Des échevins et leurs sceaux dans le temps

Chacun d’eux avait le sien. Garants de la validité des actes, ils témoignent de l’imagerie et de la symbolique d’une époque ainsi que de l’art des graveurs qui atteint son apogée au XIVe siècle. Il y a plus de cent ans, Albert Huart avait retrouvé et décrit ceux de la Ville de Namur. Son travail est aujourd’hui complété par René Laurent (XIIIe-XVIIe siècles)

   Ancêtres de nos tampons modernes – avant nos signatures numériques –, les sceaux ont servi longtemps de garants de la validité des actes sur lesquels ils étaient apposés. Leur usage à tous les niveaux de pouvoir, ainsi que ce qu’ils révèlent des représentations de leurs contemporains, confèrent tout son intérêt au riche ensemble des photographies de moulages de la collection des Archives générales du Royaume (AGR), aujourd’hui accessible en ligne [1]. Intérêt aussi, dans le cas plus particulier de Namur, du travail accompli par un érudit dès le début du siècle dernier et poursuivi ces dernières années par un autre: il nous ouvre l’instructive série des sceaux des échevins de la Ville au Moyen Age et aux premiers Temps modernes [2].

   C’est au XIIe siècle que la cité mosane reçoit de son comte les fonctions judiciaires, administratives et financières qui seront exercées par un collège de six membres (sept à partir de 1464), avec un mayeur à sa tête et l’aide d’un clerc ou greffier. De 1213 date la première mention d’un bâtiment élevé pour « abriter les plaids des échevins » – entendez leurs assemblées ou audiences. Il s’agit alors d’un appentis s’appuyant à une chapelle dédiée à saint Remy, sur l’actuelle place Saint-Aubain. La juridiction du corps municipal s’étend sur tout Namur et sa banlieue. Lui échappent toutefois certains lieux, comme Jambes, ou établissements religieux, comme Saint-Aubain dont le chapitre a été fondé au XIe siècle.

Namur au XVIIe siècle. (Source: dans Joseph Roland, « Histoire abrégée du comté et de la province de Namur » , Namur, Wesmael-Charlier, 1959, p. 97)

   Nommés par le souverain, d’abord à vie sauf faute grave, puis par le gouverneur qui le représente, pour un mandat d’un an renouvelable, les magistrats sont choisis au sein des familles notables. A la fin du XVIe siècle, ils sont majoritairement juristes, les nobles occupant souvent les deux premières places. Dès les débuts, ils interviennent comme témoins dans des actes qu’ils ne scellent toutefois pas. C’est le cas en 1174, indique René Laurent, chef de section honoraire aux AGR: « Dans un acte émanent de Philippe, prévôt de Saint-Aubain, un certain Walterus est cité sans autre précision comme scabinus parmi les témoins » (p. 8). En 1175, c’est le maire, Nicolas, qui apparaît dans le même rôle (id.). Les premiers échevins sont cités dans l’acte de 1213 par lequel le chapitre leur permet d’ériger l’appentis précité (id.). En 1294 encore, Colin Bonnechose est présent « en lieu du maieur de Namur » dans l’acte d’estimation du comté par ordre du roi de France Philippe le Bel (p. 21).

   Les documents portant sceaux échevinaux ne sont attestés qu’à partir du début du siècle suivant, exception faite pour quelques interventions comme hommes de fief du comté (qui s’occupent de son administration) à partir de 1264. Le 25 novembre 1302, un parchemin émanant de Jean de Bouge et Philippe de Waret est déclaré « saellees de nos sayals » , mais les deux sceaux qui étaient appendus sur double attache ont disparu. Il en va de même pour le document du 2 décembre 1308 scellé par le maire Otte de Refayt et les échevins Colle du Marché, Jean du Manil, Godefrin du Pont et Thiriart du Moulin (p. 8, n. 17). Le premier acte qui a conservé jusqu’à nos jours ses sceaux scabinaux, alors en cire brune et appendus sur de simples queues, est daté du 12 janvier 1312 et porte les empreintes des édiles François Aliche, Piérard Chave et Thomas le Cocq. Très rapidement, on passera aux doubles queues et cette manière se maintiendra (p. 8).

