Naître noble ou le devenir ?

Sous les ducs de Bourgogne, l’accumulation des propriétés et les services rendus au pouvoir politique constituent des voies royales pour gagner son blason, même si les concurrences et les adversités ne manquent pas. Illustration à travers le cas de la famille de Goux dans le comté de Flandre (XVè siècle)

   La nature spécifique de la noblesse et les moyens de l’acquérir offrent ample matière à débats aux historiens. La classe n’est nullement immuable, ne serait-ce qu’en raison des appels d’air créés par les lignages en extinction. Mais sur l’importance respective des conditions à remplir pour gagner son blason, les interrogations fusent. Le « vivre noblement » , fréquemment invoqué, perd de sa force quand nombre des activités et des biens qui le caractérisent deviennent accessibles au commun des mortels. La possession d’une seigneurie, qui n’est pas censée être vendue, devient un critère problématique dans une société de plus en plus commerçante, mais il ne disparaît pas pour autant. Les services rendus au pouvoir politique, surtout quand l’Etat est en formation, constituent quant à eux assurément, avec ou sans les caractéristiques précédentes, une voie royale vers l’anoblissement.

   Etudié par Tom De Waele (Université de Gand), le cas de la famille de Goux, dans le contexte du comté de Flandre de la première modernité, s’impose comme des plus significatifs, même s’il est loin d’épuiser tout le champ des possibles [1]. Une carrière brillante à la cour des ducs de Bourgogne et l’acquisition de terres voisines finalement unifiées ont ici cumulé leurs effets.

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« A perpétuité exclus de tout pouvoir… »

Telle est, depuis 1830, la disposition qui frappe en Belgique les membres de la famille d’Orange-Nassau inscrits dans l’ordre de succession au trône des Pays-Bas. Cette exclusion n’a plus de raison d’être aujourd’hui, mais elle ne paraît pas contraire au droit européen et les pères de la Constitution ont fait en sorte qu’elle soit intangible

   Le 7 décembre prochain, la princesse Catharina-Amalia, fille du roi Willem-Alexander et de la reine Máxima, appelée normalement à succéder à son père sur le trône des Pays-Bas, fêtera son 18è anniversaire. A cette occasion, le monde politique et les médias d’outre-Moerdijk ont (re)découvert une particularité, une étrangeté diront certains, sur laquelle un livre signé par un ancien député et bourgmestre [1] est également venu attirer l’attention. Il s’agit de l’impossibilité, pour la princesse d’Orange comme pour ses deux sœurs cadettes, d’épouser un prince héritier de Belgique.

   Bien sûr, ce ne sont pas les personnes qui sont ici en cause. L’interdit résulte d’un décret adopté le 24 novembre 1830 par le Congrès national, qui élabora notre Constitution. Faisant suite à un autre décret relatif à l’indépendance de la Belgique, ce texte déclare, « au nom du peuple belge » , que « les membres de la famille d’Orange-Nassau sont à perpétuité exclus de tout pouvoir en Belgique  » . Et pour bien verrouiller cette disposition, l’assemblée précisa qu’elle agissait comme « corps constituant » … tout en s’abstenant d’inscrire cette proscription dans les articles constitutionnels, afin qu’on ne puisse pas la soumettre à révision comme c’est le cas pour ceux-ci.

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Von Falkenhausen, l’occupant qui se disait résistant

Le commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France de 1940 à 1944 a su cultiver sa réputation de modéré atténuant les rigueurs de l’occupation allemande. S’il fut, de fait, opposé au régime national-socialiste, ce très fut passivement, tout en appliquant et parfois devançant les ordres répressifs qui venaient de Berlin (1878-1966)

   « Belgica ingrata, non possedibis ossa mea » ( « Belgique ingrate, tu n’auras pas mes os » ): tel est le contenu du billet que le général Alexandre von Falkenhausen fit remettre, depuis la voiture qui le reconduisait à la frontière allemande, à des journalistes du Soir qui souhaitaient l’interviewer [1]. C’était en mars 1951. Quelques jours auparavant, le commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France de 1940 à 1944 avait été condamné comme criminel de guerre. Une décision gouvernementale de libération et d’expulsion hors du territoire national avait néanmoins suivi promptement.

   Nombre d’acteurs et de témoins de l’époque ont loué la relative modération dont aurait fait preuve le gouverneur de l’occupation, ainsi que son hostilité avérée au régime national-socialiste. Cette image prit encore plus d’ampleur en 1960 quand von Falkenhausen, veuf de sa première épouse, se remaria avec une ancienne résistante belge, Cécile Vent, de 28 ans sa cadette. La presse internationale afflua alors au chalet de bois où il s’était établi à Nassau, dans la vallée de la Lahn (Rhénanie-Palatinat). L’écrivain français Edmonde Charles-Roux trouva cette histoire très romantique et lui consacra un article laudatif dans le magazine Elle.

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