La paix de Fexhe (1316), fruit de la crise économique ?

L’apparition de nouveaux corps sociaux dans les villes, les luttes fiscales, le renversement de la conjoncture, les problèmes monétaires… n’ont pas peu pesé dans les affrontements auxquels elle a mis fin entre le prince-évêque de Liège et les autres pouvoirs. Et c’est une famine qui a disposé les adversaires à négocier (XIVè siècle)

   Le 18 juin 1316, après des années d’affrontements, le prince-évêque de Liège Adolphe de la Marck et les représentants des corps constitués (chanoines, grands chevaliers, villes importantes appelées « bonnes villes » ) s’entendaient pour mettre fin aux hostilités dans le village de Fexhe-le-Voué, aujourd’hui Fexhe-le-Haut-Clocher. S’il faut mettre bien des nuances à une certaine vision romantique prompte à exagérer la portée de ce compromis établissant un équilibre entre les pouvoirs, il n’en a pas moins fourni une sorte de base « constitutionnelle » à ce que l’historien Jean Lejeune appellera la « démocratie corporative » liégeoise. En substance, la Paix de Fexhe imposait au prince le respect des lois du pays, proscrivait tout arbitraire dans l’exercice de la justice et subordonnait toute réforme législative à l’accord unanime du « sens » du pays (le prince et les trois états cités en début d’article).

   Mais d’où provenait la crise politique qui a trouvé ainsi son dénouement ? Comme c’est bien souvent le cas, on se trouve en présence d’un enchevêtrement de causes qui ne se limitent pas à la dialectique des « petits » et des « grands » . Y interviennent des rivalités entre élites, des jeux de partis, des conflits entre métiers ou en leur sein… Le contexte économique a également joué un rôle majeur. Nul besoin d’être un historien marxiste pour reconnaître l’importance de ce facteur! « Il ne faut pas attendre des causes économiques toutes les explications de l’histoire. Mais il ne faut pas ignorer les causes matérielles qui façonnent les rapports de force au pays de Liège » , a souligné le médiéviste Alexis Wilkin (Université libre de Bruxelles) dans son intervention au colloque réuni à Liège, les 15 et 16 septembre 2016, sur la Paix de Fexhe et les révoltes similaires de l’époque [1].

LIEGE.  TABLEAU REPRESENTANT LA PAIX DE FEXHE.  Photo Michel Tonneau
La fresque de la Paix de Fexhe, restaurée en 2016, au Palais provincial de Liège. Elle est due au peintre Emile Delpérée (1850-1896). (Source: Province de Liège, www.provincedeliege.be)

   Parmi ces données s’impose notamment l’émergence de luttes fiscales, liées à l’apparition de nouveaux corps sociaux dans les villes en pleine croissance. Dans le collimateur tombent ainsi les exemptions du clergé, dont le poids est considérable dans l’espace urbain comme dans les structures du pouvoir liégeois. Les projets visant à contraindre les ecclésiastiques d’y aller de leurs deniers et l’opposition de ces derniers ou leur désir, à tout le moins, de limiter leurs pertes suscitent une conscientisation politique. On peut y voir les révoltes ultérieures en germe. Le clergé secondaire (des collégiales) se structure en un « parti » pour défendre ses intérêts. Les groupes de métiers s’affirment avec une finalité identique, même si elle s’ajoute à d’autres (organisation du travail, prix, qualité…).

   Mais Liège n’est pas qu’un « paradis des curés » . La vie économique y est intense et les échanges commerciaux avec l’étranger de grande ampleur. Il en résulte qu’ici comme à Huy, à Cologne ou dans les villes de Flandre, ce qu’il est convenu d’appeler la crise du XIVè siècle va frapper durement. « Les récits parlent d’un monde plein, arrivé à saturation » , observe Alexis Wilkin. Le renversement de la conjoncture se traduit notamment par un ralentissement des exportations (la dinanderie est particulièrement touchée) et des bouleversements systémiques (qui touchent notamment le commerce du vin confronté à la concurrence des vins français qui commencent à être acheminés).

