Le Roman de Renart au service du Lion de Flandre

Considéré comme un père du mouvement flamand, Jan Frans Willems a étudié, édité, traduit l’épopée animale « Van den Vos Reynaerde » dans l’espoir que ce joyau des lettres médiévales contribue à la défense et à l’illustration de la langue néerlandaise. Il y a aussi mis ses propres accents et tenu compte de la pudibonderie de son temps (1807-1846)

   A Boechout en 1807, alors que nos provinces sont des départements français, un homme a perdu son emploi de percepteur et arpenteur parce qu’il ne maîtrise pas suffisamment la langue de Voltaire. Son fils âgé de 14 ans, choqué par ce drame, dédie un poème satirique de son cru « op den Maire en Municipaliteyt » . Il s’appelle Jan Frans Willems (1793-1846) et est considéré aujourd’hui comme le père culturel du mouvement flamand.

Continuer à lire … « Le Roman de Renart au service du Lion de Flandre »

Une exposition universelle entre futurisme et tradition

Comme d’autres, celle de Bruxelles en 1897 a vu s’affronter les projets valorisant le patrimoine ancien et ceux qui tablaient sur les créations présentes et à venir. Paul Hankar, un des pères de l’Art nouveau, a fait les frais de cette concurrence. Mais les « modernes » n’étaient pas tous opposés au recyclage des formes historiques (1894-1900)

   Quand Bruxelles se prépare à accueillir l’Exposition universelle de 1897, l’événement a déjà connu pas moins de trente-cinq éditions. La première, en 1851, s’est déroulée à Londres dans le cadre du célèbre Crystal Palace. Deux, relativement proches, se sont déployées à Anvers, en 1885 et en 1894. Toutes ont été de grandes manifestations commerciales et technologiques, mais aussi culturelles et patrimoniales. Les découvertes scientifiques les plus récentes et les produits de l’industrie les plus innovants y ont côtoyé les reconstitutions d’anciens cadres de vie ou de grands monuments hérités du passé.

   Dans notre capitale, cette ambivalence a été source de tensions révélatrices de l’esprit de l’époque à bien des égards. On dispose aujourd’hui, sur ce sujet, du précieux éclairage de Yaron Pesztat, philosophe de formation, curateur « architecture moderne » au Centre d’information, de documentation et d’exposition de la ville, de l’architecture, du paysage et de l’urbanisme de la Région de Bruxelles-Capitale (Civa) [1].

Continuer à lire … « Une exposition universelle entre futurisme et tradition »

Lentement mais sûrement, la féminisation du personnel politique

En 1979, tous les ministres sauf un étaient des hommes et on comptait 7,5 % de femmes élues à la Chambre. Après le scrutin de 2019, 43,3 % des députés et la moitié des ministres appartiennent au sexe qu’on n’appelle plus faible. Ces changements ne se sont pas opérés sans contraintes soulevant des questions constitutionnelles (1965-2023)

   Le 28 juillet 1965 entrait en fonction, avec l’installation du gouvernement Harmel, la première femme ministre de notre histoire. Il s’agissait de Marguerite De Riemacker-Legot, sociale-chrétienne flamande, en charge de la Famille et du Logement. Un portefeuille pas très régalien, dira-t-on, mais qui pouvait imaginer en ce temps qu’un jour nous aurions une ministre de la Défense nationale – Ludivine Dedonder (socialiste) actuellement –, alors que la carrière militaire et le service obligatoire concernaient les hommes seuls ? Et même si ce ne fut que pour onze mois, le passage de Sophie Wilmès (libérale) au 16, rue de la Loi, siège du Premier ministre, entre le 27 octobre 2019 et le 1er octobre 2020, sera lui aussi considéré comme un précédent symbolique.

   La féminisation croissante du personnel politique belge, surtout depuis le dernier quart du XXe siècle, constitue un trait suffisamment saillant pour retenir l’attention, indépendamment de tout sacrifice à la mode des études de genre. Julien Pieret et Joëlle Sautois (Université libre de Bruxelles, centre de recherche de droit public) ont récemment retracé les étapes du processus en s’interrogeant sur le rôle qu’a pu jouer – ou non – l’existence de normes contraignantes en la matière [1].

