Avec ses 21 menhirs isolés ou en groupes, dispersés sur une longueur de huit kilomètres, ainsi que ses deux allées qu’une pierre couvre telle un toit, le complexe mégalithique de Wéris (Durbuy) n’a pas fini d’impressionner les visiteurs et d’interroger les chercheurs. De nouvelles avancées viennent d’être publiées pour la connaissance de ce site daté, sur la base d’ossements humains, de la fin du néolithique (3200 – 2600 avant J-C) [1].
Les plus anciennes explorations connues du champ, partielles et fatalement très peu scientifiques, se situent entre les années 1879 et 1906. On doit la première étude au militaire et poète Auguste Daufresne de la Chevalerie, parue sous le titre « Les antiquités du village de Wéris » dans la Revue catholique de Louvain. Les fouilles véritablement méthodiques ont été inaugurées en 1947 par la préhistorienne Hélène Danthine, professeur à l’Université de Liège. Elle a dégagé un menhir enseveli dans une fosse, déplacé depuis. Ont suivi, au cours des dernières décennies, trois programmes passant des zones du plateau calcaire au peigne fin, les deux premiers en 1979-1987 et 1995-2001 sous l’impulsion de François Hubert, directeur du Service national des fouilles transféré à la Région wallonne, le troisième à partir de 2018-2019. La campagne initiale a permis d’identifier quatorze menhirs supplémentaires, tous ensuite regroupés dans la parcelle de l’allée couverte la plus au nord, dite de Wéris I.

Dans le cadre des dernières enquêtes, résolument pluridisciplinaires, un périmètre s’étendant entre les deux allées, appelé le champ la Longue Pierre, a été retenu pour servir de banc d’essai. Ce choix résulte notamment d’une anomalie du terrain signalée par un cultivateur, laissant supposer l’existence d’un monolithe enterré. Des prospections géo-radar ultérieures tendront à confirmer l’existence d’enfouissements liés à l’activité humaine.
Les sondages dont rend compte le présent article se sont aussi inscrits dans un effort de restauration de l’état originaire (anastylose) du plus important ensemble de monuments mégalithiques de Belgique. Les pierres « exilées » près de Wéris I sont ainsi retournées d’où elles étaient venues et sept menhirs mis au jour dernièrement ou antérieurement ont été redressés en 2023, à partir d’arguments archéologiques. « Cette restitution, notent les auteurs, tous trois attachés au Service public de Wallonie, est d’autant plus importante qu’elle améliore notre perception de la monumentalité paysagère voulue par les Néolithiques » . D’un grand intérêt sont, entre autres, les constats des deux lignes parallèles sur lesquelles sont alignés les menhirs et de leur progression perceptible du plus léger au plus lourd.
Commencées par une tranchée de diagnostic, qui a permis de localiser l’amorce d’une première fosse, poursuivies par un décapage extensif (635 m²), les fouilles menées entre 2019 et 2023 ont débouché sur la découverte de sept menhirs supplémentaires ainsi que de la fosse de fondation d’un huitième, disparu. La quantité récoltée de blocs de poudingue, le matériau préféré des « Obélix » de Wéris – qui ont dû le puiser à au moins un kilomètre de distance –, atteint un poids total de près de 32 tonnes. Les monolithes en constituent l’essentiel, le reste étant fait de petits blocs où apparaissent des traces de cassures intentionnelles.

A l’actif de la parcelle sur laquelle ont œuvré les archéologues figurent, outre les fosses, quatre trous de poteau et cinq aires aux bords empierrés. Certaines fosses ont servi à ériger les pierres, les petits blocs ayant pour fonction de stabiliser leur base. D’autres ont été creusées dans un tout autre but: se débarrasser de ces témoins supposés de rites funéraires. La datation de tessons de céramique trouvés dans la foulée suggère que les mises en terre durent avoir lieu au XVIIe siècle. Sur ces pratiques, les sources écrites sont toutefois muettes. La gêne pour l’agriculture a pu en être la raison ainsi que le caractère non chrétien de ces architectures, au moment où la lutte contre les superstitions et les survivances païennes avait été mise à l’agenda par le concile de Trente.
La plupart des blocs de poudingue ont été enterrés intacts. Certains ont été brisés. Dans un cas, seule la partie supérieure a été démantelée et enfouie. Egalement présentes dans les excavations, des pierres calcaires semblent y avoir été jetées avec le même objectif de purger le sol de tout ce qui pouvait entraver son exploitation. Des fragments de meule en grès et une molette fracturée, attribuables au néolithique, autorisent quant à eux l’hypothèse qu’une activité de mouture et un habitat ont pu exister à cet endroit.
Relevant du Patrimoine exceptionnel de la Région, le site a bien besoin d’une protection, non seulement contre l’érosion naturelle qu’il subit continuellement, mais aussi « face au nombre croissant de dégradations liées au tourisme de masse, à une radiesthésie sauvage et à des rituels prétendument chamaniques » ! Les explorateurs du lointain passé de ces pierres d’envergure appellent ainsi à prendre les mesures qui s’imposent pour qu’elles aient un avenir.
P.V.
[1] Christian FRÉBUTTE, Julien DENAYER & Jean-Marc MARION, « Nouveau programme de recherches et de sauvegarde consacré au complexe mégalithique de Wéris (Durbuy, prov. de Luxembourg, BE) » , dans Notae Praehistoricae, 43, Bruxelles, 2023, pp. 65-86, https://biblio.naturalsciences.be/associated_publications/notae-praehistoricae/NP43 (en libre accès). [retour]