L’autre silence papal: Benoît XV et la Grande Guerre

Comme Pie XII pendant le deuxième conflit mondial, le Pape s’est plié à la règle de l’impartialité qu’impose l’universalité de l’Eglise. En s’abstenant de condamner publiquement les atrocités allemandes en Belgique, il a évité d’exposer la population à des représailles mais s’est heurté à l’incompréhension (1914-1918)

   Un nom qui restera lié au souvenir d’une « immense omission » , d’un « des plus grands silences de l’histoire » : telle est, sous la signature de Maurice Geneste, l’appréciation portée par le journal catholique namurois Vers l’avenir, le 23 janvier 1922, sur la figure de Benoît XV au lendemain de son décès [1].

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L’éternel retour des communiants

L’accès des enfants à l’eucharistie donne lieu à une préparation et une cérémonie publique qui n’ont cessé de gagner en importance. Quantités de coutumes sont venues se greffer à la fête, mais ce sont les plus profanes qui ont survécu. Que reste-t-il de l’attention portée naguère au suivi spirituel après le grand jour ? (XVIIe-XXe siècles)

   Elle a connu bien des avatars heureux ou non, cette fête aux communiants qui nous revient chaque année pendant le temps pascal, généralement en avril ou en mai. Instant privilégié naguère dans l’existence individuelle et collective, elle constitue aujourd’hui pour beaucoup de familles un des rares moments encore concédés à la pratique religieuse – avec le baptême, le mariage et les funérailles. Mais quel sens lui donnent encore ceux qui y participent ?

   On mesure tout l’écart entre passé et présent à la lecture de l’évocation, par le folkloriste et conteur Marcel Pignolet, de la manière dont fut vécu l’accès des enfants à la sainte table dans l’Ardenne de la première moitié du XXe siècle et en deçà [1]. Les travaux scientifiques édités sur le sujet n’abondent pas. Pour l’ensemble de la Belgique romane, je n’ai rien trouvé de postérieur à la synthèse de Jean Fraikin et Pierre Fontaine, historiens des coutumes et des parlers, qui récoltèrent écrits, objets, images de piété et documents photographiques puissamment évocateurs [2].

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Quand nos ancêtres se débarrassaient des menhirs

Les dernières recherches menées au complexe mégalithique de Wéris ont permis de rendre à des menhirs leur position initiale. Elles éclairent en outre la pratique qui consista, aux temps modernes, à enfouir les monolithes jugés gênants pour l’agriculture et/ou liés à des pratiques superstitieuses (3200 – 2600 avant J-C)

   Avec ses 21 menhirs isolés ou en groupes, dispersés sur une longueur de huit kilomètres, ainsi que ses deux allées qu’une pierre couvre telle un toit, le complexe mégalithique de Wéris (Durbuy) n’a pas fini d’impressionner les visiteurs et d’interroger les chercheurs. De nouvelles avancées viennent d’être publiées pour la connaissance de ce site daté, sur la base d’ossements humains, de la fin du néolithique (3200 – 2600 avant J-C) [1].

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Hommages congolais aux franciscains belges

Ils étaient huit au départ pour œuvrer dans le sud-est de la colonie, sur un territoire de 200.000 km². Avec des moyens dérisoires, ils ont évangélisé, construit et transmis un savoir précieux sur les langues et la mentalité africaines. Leurs successeurs noirs n’ont pas oublié de qui ils furent tributaires (1920-2022)

   Entre 1920, année de leur arrivée, et 1940, nonante missionnaires franciscains belges ont été actifs au Congo belge. En règle générale, après une décennie sur place, ils rentraient au pays pendant un an pour retrouver leur famille, se reposer, soigner les maladies ou infections dont la plupart étaient atteints, mais aussi collecter des fonds, témoigner et, si possible, susciter de nouveaux ouvriers pour la moisson. De ces fils de saint François d’Assise, un successeur africain, le frère Nicolas Tshijika Tshifufu, s’est fait l’historien. Je m’arrêterai ici au volume qu’il a consacré aux figures issues de la province flamande Saint-Joseph, en pointe sur ce terrain [1]. Elle comptait du reste des Wallons en son sein.