Continuer à lire … « Lentement mais sûrement, la féminisation du personnel politique »

Lumumba, « une histoire encombrée de mythes »

La « responsabilité morale » du gouvernement belge dans l’assassinat du Premier ministre congolais demeure la vérité « officielle » depuis qu’une commission d’enquête parlementaire a conclu en ce sens. Mais la responsabilité des acteurs locaux et les crimes que suscita le « héros de l’indépendance » sont absents de ce récit (1960-1961)

Le retour d’un héros: sous ce titre, un film récemment promotionné relate les manifestations et célébrations qui ont accompagné et suivi la restitution aux représentants de la République démocratique du Congo (RDC), le 20 juin 2022, d’une relique supposée de Patrice Lumumba. Le documentaire donne largement la parole au sociologue Ludo De Witte, auteur d’un livre qui fit grand bruit, il y a plus de vingt ans, en présentant l’assassinat du leader du Mouvement national congolais (MNC) et de deux de ses compagnons, le 17 janvier 1961, comme le résultat d’un complot fomenté par les milieux dirigeants politiques et économiques belges [1]. En dépit du fait que la commission d’enquête parlementaire mise sur pied à la suite de cette parution arriva, quant à elle, à de tout autres conclusions…

Continuer à lire … « Lumumba, « une histoire encombrée de mythes » »

Comment on devient « Juste parmi les nations »

Deux familles juives allemandes réfugiées, qui se partageaient un appartement à Bruxelles, ont été décimées sous l’occupation. Un de leurs membres, le jeune Ralph Mayer, a été caché chez l’avocat Albert Jonnart, à qui cet hébergement coûta la vie, puis dans les locaux des musées royaux d’Art et d’Histoire par l’archéologue Jacques Breuer (1940-1944)

   Au 1er janvier 2022, pas moins de 1787 Belges avaient reçu le titre de « Justes parmi les nations » , décerné en Israël par la fondation Yad Vashem, gardienne de la mémoire de l’holocauste [1]. Mais bien plus élevé fut en réalité le nombre des hommes et des femmes qui, entre 1940 et 1944, contribuèrent chez nous, parfois au péril de leur vie, à sauver des Juifs de la déportation.

   Avant la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique aurait compté entre 60.000 et 90.000 israélites, fourchette large qui s’explique par l’absence de recensement racial ou religieux. On avait généralement estimé à un tiers le nombre de membres de la communauté qui furent cachés par des personnes ou des institutions. Au début de ce siècle, Sylvain Brachfeld, journaliste d’origine anversoise établi en Israël, a refait les calculs et porté la proportion à quelque 56 % [2].

   Pour retracer minutieusement une de ces actions de secours, qui concerna en partie sa propre famille, Jean-Christophe Dubuisson, professeur d’histoire et de français, s’est mis à la recherche des témoins et des archives, dans notre pays et à l’étranger. En résulte un ouvrage qui illustre au mieux comment des individus, sans prédispositions apparentes, peuvent s’élever à l’héroïsme au quotidien [3].

Continuer à lire … « Comment on devient « Juste parmi les nations » »

La lanterne magique au service de l’internationale catholique

Floris Prims, prêtre et historien, y eut recours pour promouvoir l’Œuvre des enfants hongrois, visant notamment à offrir à ceux-ci des familles d’accueil temporaire quand la misère régnait dans leur pays, dominé un temps par les communistes. Ce média se prêtait au mieux à une sensibilisation en faveur de la solidarité jouant sur l’émotion (1923-1927)

   Les lendemains de la Grande Guerre ont vu les horizons de l’opinion publique s’élargir vers l’Europe centrale et orientale, théâtre d’événements tragiques. Le sort des plus petits, en particulier, a retenu l’attention: ce n’est pas sans raison qu’Ellen Key avait annoncé, dès 1900, l’avènement du « siècle de l’enfant » . L’aide organisée en Belgique s’est ainsi adressée aux tout jeunes de Russie, d’Autriche, mais surtout de Hongrie. Selon les estimations, entre 1923 et 1927, ils furent 21.542 à venir de ce pays par trains spéciaux pour être placés dans des familles d’accueil. Margo Buelens-Terryn et Eleonora Paklons (Université d’Anvers) ont récemment retracé cette action aujourd’hui centenaire, en portant l’accent sur les moyens modernes mis à contribution pour la promouvoir [1].

Continuer à lire … « La lanterne magique au service de l’internationale catholique »

Le missionnaire comme personnage romanesque

Après l’indépendance congolaise, les « success-stories » sur fond de progression du christianisme en Afrique ont fait place à une littérature reflétant davantage les doutes et les conflits intérieurs des évangélisateurs sur le sens et les modaliés de leur mission (1885-1973)

   Avant indépendance = après indépendance ? Ce fut, on le sait, le vain espoir du lieutenant-général Janssens, qui commandait la Force publique congolaise bientôt mutinée. L’équation ne s’est pas davantage vérifiée pour l’Eglise, même si elle n’a pas connu les mêmes troubles en interne. Le tournant de 1960 a contraint les prêtres et les religieux, tant autochtones que belges, à repenser leurs activités. Les représentations même dont ils étaient l’objet, dans l’ex-colonie comme dans l’ex-métropole, en ont été transformées. La littérature constitue à cet égard une source de choix, comme l’illustre une récente étude due à Lieselot De Taeye (Fonds Wetenschappelijk Onderzoek – Universiteit Gent) [1].