Le plus ancien acte conservé scellé par trois échevins de Namur, daté du 12 janvier 1312. (Source: Chartrier des comtes de Namur aux Archives de l’Etat à Namur, 381, dans n. 2, 1ère de couverture & p. 9)

   On doit à l’avocat et héraldiste Albert Huart (1882-1964) d’avoir accompli un travail de bénédictin dans les sources du comté sous l’Ancien Régime afin de décrire les sceaux qu’il y rencontrait. Ses notes sont conservées aux Archives de l’État à Namur. Elles comprennent pas moins de 150 cahiers et un classement par ordre alphabétique de tous les noms mentionnés. Le même chercheur publia, en annexe d’une étude consacrée aux magistrats locaux, 22 planches de dessins des écus de leurs sceaux réalisés par ses soins [3]. En complément à cette somme, René Laurent apporte ce qui lui manquait, à savoir les descriptions et les références de tous les moulages échevinaux namurois du XIIIe siècle jusqu’au dernier en 1629. Les cachets originaux, source des dessins d’Huart, ont pu être retrouvés dans différents fonds d’archives. La recherche a porté également sur ses notes et sur la collection des AGR.

   Pareilles études éclairent l’art des graveurs et une évolution stylistique « qui atteint son apogée au XIVe siècle » (p. 6). Avec le temps, l’écu contenant les figurations s’est entouré de lobes et d’entrelacs. D’abord droit dans le champ du sceau, il peut se pencher à partir du milieu du XIVe siècle et comporte souvent un heaume avec cimier. Au XVe siècle, la « mode » est à l’écu soutenu par des êtres humains ou mythiques ou des animaux (pp. 15-16).

Extrait des 22 planches de dessins des écus des sceaux des échevins de Namur par Albert Huart. (Source: n. 3, planche I)

   L’édilité peut cumuler les mandats tout en gardant le sens de l’économie! L’examen des chartriers a, en effet, permis à l’historien de constater que la même « signature » sert à l’échevin de Namur quand il intervient en tant qu’homme de fief du comté ou maire ou échevin d’une autre cour (Feix, Jambes, Neuville, Notre-Dame, Saint-Aubain, etc.). Il peut aussi, comme Michart Hellarde, en fonction de 1403 à 1418, reprendre simplement la matrice de son grand-père (p. 32).

   Quant à ce qui se donne à voir sur ces objets personnalisés, la plus grande diversité est de règle: un homme sauvage assis et tenant une massue de la main droite (p. 43), une tête de chien braque colleté (p. 44), une plume de paon entre deux vols (p. 45), un animal chimérique (p. 45), un lion naissant (p. 46), une femme de profil, « la tête embéguinée » (p. 46), une tour crénelée (p. 49), trois écureuils, le premier chargé d’un besant (p. 42), une cuve d’où est issu un plumail (p. 35), un coq dans le champ (choisi il est vrai par Thomas… le Cocq, p. 24)…

   Il ne manque pas ici grand-chose de l’imagerie et de la symbolique d’une époque. La sigillographie mène à tout…

P.V.

[1] https://search.arch.be/fr/rechercher-des-archives/resultats/ead/rabscans/eadid/BE-A0510_005990_005868_FRE. [retour]

[2] René LAURENT, Les moulages de sceaux des échevins de Namur (XIIIe-XVIIe s.) et le travail de l’héraldiste Albert Huart (1882-1964), Bruxelles, Archives générales du Royaume (série « Studia » , 171; publication 6349), 2023, 70 pp. [retour]

[3] Henri de RADIGUÈS de CHENNEVIÈRE, « Les échevins de Namur » , dans les Annales de la Société archéologique de Namur, t. XXV, Namur, 1905, vii-467-XXII pp. Les planches sont à la fin. Albert Huart, qui avait en vue de constituer un « armorial » , y a apporté une cinquantaine de corrections à la fin de sa vie, Annales…, ibid., t. LI, 1961, pp. 163-184. Les deux tomes sont en libre accès sur https://neptun.unamur.be/ark:/83449/00e3af0778#?c=0&m=0&s=0&cv=0 et https://neptun.unamur.be/ark:/83449/00d3df358f#?c=0&m=0&s=0&cv=0. [retour]

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