, en 1798, il est appelé à servir dans les armées de la République française, Jean Gheerbrant tente comme beaucoup, mais en vain, de se faire réformer pour raisons de santé. Il en prend pour dix ans, ne pouvant payer un remplaçant, bien qu’il soit d’un milieu relativement aisé. Fait rare parmi les plus de 200.000 Belges incorporés après l’annexion de nos provinces en 1795: le soldat malgré lui – qui saura quand même monter en grade – laissera des mémoires, transmis dans la famille et aujourd’hui accessibles dans une édition scientifique [1].

Continuer à lire … « Du Directoire à l’Empire, les dix ans d’un Flamand dans les armées françaises »

Que sont devenus les morts de Waterloo ?

On n’a guère trouvé de restes des 5000 à 20.000 soldats tués lors de la bataille. Les sources contemporaines font certes état d’incinérations, mais elles mentionnent aussi des lieux où furent creusées d’importantes fosses communes. Une hypothèse a fait son chemin: celle de la récupération ultérieure des ossements pour en faire de l’engrais (1815-)

   Les médias ont fait largement écho, fin juin dernier, aux résultats d’une étude britannique selon laquelle « les restes des soldats tombés lors de la bataille de Waterloo auraient été déterrés et revendus pour servir d’engrais » [1]. En fait, un survol complet de la question avait déjà été publié il y a sept ans, à l’occasion du bicentenaire de l’ultime affrontement entre les puissances alliées et Napoléon, par un chercheur amateur qui faisait lui-même référence à de nombreuses sources [2]. L’article dont la mise en ligne a rebraqué les projecteurs sur la choquante hypothèse est dû à Tony Pollard, directeur du Centre d’archéologie des batailles à l’Université de Glasgow [3]. Il a pour originalité de recourir aux récits des premiers visiteurs anglais de la « morne plaine » , dans les jours et semaines qui suivirent le 18 juin 1815, pour localiser les lieux où les morts furent ensevelis en grand nombre. Des lieux où, curieusement, les fouilles et les sondages, à ce jour, n’ont pas révélé la présence de restes humains.

Continuer à lire … « Que sont devenus les morts de Waterloo ? »

Deux historiens dans la tourmente de la Grande Guerre

Les journaux de Paul Fredericq et d’Henri Pirenne témoignent de leurs épreuves personnelles, en Belgique puis en déportation, et de leur désamour de l’Allemagne. Ils trouvent exutoire et réconfort dans le travail ainsi que dans la foi, pour le premier, et la conviction historiquement fondée de la victoire finale, pour le second (1914-1918)

   L’irruption de la guerre en août 1914, avec son ébranlement des repères de la vie quotidienne, avec son cortège de tragédies surtout, suscita des myriades de lettres, de journaux personnels, de textes intimes, tant de la part de militaires que de civils. Il fallait ainsi tromper l’ennui, meubler l’attente, tenter de voir clair en soi-même, énoncer des raisons d’espérer… Comment cette vague n’aurait-elle pas atteint les historiens, à l’heure où l’histoire se remettait en mouvement sous leurs yeux ?

   Deux d’entre eux et non des moindres, Paul Fredericq (1850-1920) et Henri Pirenne (1862-1935), l’un et l’autre professeurs à l’Université de Gand, ont été de ceux qui consignèrent leurs impressions quotidiennes, et ce dans de simples cahiers d’écoliers. Geneviève Warland, philosophe (Université catholique de Louvain), philologue (Université Stendhal-Grenoble III) et docteure en histoire (Université Saint-Louis-Bruxelles), les a passés au peigne fin pour mettre en lumière les états d’âme de ceux qui les remplirent, leur approche du présent et leur manière d’en témoigner [1].

Continuer à lire … « Deux historiens dans la tourmente de la Grande Guerre »