   D’autres grilles de lecture font intervenir les problèmes monétaires. Que le prince-évêque Hugues de Chalon ait été muté à Besançon par le Pape en 1301 pour avoir laissé son frère frapper des pièces n’ayant pas le poids requis est certes plus qu’anecdotique. Les monnaies de mauvais aloi suscitent l’engouement des locataires, entre autres, qui sont tentés de payer avec elles leurs propriétaires. Les échevins devront réglementer. C’est l’époque où le chanoine de la cathédrale Godefroid de Fontaines [2], dont l’enseignement à l’Université de Paris se nourrit des événements liégeois, s’interroge avec d’autres sur l’équité entre ceux qui possèdent et ceux qui louent.

   Enfin, très près du dernier épisode de la guerre intraliégeoise, intervient la grande famine de 1315-1316. Epuisés et anémiés, les adversaires s’avèrent plus enclins à négocier. Un phénomène météorologique semble être à l’origine de la disette qui, frappant de multiples régions, provoque une fuite vers d’autres cieux du grain dont le coût s’en trouve encore accru. En 1317, la « Lettre des vénaux » promulguée par le prince-évêque établit pour la première fois des normes en matière de vente des denrées. Alexis Wilkin ne voit toutefois pas dans cette tentative de régulation une volonté de favoriser le bien commun. « Une analyse beaucoup plus détaillée et circonstanciée de ce texte montre qu’en fait, il reflète exactement ou au moins en partie les rapports de force qui sont consécutifs à la conclusion de la Paix de Fexhe. Dans les échanges économiques, le texte avantage singulièrement les chanoines de la cathédrale, qui se voient octroyer des monopoles de vente sur le grain. Au sortir d’un épisode de famine, c’est encore plus marqué et peut-être encore plus choquant… Il s’agit peut-être d’une mesure compensatoire pour les pertes consécutives aux manipulations monétaires. Il s’agit certainement du reflet d’une position privilégiée de la cathédrale qui est au cœur politique du jeu » .

   De nos jours, le magistère de l’Eglise est le premier à mettre en garde contre le cléricalisme, entendu comme l’exercice par les clercs d’un pouvoir temporel. Cet enseignement est le fruit d’une expérience séculaire…

P.V.

[1] Depuis que ce compte-rendu a été rédigé, les actes ont été publiés sous la direction de Christophe  MASSON et Bruno DEMOULIN, La Paix de Fexhe (1316) et les révoltes dans la principauté de Liège et dans les Pays-Bas méridionaux. Actes du colloque tenu à Liège les 15 & 16 septembre 2016, Bruxelles, Archives générales du royaume (série « Studies in Belgian History » , vol. 5, publication n° 5895), 2018.

[2] Qui a fait l’objet au même colloque d’une communication de l’évêque de Liège Mgr Jean-Pierre Delville, avec sa casquette d’historien.

3 réflexions sur « La paix de Fexhe (1316), fruit de la crise économique ? »

  1. La Paix de Fexhe maintes fois violée, maintes fois renouvelée au cours des siècles qui suivront reste avec la Charte de Cortenberg au Brabant, un tournant fondamental dans la manière d’exercer le pouvoir dans ce qui deviendra la Belgique (même si, bien sur, cette situation n’est pas exclusive) : un partage entre le souverain et les forces vives du pays , un début de démocratie plusieurs siècles avant les pays voisins. La Paix de Fexhe, laisse 7 siècles après une trace toujours visible dans les comportements et les structures politiques de nos pays.

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  2. je reste ici en Belgique j’y suis né,ce commentaire et tres bien realiser,serait’il possible SVP,me le transmettre par courrier,mon adresse et la suivante monsieur lion marcel ,rue des usines ,01 ,Erquelinnes 6560 ,Belgique .merci

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