La belgitude des Schtroumpfs

Des « démons » communautaires aux dérives politiciennes, Peyo ne s’est pas privé d’épingler maints de nos travers nationaux. Mais ses récits mettent aussi en valeur les vertus de la tradition chevaleresque et la figure du roi garant de stabilité (1946-)

En 1973, la Belgique vient d’entrer dans une longue période d’instabilité politique, qui lui vaudra en une décennie de connaître quatre premiers ministres différents, douze gouvernements et quatre élections renouvelant la Chambre et le Sénat. La cause en réside dans ce que Wilfried Martens appellera un jour nos « démons » . Dans le sillage du « Walen buiten » qui a retenti à Louvain en 1968, la révision constitutionnelle de 1970 a consacré la division du pays en trois Communautés et prévu la création de trois Régions. Mais on bute, avec une constance désespérante, sur le statut de Bruxelles et de son agglomération.

C’est dans ce contexte que paraît l’album Schtroumpf vert et vert schtroumpf, le neuvième des petits lutins bleus à bonnet blanc imaginés par Peyo. Et le contexte n’est pas indifférent. Point de départ de l’intrigue: une dispute survenue entre deux Schtroumpfs à propos d’un tire-bouchon, que l’un appelle « tire-bouschtroumpf » et l’autre « schtroumpf-bouchon » . La polémique linguistique fait tache d’huile et c’est bientôt tout le village qui est gagné. Une frontière est tracée entre Schtroumpfs du Nord et Schtroumpf du Sud, selon le mot que les uns et les autres remplacent par « schtroumpf » . Seul à pouvoir rester au-dessus de la mêlée, le Grand Schtroumpf rétablit bien un semblant d’unité en se donnant l’apparence du sorcier Gargamel, histoire de rappeler qu’il est des enjeux autrement importants que celui qui a semé la zizanie et qui n’est que « chou vert et vert chou » (expression typiquement belge). Mais à la dernière planche, le doyen à la barbe blanche s’éloigne dépité, alors qu’une note au-dessus de l’indication « Fin » ne laisse pas de doute: « Eh non, le problème du langage au Pays des Schtroumpfs n’est pas près d’être résolu » . Continuer à lire … « La belgitude des Schtroumpfs »