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Des martyrs inconnus chez les capucins de Bruxelles

De leur établissement supprimé sous le régime français demeurent notamment deux toiles de Gaspar de Crayer représentant les saints Agapit et Florent, inconnus au bataillon hagiographique. Avec d’autres, ils avaient été ramenés des catacombes romaines pour doter les frères mineurs d’un haut lieu spirituel (XVIIe-XVIIIe siècles)

   Quelle mouche a piqué Gaspar De Crayer, disciple de Rubens (1582-1669) – ou ses commanditaires – pour qu’il consacre deux toiles à deux saints dont on n’avait guère ou pas du tout souvenir, même à son époque ? A l’origine, les œuvres appartenaient à la communauté des capucins de Bruxelles. Elles sont conservées aujourd’hui aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) et ont fait récemment l’objet d’un travail de restauration, occasion pour Lara de Merode, diplômée de l’Université libre de Bruxelles, d’en retracer le cheminement [1].

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Une porte du ciel pour les statues bien élevées

L’église Notre-Dame à Bruges conserve l’exemplaire ancien et rare d’un dispositif qui permettait de visualiser les scènes de l’Ascension ou de l’Annonciation, entre autres. L’ouverture était pratiquée généralement à la croisée du transept. Vers elle ou à partir d’elle, on voyait les figures religieuses monter ou descendre selon le récit biblique

   Connue surtout pour la hauteur où s’élancent sa tour et sa flèche, l’église Notre-Dame à Bruges ne fait pas partie des édifices les plus visités par les touristes. Elle constitue pourtant un cas, unique dans nos régions et rare en Europe, en ce qu’elle recèle une entrée symbolique vers le ciel, pratiquée dans son plafond, ainsi qu’un mécanisme qui permettait d’y élever certaines statues voire, peut-être, quelques exemplaires de ces dernières. On doit à l’historien de l’art Jean Luc Meulemeester de précieux éclairages à ce propos [1].

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Le missionnaire comme personnage romanesque

Après l’indépendance congolaise, les « success-stories » sur fond de progression du christianisme en Afrique ont fait place à une littérature reflétant davantage les doutes et les conflits intérieurs des évangélisateurs sur le sens et les modaliés de leur mission (1885-1973)

   Avant indépendance = après indépendance ? Ce fut, on le sait, le vain espoir du lieutenant-général Janssens, qui commandait la Force publique congolaise bientôt mutinée. L’équation ne s’est pas davantage vérifiée pour l’Eglise, même si elle n’a pas connu les mêmes troubles en interne. Le tournant de 1960 a contraint les prêtres et les religieux, tant autochtones que belges, à repenser leurs activités. Les représentations même dont ils étaient l’objet, dans l’ex-colonie comme dans l’ex-métropole, en ont été transformées. La littérature constitue à cet égard une source de choix, comme l’illustre une récente étude due à Lieselot De Taeye (Fonds Wetenschappelijk Onderzoek – Universiteit Gent) [1].

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L’indépendance congolaise vue de Rome

Si le Saint-Siège a été très tôt favorable à l’accession graduelle des peuples colonisés à un self-government, des voix discordantes se sont fait entendre. Les émeutes de 1959 et le lâcher tout de la Belgique ont conduit le Vatican à accélérer l’africanisation du clergé, tout en appelant au maintien de liens étroits avec l’ex-métropole (1954-1960)

   En 1957 paraissait, sous le titre Le Vatican contre la France d’outre-mer ?, un ouvrage qui fit le buzz, comme on dirait de nos jours. Dans l’esprit de son auteur François Méjan, le point d’interrogation était en fait superflu. La papauté poussait bel et bien à l’indépendance des peuples colonisés, selon ce haut fonctionnaire socialiste qui le déplorait, et il n’était pas le seul. Chez nous aussi, l’idée d’un soutien du successeur de Pierre aux émules de Senghor et de Sékou Touré était et demeure répandue.

