Il y avait comme un Pépin

Un fils de Charlemagne impliqué dans une conjuration contre lui: sujet épineux pour les chroniqueurs de l’époque et ultérieurs! La figure du renégat Pépin le Bossu a été, au fil du temps, tantôt noircie à souhait, tantôt presque réhabilitée, en fonction des nécessités liées à la conjoncture politique (792-887)

   Faut-il professer avec Benedetto Croce que « toute histoire est contemporaine » ? La propension a adapter cette dernière au contexte et aux exigences du présent caractérise en tout cas, sans conteste, les chroniqueurs du haut Moyen Age (on a heureusement fait, depuis, quelques progrès scientifiques). Pour illustrer cette dépendance, un beau cas nous est fourni par les différents portraits et récits consacrés au fil du temps à Pépin le Bossu.

   De ce fils de Charlemagne et prétendant au trône du royaume des Francs, on sait avec certitude qu’il complota contre son père en 792, que l’entreprise échoua et qu’il termina sa vie à l’abbaye de Prüm (Rhénanie-Palatinat), où il mourut en 811. Brodant sur ce canevas, les écrivains de l’époque et ultérieurement ont fait preuve, comme le montre Bart van Hees (Bergische Universität Wuppertal), d’une grande liberté couplée à un sens affiné de l’opportunité [1]. C’est que l’enjeu était de taille, à la mesure du retentissement d’un épisode qui avait jeté une lumière crue sur la fragilité de la dynastie.

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Belge, Européen, Eurégional…: ce sacré Charlemagne

Figure majeure dans les constructions historiques nationales au XIXè siècle, l’Empereur d’Occident est devenu un « père de l’Europe » dans la vulgarisation et la littérature de notre temps. L’inscription territoriale problématique du conquérant franc s’y prête au mieux en permettant de le situer entre germanité et romanité (768-814)

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C’est finalement au sein de l’Euregio Meuse-Rhin que la référence à Charlemagne garde aujourd’hui  sa plus grande pertinence. (Source: n. 1, cover)

 Ce n’est pas sans raison qu’une statue équestre de Charlemagne se dresse à Liège, au boulevard d’Avroy, comme à Paris, sur le parvis de Notre-Dame, pour ne citer que ces lieux emblématiques. A des titres divers, le roi franc devenu empereur s’est vu ou se voit encore octroyer un rôle de pionnier, voire de père, de la Belgique ou de la France mais aussi de l’Allemagne, de l’Europe, de l’Occident chrétien… « Un padre dell’Europa » est le sous-titre de la biographie qu’Alessandro Barbero lui a consacrée en 2000 (trad. franç. Payot, 2004). Devenue moins fréquente aujourd’hui, son instrumentalisation dans les constructions historiques nationales a fait florès au XIXè siècle. Une série d’études, réalisées à l’occasion du 1200è anniversaire de la mort de cette figure tutélaire, en témoigne pour la Belgique [1].

   Au même titre que Godefroi de Bouillon, Philippe le Bon ou Charles Quint, le fils de Pépin le Bref prend place dans la galerie de nos grands ancêtres. Un écueil toutefois: sa naissance en terres aujourd’hui belges n’est nullement attestée (et même improbable pour les médiévistes actuels). Catherine Lanneau (Université de Liège), qui a centré ses recherches sur les ouvrages de vulgarisation, épingle notamment la manière dont Théodore Juste, qui façonna notre « roman national » après 1830, bottait en touche sur le sujet. Tout en admettant avec Eginhard qu’on ne peut situer le lieu où Charlemagne vit le jour, il ajoutait que « les traditions populaires suppléent heureusement au silence des chroniqueurs » et permettent de le rattacher « au pays qui avait été le berceau de sa famille » , celui des Pépin de Herstal, des Charles Martel et autres Pépin le Bref. Ferdinand Henaux, tenant de l’histoire romantique, allait plus loin encore en faisant naître Charlemagne au palais de Liège, mais il s’attira des critiques pour avoir poussé le bouchon un peu trop loin!

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