Selon les données recueillies dans les années 1840, à peine 1 % des habitants du diocèse de Bruges « ne faisaient pas leurs Pâques » et n’allaient donc pas se confesser au moins une fois sur l’année. Encore le précepte pascal ne constituait-il que le minimum minimorum. Une fréquence de quatre confessions par an semble avoir été courante. Elle était d’application dans beaucoup d’établissements scolaires. Après le recul sensible des premières années du régime révolutionnaire français, de nombreux prêtres s’étant trouvés alors dans l’impossibilité d’exercer leur ministère, la pratique était rapidement revenue à son niveau du XVIIIè siècle. Le sacrement aujourd’hui le plus en crise dans le monde occidental était fréquenté par presque toute la population des Pays-Bas méridionaux, où Elwin Hofman (FWO, KULeuven) voit « une des grandes success-stories de la Contre-Réforme » [1].

Aux sources ecclésiales que constituent les manuels pour prêtres ou pour pénitents, les recueils de sermons, les procès-verbaux de visites pastorales (de doyens ou d’évêques)…, l’historien a ajouté des témoignages rencontrés au cours de ses recherches dans les dossiers judiciaires. Ces derniers risquent cependant de refléter des personnages plutôt atypiques. Mais sans surprise, l’étude conforte la représentation commune d’une religiosité très épaulée par le conformisme et le contrôle social – le fameux qu’en-dira-t-on –, sans qu’on puisse pour autant la réduire à un pur formalisme. Des indices probants à cet égard sont fournis par les comportements observés dans des contextes ou chez des individus hors d’atteinte de la pression collective en faveur de la norme. Ainsi voit-on, à Bruxelles en 1791, une foule en colère décidée à lyncher un partisan d’une faction ennemie permettre d’abord à celui-ci d’aller se confesser auprès d’un moine. Même certains assassins se montrent soucieux du salut de l’âme de leurs victimes. En 1807, Pierre de Cuypere et sa maîtresse Godelieve de Ceuninck, jugés en cour d’assises de Flandre occidentale pour avoir empoisonné la femme de Pierre, ont d’abord demandé à celle-ci si elle s’était bien confessée: ils « avioent voulu s’assurer de mettre préalablement Eugénie Vantyghem en état de grace » .

Il est toujours possible d’échapper à la vigilance des paroissiens. Joseph Coppieters, un riche fonctionnaire de Courtrai, s’éloigne tout simplement de la ville avec sa servante, à l’approche de Pâques 1727, pour ne pas devoir avouer à un confesseur qu’il prend plaisir à s’habiller en femme et à se faire flageller. Mais s’il est aisé de se dérober, on ne le fait pas aisément. La servante, complice bien malgré elle et prise de remords, finira par aller secrètement à confesse. Dans d’autres cas, le dévergondé peu enclin au repentir se met en quête d’un prêtre réputé coulant. Il est vrai aussi que pour ceux qui s’y prêtent, les conséquences de la démarche se révèlent à l’occasion problématiques: ainsi quand la pénitence imposée au pécheur est trop visible ou quand il est empêché de communier parce que l’absolution a été reportée. Au début du XIXè siècle, moment où la pratique redevient plus fréquente, les manuels destinés aux prêtres conseillent d’éviter de tels écueils.
La honte, le plus grand obstacle, préoccupe bien évidemment les hommes d’Eglise. Dans un de ses sermons publiés à Anvers en 1825, Petrus Van Dun déplore qu’il y en ait trop « die de biegt uyt schaemte van hunne zonden te belyden, vlugten » ( « qui fuient la confession par honte de devoir avouer leurs péchés » ). Les « modes d’emploi » pour pénitents argumentent afin de contrer ce sentiment en faisant valoir que Dieu sait tout de toute manière, que les fautes non avouées seront connues du monde entier au Jugement dernier, que le prêtre en a entendu bien d’autres et qu’il est tenu au secret même au prix de sa vie… Le sacrement a également une portée didactique, en ce qu’il permet d’attirer l’attention sur ce qui est bon ou pas. Sur le mariage notamment, ainsi que le souligne Petrus Valcke dans ses Sermoenen op de sondagen en feest-dagen (Gand, 1802), il est des choses à ne pas dire en chaire de vérité car on s’y adresse aussi à de chastes oreilles. « Dans différents dossiers de procès pour des affaires de sodomie, observe Elwin Hofman, des jeunes hommes racontaient, par exemple, qu’ils n’avaient été conscients d’aucun mal jusqu’à ce que leur confesseur les mette au courant de la gravité de leur péché » .
Le regain et l’importance du rite pénitentiel expliquent sans doute l’ampleur des attaques dont il est l’objet dans le discours anticlérical de l’époque. Les thèmes privilégiés sont la confession comme instrument de l’influence du prêtre et la relation que celui-ci peut entretenir par ce biais avec les femmes. Selon un simulacre de catéchisme publié à Liège en 1856 à l’usage de ceux qui « ne sont plus catholiques » , la confession est faite pour la femme et le célibat des prêtres est à la fois ce qui rassure le mari et ce qui devrait l’inquiéter. Autre grief: par les confidences qu’il a reçues, le clerc dispose de plus d’informations locales que tout autre. Et il peut, en outre, subordonner l’absolution à des conditions qui servent ses propres intérêts. Remarquons que les « psys » d’aujourd’hui, réputés avoir remplacé les médecins des âmes d’antan, font beaucoup plus rarement l’objet de tels soupçons. Au regard de l’historien en tout cas – et celui que nous citons ici est sans complaisance –, l’autorité du confesseur demeure un concept à tout le moins ambigu: « Le secret de la confession – la nécessité de se taire – faisait grandir sa puissance et la limitait en même temps » . Ceci, bien sûr, en dehors des cas de dévoiement manifestes, tel celui, révélé par un procès en 1781 à Anvers, où un certain Stocker s’entendit dire en confession que la sodomie n’était pas un mal si grand que cela… avant de se voir proposer un rendez-vous qui ne visait pas à son édification spirituelle.
Le commandement de l’Eglise en notre temps demeure que tout fidèle « doit confesser, au moins une fois par an, les péchés graves dont il a conscience » [2]. Mais il y a du pain sur la planche pastorale pour que soit repris le chemin des confessionnaux et pour convaincre les ouailles qu’ils sont toujours, selon la célèbre périphrase de Bossuet, « ces tribunaux de miséricorde, qui justifient ceux qui s’accusent » [3].
P.V.
[1] « Vermanen, vergeven en verzwijgen. Het mysterie van de biecht in de achttiende- en negentiende eeuwse Zuidelijke Nederlanden » , dans Tijd-Schrift. Heemkunde en lokaal-erfgoedpraktijk in Vlaanderen, jaargang 7, n° 2, Mechelen, 2017, pp. 35-55, https://lirias.kuleuven.be/bitstream/123456789/590693/1/Hofman2017f-VermanenVergevenVerzwijgen.pdf (en libre accès).
[2] Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, n. 1457.
[3] Oraison funèbre de Henriette-Marie de France, 1669.