   Qu’en fut-il pour le Congo belge et les territoires sous tutelle (Ruanda-Urundi) ? Guy Vanthemsche, professeur émérite d’histoire contemporaine à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et spécialiste de notre histoire africaine, a interrogé à ce propos les sources disponibles, particulièrement celles émanant des diplomates en poste auprès du Saint-Siège. La réalité qui en ressort s’avère des plus nuancées [1].

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Dans quelle langue évangéliser au Congo ?

Fallait-il miser sur le kongo, le kiteke, le bobangi, le bangala… ? La question s’est posée notamment aux missionnaires baptistes, dont les choix ont varié en fonction des périodes et des implantations. Parallèlement, l’opportunité ou non de forger une langue « améliorée » et normative a été source de tensions et de contradictions (1879-1940)

   Les bons frères croient dire aux indigènes que « le Christ est au Ciel » . En fait, ceux-ci comprennent que « le Christ est dans une coquille d’escargot » . S’agit-il de leur enseigner le commandement « tu ne commettras pas d’adultère » ? Celui-ci est en réalité reçu par les auditeurs comme étant « tu ne demanderas pas d’honoraires pour l’adultère » ! Telles sont parmi bien d’autres, s’il faut en croire John Whitehead, membre de la Baptist Missionary Society (Société baptiste missionnaire, BMS), les horreurs de traduction auxquelles a conduit, à la fin du XIXe siècle, la mauvaise connaissance par ses coreligionnaires du bobangi, langue bantoue aujourd’hui en usage dans une zone située sur la rive gauche du fleuve Congo, grosso modo entre Lukolela et Bolobo. L’auteur de ces remarques, contenues dans une lettre datée de 1904, a publié quelques années auparavant une Grammar and Dictionary of the Bobangi Language, mais cet ouvrage est alors lui-même des plus controversés.

   A l’aide notamment des archives de la BMS conservées à Oxford, Michael Meeuwis, spécialiste des langues et cultures africaines, professeur à l’Université de Gand, a retracé le cheminement, les hésitations, les revirements aussi de l’évangélisation et de la scolarisation protestantes confrontées, là où elles ont été dominantes, à la diversité foisonnante des parlers locaux [1].

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Ne croyez pas les dénigreurs d’Albéron II!

Marqué notamment par la reprise du château de Bouillon, le règne politique et religieux de cet évêque de Liège a été amplement discrédité par son successeur. Venu de l’Eglise de Metz et soutenu par le Pape, il offrait pourtant l’avantage de ne pas être lié aux clans qui s’affrontaient pour imposer leur candidat (1135-1145)

   Quand, en 1145, Albéron II meurt en Italie, on ne ramène pas son corps à Liège bien qu’il en soit l’évêque. Ce retour sera pourtant accordé en 1167 à son successeur Henri II de Leez, passé lui aussi de vie à trépas au-delà des Alpes. Sa dépouille sera ensevelie dans la cathédrale Saint-Lambert. Même un prédécesseur déshonoré, Alexandre Ier, déposé en 1135, a eu droit à cette dignité. L’exception peut certes résulter de maintes raisons. Elle n’en est pas moins symbolique d’une mauvaise réputation dont l’historiographie a gardé les traces.

   D’où vient-elle ? Selon Julien Maquet qui a proposé, au dernier congrès francophone d’histoire et d’archéologie tenu à Tournai, une réévaluation du treizième successeur de Notger, la piètre estime en laquelle ont été tenues ses dix années de pouvoir politique et religieux résulte d’un travail de sape mené par le précité Henri de Leez et son entourage [1]. Pour en comprendre les ressorts, il faut parfois lire les sources entre les lignes…

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