La cour de France, lieu de perdition ?

Tel est l’avis de la jeune poétesse en langue latine Jeanne Otho, née à Gand. Appartenant au monde protestant, elle relève en outre, dans des vers dédiés à Camille de Morel, femme de lettres du milieu humaniste parisien, la difficulté de concilier les arts et la vie domestique (1566)

   « Prenez garde de ne pas être déçue. Il n’y a pas de piété à la cour / Pendant que la vaine foule y voit quelque chose de grand » ( « Ne fallare cave, nihil est pietatis in aula, / Dum quid in hac magni vulgus inane videt » ). Ainsi Jeanne Otho (Johanna Otho ou Othonia), jeune poétesse née à Gand au milieu du XVIe siècle, s’exprime-t-elle à propos de la cour de France en son temps. Ces propos peu amènes font partie d’un poème écrit en 1566, récemment édité et traduit pour la première fois dans son entièreté par Kaitlin Karmen (University of Michigan, Ann Arbor) [1].

   Ce regard particulier n’est évidemment pas étranger à l’appartenance de l’auteure et de sa famille au monde protestant. Fille de Johannes Otho, enseignant et humaniste dans le premier sens du terme – qui désigne l’érudition dans les langues et les littératures anciennes –, Jeanne a passé une partie de sa vie à Duisburg (duché de Clèves). Un des élèves de son père, Charles Utenhove, a acquis une célébrité internationale au sein de la république des lettres. C’est par son intermédiaire que la jouvencelle est entrée en contact avec une autre plume des plus renommées: Camille de Morel. A celle-ci, en accompagnement d’une lettre, ont été dédiés les vers dont il est ici question.

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Le Flamand qui avait trop aimé la France

L’inventaire des livres de Christophe de Longueil révèle de multiples facettes de l’humaniste et juriste né à Malines et devenu un ardent cicéronien. Sa carrière, de Poitiers à Rome et de Paris à Padoue, fut brillante mais aussi marquée par un douloureux « choc des civilisations » version Renaissance (1485-1522)

Latiniste, juriste, humaniste, enseignant, grand voyageur…: Christophe de Longueil offre un parfait portrait-robot de l’intellectuel renaissant, au tournant des XVè et XVIè siècles. Son œuvre de taille modeste, appréciée surtout pour ses qualités formelles, se résume à des discours cicéroniens et universitaires, des textes sur Pline l’Ancien, une correspondance certes abondante… Mais quel destin que celui de cet enfant naturel d’un évêque de Saint-Paul-de-Léon (diocèse correspondant à l’actuel Finistère) et d’une Malinoise, bourgeoise sans doute! Elevé en bord de Dyle, aidé par la famille de son père Antoine de Longueil, par ailleurs chancelier et aumônier d’Anne, duchesse de Bretagne et reine de France, Christophe sera un proche secrétaire de Philippe le Beau, souverain des Pays-Bas (et père de Charles Quint), un précepteur du futur François Ier, roi de France, un avocat et juge au Parlement de Paris, un professeur de droit à Poitiers puis à Paris, avant de céder à l’appel de l’Italie. Il n’aura pourtant que 37 ou 38 ans quand, en 1522, une fièvre l’emportera à Padoue.

Sur cette figure, Tobias Daniels (Ludwig-Maximilians-Universität München) livre de nouveaux éclairages par l’édition et l’analyse de l’inventaire, jusqu’ici inconnu, de ses livres tel qu’il avait été dressé à Rome le 5 mars 1519 [1]. Confié au notaire allemand Jacobus Apocellus, cet acte prévoyait qu’en cas de décès de Longueil en Italie, sa bibliothèque reviendrait à son élève et ami Lorenzo Bartolini, protonotaire apostolique (dignitaire de la cour romaine), demeurant alors à Paris. Le document a été retrouvé et acheté en 1999 par les Archives d’Etat de Rome à la société de vente Christie’s. Continuer à lire … « Le Flamand qui avait trop aimé la France »

Les « superwomen » de la littérature arthurienne

Les femmes ne sont pas toujours cantonnées à un rôle passif dans les romans courtois. Deux exemples éloquents: celui du « Roman van Walewein », où Ysabele d’Endi sauve son chevalier d’une situation périlleuse, et l’ « Historia Meriadoci regis Cambriae », où la fille captive de l’empereur élabore elle-même la stratégie de son évasion (XIIè et XIIIè siècles)

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Le chevalier Gauvain à l’écoute d’une jeune femme qui l’a interpellé pour requérir son aide, en échange de quoi elle lui indiquera son chemin. (Source: Cycle du Lancelot-Graal, III. Roman de Lancelot, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Français 115 fol. 361v, http://expositions.bnf.fr/arthur/grand/fr_115_361v.htm)

   Selon la représentation la plus commune, la femme dans la littérature du Moyen Age ne peut être qu’une princesse esseulée ou prisonnière dans sa tour, jusqu’à sa libération par un preux chevalier avec lequel elle sera heureuse et aura beaucoup d’enfants. Ce canevas existe certes, mais il n’a rien d’exclusif. D’autres récits du temps mettent en valeur des personnages féminins nullement cantonnés dans un rôle passif. Deux d’entre eux, inspirés par la légende du roi Arthur, source florissante aux XIIè et XIIIè siècles, ont retenu l’attention de Sigrid Lussenburg, master en études médiévales de l’Université d’Utrecht [1].

   Les deux romans appartiennent au genre courtois. Le Roman van Walewein (Gauvain) porte les signatures de deux auteurs successifs, Penninc (pseudonyme voulant dire « sans-le-sou » ) et Vostaert. Il a été rédigé en moyen néerlandais, vraisemblablement dans une fourchette qui va de 1230 à 1260. L’Historia Meriadoci regis Cambriae est attribuée à l’abbé du Mont-Saint-Michel au XIIè siècle. Bien qu’écrite en latin, l’œuvre a acquis assez de notoriété, y compris dans les anciens Pays-Bas (englobant nos provinces), pour qu’il soit possible, compte tenu des ressemblances, qu’elle ait influencé Penninc.

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