Combattues, soutenues ou instrumentalisées, les décisions du concile de Trente ont été diversement reçues dans les communautés qui jouissaient d’une large autonomie. Illustration à travers deux couvents d’augustines à Anvers et à Lierre. Le respect de la clôture et le rejet des richesses ont été les idéaux les plus épineux (1563-1700)
Si le concile de Trente, achevé en 1563, marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Eglise, il n’a pas pour autant changé d’un coup de baguette magique la face de la chrétienté. « Les décisions tridentines n’ont pas été imposées sans plus, top-down, remarque Esther Van Thielen (Université d’Anvers). La réception et l’adhésion à ces décisions sont aussi importantes » [1]. Aux différents travaux corroborant ce constat, l’historienne ajoute sa contribution après s’être plongée dans les archives de deux communautés de chanoinesses régulières augustines, celle des Falcons à Anvers et celle de Vredenberg à Lierre (Lier).
Sa mise en oeuvre est concomitante avec l’affirmation d’un Sud catholique face au Nord réformé. Elle se heurte cependant aux lois et coutumes locaux, alors que l’Etat tend à supplanter l’Eglise dans l’action pour la sauvegarde du consensus religieux et de la moralité publique (1580-1598)
En juin et juillet 1565, Marguerite de Parme, qui gouverne les Pays-Bas au nom du roi Philippe II, adresse des lettres circulaires aux autorités ecclésiastiques et civiles pour les enjoindre d’appliquer les décrets du concile de Trente, clôturé un an et demi plus tôt. Mais il y a parfois loin de la coupe aux lèvres… En ce temps où chaque comté, duché, seigneurie… a sa législation et ses privilèges propres, les contraintes abondent. L’opposition politique et religieuse, attisée jusqu’au soulèvement contre le souverain espagnol, rend la tâche plus ardue encore. Elle sera concomitante avec la reconquête du gouverneur général Alexandre Farnèse dans le Sud catholique.
Selon l’examen qu’en a réalisé Nicolas Simon, docteur en histoire, histoire de l’art et archéologie (Université Saint-Louis, Bruxelles) [1], cette mise en œuvre, partagée entre pouvoirs temporels et spirituels, de dispositions loin d’être uniformes et « prêtes à l’emploi » , laissant au contraire une marge substantielle pour leur concrétisation, n’a pas été sans heurts entre lesdits pouvoirs. Elle a réveillé le vieux conflit de prééminence, si tant est qu’il ait jamais été endormi.
Il était issu d’une grande famille et d’esprit plutôt mondain. Pourtant, l’évêque Robert de Croÿ a fait démarrer la Réforme catholique sur les chapeaux de roue dans son diocèse de Cambrai, qui s’étendait alors jusqu’à Bruxelles et Anvers. Les distances et les troubles politiques ont toutefois handicapé son action (1529-1556)
Le début du XVIè siècle est fréquemment décrit comme une période de décadence religieuse, sous l’égide d’évêques mondains, provenant de familles nobles qui rejoindront souvent les rangs des opposants aux décrets du concile de Trente. Mais des recherches récentes font entendre une autre musique. Il en ressort, en effet, que si certaines circonstances et certains acteurs firent barrage et si les tribulations de la révolte des anciens Pays-Bas étaient largement imprévisibles et capricieuses, la réforme tridentine a démarré chez nous sur les chapeaux de roues, parfois sans même attendre la fin des sessions convoquées par le Pape sur les bords de l’Adige entre 1545 et 1563 (avec des interruptions).
L’épiscopat de Robert de Croÿ à Cambrai (1529-1556) est de ceux qui invitent à porter ce nouveau regard. Le diocèse s’étend alors tout au long de la rive orientale de l’Escaut jusqu’à Anvers, englobant Bruxelles ainsi que la plus grande partie du Hainaut. Y vivent donc des populations tant néerlandophones que francophones – une constante de notre histoire. Avec Robert, les Croÿ, une de ces grandes maisons réputées frondeuses, ont rien moins que le troisième de leurs membres à occuper consécutivement ce siège prestigieux, convoité, lié à des pouvoirs temporels (duc de Cambrai, comte du Cambrésis), mais aussi hautement stratégique, entre les terres de l’Empereur romain germanique, du Roi de France et du Duc de Bourgogne. C’est pourtant bien à l’avant-garde de la Contre-Réforme que le rejeton va s’illustrer, comme le montrent Violet Soen et Aurelie Van de Meulebroucke (Katholieke Universiteit Leuven) dans une étude soulignant à quel point « la tradition médiévale tardive, l’existence d’évêques nobles et la réforme religieuse pouvaient être compatibles et parfois même aller main dans la main » [1].