Continuer à lire … « Le missionnaire comme personnage romanesque »

L’indépendance congolaise vue de Rome

Si le Saint-Siège a été très tôt favorable à l’accession graduelle des peuples colonisés à un self-government, des voix discordantes se sont fait entendre. Les émeutes de 1959 et le lâcher tout de la Belgique ont conduit le Vatican à accélérer l’africanisation du clergé, tout en appelant au maintien de liens étroits avec l’ex-métropole (1954-1960)

   En 1957 paraissait, sous le titre Le Vatican contre la France d’outre-mer ?, un ouvrage qui fit le buzz, comme on dirait de nos jours. Dans l’esprit de son auteur François Méjan, le point d’interrogation était en fait superflu. La papauté poussait bel et bien à l’indépendance des peuples colonisés, selon ce haut fonctionnaire socialiste qui le déplorait, et il n’était pas le seul. Chez nous aussi, l’idée d’un soutien du successeur de Pierre aux émules de Senghor et de Sékou Touré était et demeure répandue.

   Qu’en fut-il pour le Congo belge et les territoires sous tutelle (Ruanda-Urundi) ? Guy Vanthemsche, professeur émérite d’histoire contemporaine à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et spécialiste de notre histoire africaine, a interrogé à ce propos les sources disponibles, particulièrement celles émanant des diplomates en poste auprès du Saint-Siège. La réalité qui en ressort s’avère des plus nuancées [1].

Continuer à lire … « L’indépendance congolaise vue de Rome »

Colonisations, décolonisations: la difficile impartialité

Aux Pays-Bas comme en Belgique, les discours de repentance succèdent aux rapports sur le passé colonial. Focus sur la guerre d’indépendance indonésienne dans un cas, sur toute l’histoire de l’Afrique belge dans l’autre. Mais chez nous comme chez nos voisins, les enquêtes font l’objet de critiques pour avoir été menées uniquement à charge

   Toute ressemblance avec des faits qui nous sont familiers ne serait sans doute pas fortuite. Le 17 février 2022 était publié aux Pays-Bas le rapport d’une enquête menée par trois institutions scientifiques sous le titre Indépendance, décolonisation, violence et guerre en Indonésie 1945-1990 (Onafhankelijkheid, dekolonisatie, geweld en oorlog in Indonesië 1945-1950). Quelques heures à peine après cette communication, le Premier ministre Mark Rutte présentait des excuses officielles et publiques pour la violence extrême des « opérations de police » – selon la terminologie du temps – qui visèrent à maintenir la souveraineté néerlandaise sur l’archipel asiatique.

   Bis repetita… ? En 2020 déjà, le roi Willem-Alexander avait fait pareille amende honorable, mais la thèse admise alors, conformément à un premier rapport daté de 1969 (Excessennota), conférait aux exactions commises un caractère incidentel, lié à des initiatives isolées. La nouvelle « vérité » veut qu’elles aient été « extrêmes et structurelles » , engageant la responsabilité du pouvoir politique.

   Différents enseignements sont à tirer de la comparaison entre ces repentirs d’outre-Moerdijk et les « plus profonds regrets » exprimés et réitérés par notre roi Philippe, dans une lettre au président Félix Tshisekedi en juin 2020, puis à Kinshasa en juin 2022, deux faits entre lesquels est intervenue, en octobre 2021, la publication d’un rapport d’experts sur le passé colonial belge, qui n’a pas fini de faire des vagues…

Continuer à lire … « Colonisations, décolonisations: la difficile impartialité »

Les sciences sociales, d’un engagement à l’autre

D’abord conçue comme une spécialisation pour les étudiants en droit et un vivier de cadres politiques catholiques, la faculté qui leur est consacrée à l’Université de Louvain est devenue plus autonome et s’est détachée du pilier chrétien, mais grande est la perméabilité des chercheurs aux courants qui traversent la société (1892-2013)

   En octobre 1892, l’école des sciences politiques et sociales démarre à l’Université de Louvain avec 36 étudiants dont beaucoup d’élèves libres. Depuis, l’effectif a plus que centuplé rien que du côté flamand: 3923 inscrits pour l’année académique 2020-2021 à la faculteit sociale wetenschappen [1], incluant la politologie, la communication, la sociologie et l’anthropologie, mais non la science économique qui a pris le large entre-temps. Bien d’autres changements majeurs sont intervenus au fil des ans quant à la conception et aux méthodes des disciplines concernées. Emmanuel Gerard, historien, professeur émérite et ancien doyen de la faculté, a entrepris de retracer le chemin parcouru dans un livre qui n’est pas que d’intérêt local [2].

Continuer à lire … « Les sciences sociales, d’un engagement à l’autre »