Une ardeur d’avance sur le concile de Trente

Il était issu d’une grande famille et d’esprit plutôt mondain. Pourtant, l’évêque Robert de Croÿ a fait démarrer la Réforme catholique sur les chapeaux de roue dans son diocèse de Cambrai, qui s’étendait alors jusqu’à Bruxelles et Anvers. Les distances et les troubles politiques ont toutefois handicapé son action (1529-1556)

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Portrait de Robert de Croÿ par Willem Key daté de 1547, peu après son retour de Trente. On remarque les armes de la famille dans le coin supérieur gauche. (Source: Christie’s, Londres, 9 déc. 2009, https://www.invaluable.com/auction-lot/willem-adriaensz.-key-breda-c-.-1515-6-1568-ant-149-c-ec59a406a5#)

Le début du XVIè siècle est fréquemment décrit comme une période de décadence religieuse, sous l’égide d’évêques mondains, provenant de familles nobles qui rejoindront souvent les rangs des opposants aux décrets du concile de Trente. Mais des recherches récentes font entendre une autre musique. Il en ressort, en effet, que si certaines circonstances et certains acteurs firent barrage et si les tribulations de la révolte des anciens Pays-Bas étaient largement imprévisibles et capricieuses, la réforme tridentine a démarré chez nous sur les chapeaux de roues, parfois sans même attendre la fin des sessions convoquées par le Pape sur les bords de l’Adige entre 1545 et 1563 (avec des interruptions).

L’épiscopat de Robert de Croÿ à Cambrai (1529-1556) est de ceux qui invitent à porter ce nouveau regard. Le diocèse s’étend alors tout au long de la rive orientale de l’Escaut jusqu’à Anvers, englobant Bruxelles ainsi que la plus grande partie du Hainaut. Y vivent donc des populations tant néerlandophones que francophones – une constante de notre histoire. Avec Robert, les Croÿ, une de ces grandes maisons réputées frondeuses, ont rien moins que le troisième de leurs membres à occuper consécutivement ce siège prestigieux, convoité, lié à des pouvoirs temporels (duc de Cambrai, comte du Cambrésis), mais aussi hautement stratégique, entre les terres de l’Empereur romain germanique, du Roi de France et du Duc de Bourgogne. C’est pourtant bien à l’avant-garde de la Contre-Réforme que le rejeton va s’illustrer, comme le montrent Violet Soen et Aurelie Van de Meulebroucke (Katholieke Universiteit Leuven) dans une étude soulignant à quel point « la tradition médiévale tardive, l’existence d’évêques nobles et la réforme religieuse pouvaient être compatibles et parfois même aller main dans la main » [1].

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Cette perturbante Paix de Dieu…

Son opposant Gérard Ier de Cambrai passe à tort pour avoir défini, dans ses argumentaires, les trois ordres de la société (priant, combattant, travaillant). Il s’est par contre appliqué, bien qu’évêque et prince, à distinguer les pouvoirs du clergé et de la noblesse (1023-1054)

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Les « Gesta episcoporum Cameracensium » , manuscrit des livres 1 et 2, 1024-1025. (Source: Den Haag, Koninklijke Bibliotheek, ms. 75 F 15, f. 15bis, http://www.mmdc.nl/static/site/search/detail.html?searchMode=advanced&recordId=310#r310)

   L’opposition d’un évêque au mouvement de la Paix de Dieu lui a-t-elle fourni l’occasion de définir les trois ordres qui caractérisent la société médiévale ? A priori, on ne voit guère le rapport. Et pourtant, c’est la lecture que fit Georges Duby d’un discours contenu dans les Gesta episcoporum Cameracensium (les Actes des évêques de Cambrai), œuvre d’anonymes relatant notamment la campagne menée, dans les premières décennies du XIè siècle, par l’évêque Gérard Ier, fils d’un seigneur de Florennes et petit-fils d’un comte de Hainaut, contre l’interdiction de tout acte belligérant envers « les civils » , pour le dire dans le langage actuel.

   Selon le célèbre historien français, Gérard partage avec un autre pontife, Adalbéron de Laon, d’être un des grands porteurs de l’idée d’une chrétienté partagée entre trois ordres dont l’interdépendance garantit l’unité: ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui nourrissent (les paysans, plus tard tous ceux qui travaillent). L’auteur des Trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme (1978) validait ainsi la tripartition des fonctions dans laquelle Georges Dumézil, dès les années ’50, avait vu une constante organisationnelle des peuples d’origine indo-européenne. Et pourtant, l’interprétation de Duby est peut-être très éloignée de l’intention des Gesta, de ceux qui les écrivirent comme du personnage qui les inspira. Telle est, en tout cas, la conviction de Sam Janssens (Université de Gand): à le lire, on a ici uniquement affaire à « un cadre textuel pour la formulation de l’argument contre la Paix de Dieu » [1].

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