Deux expositions récentes, une luxembourgeoise et une namuroise, ont mis à l’honneur les Celtes dont l’arrivée sous nos cieux, à partir du VIIè siècle av. J-C et après un long brassage de populations, coïncide avec la percée du fer [1]. Nécropoles, habitats, fortifications, art, orfèvrerie, céramique, tissage… identifient dans l’ordre matériel cette communauté de peuples indo-européens qui vont façonner notre civilisation jusqu’à la conquête romaine. Au deuxième âge du fer, qui débute autour de 450 av. J-C et a reçu le nom du village suisse de La Tène, un certain syncrétisme belge apparaît déjà à l’œuvre avant la lettre, nos régions participant à la fois de la culture du Hunsrück-Eifel (Rhénanie-Palatinat) dans le Nord et de celle de la Marne dans le Sud.
Bien qu’au cœur d’une province qui renferme surtout de cette époque des sites funéraires, c’est le rapport à l’eau dans toutes ses dimensions – alimentation, transports, croyances… – qui a été retenu pour thème au musée des Celtes de Libramont. Ce choix a induit le recours à divers objets et études sortant du cadre géographique local. Mais celui-ci n’est pas qu’un obstacle, loin de là. Il y a deux millénaires et demi déjà s’affirme l’importance des gués, des ponts, des digues qui permettent, avec les routes et les pistes, de traverser les Ardennes.

Majeure est ici, bien sûr, la grotte de Han, avec les lieux où le massif de Boine absorbe puis libère la Lesse. Les richesses archéologiques du site ont été et demeurent en majorité révélées par les plongées du Centre des recherches archéologiques fluviales (Craf). Ce gisement subaquatique, rappelle le professeur Eugène Warmenbol (Université libre de Bruxelles), « n’a pas son pareil en Europe occidentale, livrant depuis les années 1960 des milliers d’artefacts appartenant à différentes époques » , peut-être jusqu’à la fin du paléolithique (p. 44). Si on ne peut exclure la possibilité d’activités humaines anciennes dans des endroits aujourd’hui sous eau, érodés par la rivière, le matériel datant de la protohistoire (objets céramiques, situles décorées, une phalère, des fibules, des pointes de lance en fer…) présente cette particularité de n’être pas ou guère domestique. Il ne se serait donc pas agi d’un lieu d’habitat ou de « refuge » mais, la topographie aidant – profondeur de la grotte, développements labyrinthiques, concentration d’objets au passage de la lumière extérieure à l’ombre intérieure –, le chercheur a inféré que le Trou de Han, là où se terminent les visites touristiques, « est, au bronze final (juste avant l’âge du fer), une espèce de « bouche des enfers » ou, éventuellement, une « porte de l’au-delà » » , fonctions conservées au temps de La Tène, avec « des dépôts liés au monde des morts, abandonnés dans un sanctuaire naturel » (p. 52). La tradition de tirer un coup de canon pour chasser les mauvais esprits serait-elle un héritage des pratiques ancestrales ? Elles semblent bien avoir été identiques au Trou de l’Ambre à Eprave, également dans la commune de Rochefort [2].

Au culte des âmes défuntes s’articule celui des divinités parmi lesquelles Iverix, dont le celtologue Claude Sterckx a pu se demander s’il n’est pas le « dieu belge méconnu » , a été convié à l’exposition du musée de Treignes. Son unique statue dans notre pays, mise au jour à Macquenoise (Momignies) et conservée au Musée archéologique de Charleroi, pourrait être la représentation du dieu suprême local. Mais le sacré s’est aussi niché au bord de l’eau, notamment dans une iconographie où les oiseaux aquatiques prennent une place considérable. A travers eux, un système de croyances et de mythes, favorisé par les échanges avec la Méditerranée et les progrès techniques du second âge du fer, s’exprime dans la production des artistes, sur les riches parures des hommes et des femmes, à l’aide de matériaux de provenance parfois lointaine. « A partir de l’étude éthologique des oiseaux d’aujourd’hui, explique Manon Vallée (Université Paris-Sorbonne), il est possible de mieux comprendre la symbolique rattachée à ces différents volatiles et d’y percevoir une certaine cohérence entre les traits comportementaux, les aspects physiques retenus et les aspects sacré, religieux et symbolique qui y sont rattachés » (p. 37). Ainsi les migrations des oiseaux, que certaines espèces effectuent en descendant les cours des rivières ou des fleuves – où elles sont aisément observables –, ont conduit à en faire un symbole de renouveau cyclique lié aux eaux divinisées.
Divinisées mais aussi – ou parce que – nourricières: les traces laissées par l’activité halieutique ne manquent pas et sont de celles qui nous dépaysent le moins. Les hameçons en fer avec leur ardillon, que les pêcheurs relient à une perche en bois par un fil de lin ou de boyau, avec des insectes, des vers ou des petits poissons pour appâts, ont traversé allègrement les siècles ultérieurs. Manquent toutefois les moulinets, absents avant le Moyen Age. Les harpons métalliques, les nasses en osier et les filets de lin sont également attestés, ainsi que les pêcheries en bois pour dévier et rassembler les poissons. Les variétés ne se distinguent guère de celles qui peuplent notre réseau hydrographique probablement inchangé depuis l’Antiquité. Seul le saumon atlantique, encore bien présent au XIXè siècle, a fini par déserter, mais il tend à revenir.

Autrement singulière pour nous est la quête de l’or, qui donnerait presque à l’Ardenne celtique des allures d’Ouest américain au temps des ruées vers le métal jaune. Le massif du Serpont à Libramont est de ceux où les Anciens ont prospecté. La récolte de paillettes par lavage des alluvions des cours d’eau (ou orpaillage) fait partie des méthodes déjà en vigueur. « Témoins de leur ardeur, d’innombrables haldes (amas de déblais) s’échelonnent encore le long de plusieurs rivières ardennaises » , rapporte Véronique Hurt (Centre de recherches archéologiques en Ardenne / musée des Celtes) (p. 94). Autrement complexes par les bras et les moyens qu’elles nécessitent, des exploitations minières, à ciel ouvert ou souterraines, dans la roche ou dans les alluvions, se sont aussi développées dans certaines contrées. Paradoxalement, le nombre des objets en or protohistoriques retrouvés en terres luxembourgeoises est infime. Ne sont mentionnées que deux boucles d’oreilles contenues dans une tombe du Vè siècle av. J-C à Wibrin (Houffalize). Conséquence d’une « politique » privilégiant l’exportation de la matière première précieuse ?
A partir de la période romaine, la mémoire des potentialités aurifères de la région semble s’être complètement perdue. Ce n’est qu’au XVIIIè siècle qu’on s’est repris à rêver…
P.V.
[1] Les Celtes au bord de l’eau. Catalogue d’exposition 10/05/2017 > 15/12/2017. Musée des Celtes – Libramont, dir. Julie Cao-Van, Libramont-Chevigny, musée des Celtes, 2017, 106 pp. L’autre exposition, « Les Celtes entre Sambre et Meuse » , au musée du Malgré-Tout à Treignes (Viroinval) du 8/12/2018 au 22/04/2019, n’a pas donné lieu à publication.
[2] Sur ce sujet, on peut aussi se reporter à Eugène WARMENBOL, « Le deuxième âge du fer (fin Vè – début Ier s. avant notre ère) dans la grotte de Han (commune de Rochefort, province de Namur, Belgique) » , dans Revue du Nord, t. 95, n° 403, Villeneuve-d’Ascq Cedex, oct.-déc. 2013, pp. 91-112, https://www.cairn.info/revue-du-nord-2013-5-page-91.htm# (en libre accès).