De la dame de Paddeschoot à l’écuyer d’industrie

Comment la révolte gantoise de 1379 contre Louis de Mâle, le soulèvement antiespagnol du XVIè siècle ou encore la révolution industrielle dès le XVIIIè ont pesé sur les destinées d’un ancien domaine seigneurial du pays de Waes (XIVè – XXIè siècles)

En 1217, un hameau se sépare de la commune de Waasmunster et reçoit le nom de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas), patron des commerçants notamment. La localité gagne en importance quand y est établi le siège politique et judiciaire (hoofdcollege) du pays de Waes, auquel la comtesse de Flandre Jeanne de Constantinople a accordé une charte en 1241. C’est dans cette contrée que se dessine la seigneurie de Paddeschoot dont une « ferme noble » , avec ses douves et ses remparts, demeure aujourd’hui le témoin. Témoin d’un passé aux multiples rebondissements, récemment retracés [1].

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Ce qui demeure du château de Paddeschoot. (Source: photo de 1978, agentschap Onroerend Erfgoed, https://beeldbank.onroerenderfgoed.be/images/388561)

Un premier jalon certain peut être posé au XIVè siècle quand Clara Vilain, fille d’un personnage de haut rang du comté, hérite de la terre à l’occasion de son mariage. Auparavant, le domaine a fait partie d’un ensemble plus vaste, beverenois. La nécessaire défense des rives de l’Escaut au haut Moyen Age avait favorisé sa formation et la présence d’une justice soulignait son rôle. Mais le morcellement dont naquit Paddeschoot a suivi le décès, apparemment sans héritier direct, de Dirk Champenois, seigneur de Plumbeke, ainsi qu’il est nommé dans un acte de 1236.

A plusieurs reprises, on verra la petite histoire rejoindre ici la grande. C’est déjà le cas en 1396 avec la vente, par le mari de Clara Vilain Philippe II de Coudenborch, de tous ses droits pour cause de dèche à son beau-frère Jan Vilain. Un effet collatéral de la révolte gantoise de 1379 contre le comte de Flandre Louis de Mâle, à la défense duquel le père de Philippe a participé. Ayant dû consentir plus de dépenses militaires qu’il ne le pouvait, il n’a pu transmettre que des dettes à son fils. Mais le bien reviendra aux van Coudenborch par mariage au début du XVè siècle.

L’étude de Marc Steels porte ensuite, au fil des siècles et jusqu’à nos jours, sur les différentes familles qui se sont transmis le flambeau, sans nécessairement habiter les lieux: van Royen, de Hertoghe, van Turnhout, van der Meulen, Boëyé, Van Naemen, Nobels. Les van Royen (XVè-XVIè siècles) donnent à Termonde (Dendermonde), ville et pays, plusieurs échevins, bourgmestres et grands baillis. Charles de Hertoghe, acquéreur du titre de seigneur de Paddeschoot avant d’être nommé haut échevin du pays de Waes en 1587, a d’abord été greffier du collège installé sous la pression des calvinistes gantois en 1580, alors que la religion divisait le soulèvement antiespagnol. « Quelques années plus tard, indique le chercheur, il prend la succession de Servaes van Steelant, grand bailli de Waes, quand celui-ci change de camp et choisit l’Espagne. Il prête comme greffier, le 20 novembre 1583, le serment de fidélité à la couronne d’Espagne et est ici désigné comme seigneur de Bellegem, une seigneurie proche de Courtrai, aujourd’hui une section de la commune de Courtrai » . Sur l’ordre de Servaes van Steelant, Charles joue un rôle dans les négociations avec le gouverneur Alexandre Farnèse, engagé dans la reconquête des Pays-Bas méridionaux et dont les troupes campent à Eeklo. Mort en 1620, le notable repose avec son épouse devant l’autel de la chapelle Notre-Dame en l’église paroissiale de Waasmunster.

Au tout début du XVIIè siècle, Paddeschoot apparaît dans la célèbre collection de paysages et de cartes commandés par Charles de Croÿ, duc d’Aarschot, seigneur de Beveren, prince de Chimay et du Saint Empire. Le nouveau complexe naît un quart de siècle plus tard, en 1626. Il est représenté dans la Flandria illustrata de l’érudit brabançon Antonius Sanderus (1641-1643) avec sa ceinture d’eau récemment aménagée. Des transformations en profondeurs sont opérées en 1787 (la façade est rendue symétrique) et au cours du siècle suivant, qui verra figurer parmi les châtelains un conservateur du musée archéologique du Pays de Waes, Félix Van Naemen.

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Le domaine de Paddeschoot dans la « Flandria illustrata » de l’érudit brabançon Antonius Sanderus (1641-1643). (Source: n. 1, p. 50)

En 1772, le chevalier Johannes Josephus van der Meulen a accordé par bail l’usage du moulin à eau du domaine à Gillis Joseph Janssens, le plus important industriel textile de l’époque. Celui-ci a été autorisé à transformer le moulin à grains en moulin à foulon (servant à traiter la laine). Cette activité n’est manifestement guère favorable à l’environnement, ainsi qu’en témoigne le nouveau nom de « Zwarte Beek » donné par la population au cours d’eau local (le Molenbeek aujourd’hui). Au XXè siècle, le monde de l’industrie domine toute la propriété avec Frans Nobels qui, à la tête de la s.a. Nobels-Peelman à partir de 1964, contribue à faire de cette entreprise de construction métallique saint-niclusienne la plus grande de Belgique. Cette réussite lui vaut d’être élevé par le roi Baudouin au rang d’écuyer en 1973. Rien d’étonnant si l’historien crédite la famille Nobels d’avoir, « par ses projets, placé Saint-Nicolas sur la carte nationale et internationale » . Mais le ciel s’assombrit dans les années ’80 et les problèmes de liquidités conduisent à la faillite du groupe en juillet 1983.

Quant à la « ferme noble » , elle sera mise en vente par la troisième génération des Nobels à l’avoir occupée. Juste avant ou peu après la parution de l’article de Marc Steels, le collège communal de Saint-Nicolas a rejeté comme n’étant « pas une option réaliste » l’idée, avancée par un conseiller, de racheter le domaine pour en faire un parc public [2]. Mais comment songer sans en être impressionné à la longue succession d’événements dont se souviendraient tant de nos vieilles pierres, si elles le pouvaient ?

P.V.

[1] Marc STEELS, « Het Hof van Paddeschoot. Een « nobele » hofstede in Sint-Niklaas » , dans Annalen van de Koninklijke Oudheidkundige Kring van het Land van Waas, deel 122, 2019, pp. 29-71. http://www.kokw.be/, Zamanstraat 49, 9100 Sint-Niklaas.

[2] Het Nieuwsblad, 30 mars 2019, https://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20190330_04290817.

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