Quand un médiéval rencontre un autre médiéval…

Des réalités les plus terrestres à la théologie de haut vol, le contenu hétéroclite des « Martins » de Jacob Van Maerlant les a souvent fait considérer comme des poèmes distincts. Et s’il s’agissait plutôt de traduire en une œuvre le cheminement des personnages, du souci du monde à la contemplation du Ciel ? (XIIIè siècle)

   C’est l’histoire de deux amis, imaginée dans le comté de Flandre du XIIIè siècle. Ils sont frappés tour à tour par l’abattement et la lassitude devant un monde qui leur apparaît en dérive, du fait de maîtres mal conseillés. Dans les deux cas, c’est la conversation nouée entre eux qui va remédier à leurs états d’âme. Ce qu’ils se racontent ? Des histoires de médiévaux, bien sûr. Jean Nohain n’aurait pas mieux dit dans sa célèbre chanson Quand un vicomte, mise en musique par Mireille Hartuch (1935). C’est pour cela qu’ils nous intéressent.

   Connus sous le titre des Trois Martins ou sous celui de Haro! Martin! (Wapene Martijn), ces dialogues curatifs imaginaires constituent une des œuvres principales de Jacob Van Maerlant, le plus renommé des poètes en moyen-néerlandais, né vers 1220 dans les environs de Bruges, mort vers 1300, sans doute à Damme où sa statue trône devant l’hôtel de Ville. L’interlocuteur de Martin porte son propre prénom dans son poème strophique qui semble avoir connu un joli succès, au point d’être considéré comme le premier opus thiois à avoir été traduit en français [1]. Trois entretiens sont consignés, le premier sur des questions diverses, le deuxième sur un dilemme amoureux et le troisième sur le dogme de la Trinité.

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Un prince du XIIè siècle en Amérique ? Ce n’était pas qu’un rêve…

Un manuscrit fragmentaire de 1335 découvert dans les archives malinoises, le « Van den Vos Reynaerde » de Willem et le récit perdu du voyage de Madoc attribué au même auteur relèvent d’une même veine où il faut aller au-delà du non-sens apparent pour trouver la signification de l’œuvre (XIIIè-XIVè siècles)

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Van den Vos Reynaerde, le héros de « Willem die Madocke maecte » , a son monument à Hulst (Pays-Bas, Zélande). (Source: Vitaly Volkov, https://ru.wikipedia.org/wiki/%D0%A0%D0%BE%D0%BC%D0%B0%D0%BD)

   Dans le catalogue des sessions de formation proposées aux enseignants par l’Associatie KULeuven, l’une est intitulée « Madoc et la poésie du non-sens au Moyen Âge » . Il s’agit d’amener les élèves à déchiffrer une partie d’un manuscrit fragmentaire du XIVè siècle, découvert fortuitement par le professeur Remco Sleiderink dans les archives publiques malinoises. Objectifs didactiques: apprendre comment on faisait des livres avant l’imprimerie, se servir des outils d’aide à d’exploitation des sources anciennes et aussi identifier « les ambiguïtés érotiques et les allusions politiques dans le poème » [1].

   Quel est donc le document qui peut alimenter de si palpitants cours d’histoire ou de langue ? Celui qui l’a mis au jour, spécialiste de la littérature en vieux et moyen néerlandais à l’alma mater louvaniste (Campus Brussel), en a fourni quelques clés dans une livraison de la revue d’études médiévales qui porte justement le nom de Madoc [2]. Accompagné de Herman Mulder (Bibliothèque royale), il a trouvé le filon caché dans la masse des livres de comptes de la Ville de Malines. Y figurait un récit en vers de 1335 présentant des similitudes manifestes avec le très satirique Van den Vos Reynaerde de Willem (XIIIè siècle), adaptation libre du Roman de Renart. Parmi d’autres traits communs, l’auteur s’y moque de la comtesse Mathilde d’Artois qui menait en France un combat vigoureux pour la place des femmes dans les lois de succession.

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Les « superwomen » de la littérature arthurienne

Les femmes ne sont pas toujours cantonnées à un rôle passif dans les romans courtois. Deux exemples éloquents: celui du « Roman van Walewein », où Ysabele d’Endi sauve son chevalier d’une situation périlleuse, et l’ « Historia Meriadoci regis Cambriae », où la fille captive de l’empereur élabore elle-même la stratégie de son évasion (XIIè et XIIIè siècles)

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Le chevalier Gauvain à l’écoute d’une jeune femme qui l’a interpellé pour requérir son aide, en échange de quoi elle lui indiquera son chemin. (Source: Cycle du Lancelot-Graal, III. Roman de Lancelot, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Français 115 fol. 361v, http://expositions.bnf.fr/arthur/grand/fr_115_361v.htm)

   Selon la représentation la plus commune, la femme dans la littérature du Moyen Age ne peut être qu’une princesse esseulée ou prisonnière dans sa tour, jusqu’à sa libération par un preux chevalier avec lequel elle sera heureuse et aura beaucoup d’enfants. Ce canevas existe certes, mais il n’a rien d’exclusif. D’autres récits du temps mettent en valeur des personnages féminins nullement cantonnés dans un rôle passif. Deux d’entre eux, inspirés par la légende du roi Arthur, source florissante aux XIIè et XIIIè siècles, ont retenu l’attention de Sigrid Lussenburg, master en études médiévales de l’Université d’Utrecht [1].

   Les deux romans appartiennent au genre courtois. Le Roman van Walewein (Gauvain) porte les signatures de deux auteurs successifs, Penninc (pseudonyme voulant dire « sans-le-sou » ) et Vostaert. Il a été rédigé en moyen néerlandais, vraisemblablement dans une fourchette qui va de 1230 à 1260. L’Historia Meriadoci regis Cambriae est attribuée à l’abbé du Mont-Saint-Michel au XIIè siècle. Bien qu’écrite en latin, l’œuvre a acquis assez de notoriété, y compris dans les anciens Pays-Bas (englobant nos provinces), pour qu’il soit possible, compte tenu des ressemblances, qu’elle ait influencé Penninc.

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