Henri Pirenne, Belge, Européen, universel

L’auteur de la monumentale « Histoire de Belgique » en sept volumes est aussi reconnu internationalement comme un pionnier de l’histoire « totale » prônée par l’école des Annales. Hostile aux nationalismes, il leur opposa le rempart de la méthode comparative et plaida pour la création d’une revue d’histoire universelle (1886-1937)

   Considéré chez nous comme une figure de proue de l’histoire nationale, dénigré à ce titre par les tenants des nationalismes concurrents – flamand, wallon… –, Henri Pirenne (1862-1935) fut aussi un des grands rénovateurs de la science du passé au début du XXe siècle. Dans et hors de nos frontières, il demeure une référence et nul ne conteste son inscription parmi les pères de ce qui s’est appelé, selon les époques, l’école des Annales ou la « nouvelle histoire » , entendez celle qui explore et intègre pleinement les données économiques, sociales, culturelles…

   Une preuve de plus du rayonnement du Verviétois, professeur à Gand puis à Bruxelles, mentor de Marc Bloch et de Lucien Febvre, nous est fournie par la récente réunion de plusieurs de ses livres, conférences et articles majeurs dans l’imposante collection « Quarto » de Gallimard [1]. Cité en préface, le médiéviste Léopold Génicot (Université catholique de Louvain) expliquait au mieux la pérennité du maître en notant que « toutes ses œuvres » , en dépit de leur inéluctable vieillissement, « sont des pierres angulaires de l’historiographie sur lesquelles tout historien doit méditer encore » (cité p. 19).

Continuer à lire … « Henri Pirenne, Belge, Européen, universel »

« Fiers d’être Bourguignons » ? L’héritage d’Henri Pirenne

Ecrite avec la volonté de dégager une trame dans le passé de nos territoires, son « Histoire de Belgique » fait du regroupement réalisé par les ducs de Bourgogne un moment décisif. Négligeant le maintien des particularismes, il s’écarte néanmoins du discours nationaliste en plaçant notre syncrétisme romano-germanique au cœur de l’Europe occidentale

   En 1932, Lucien Febvre, cofondateur en France des Annales d’histoire économique et sociale, qualifia d’ « acte national » l’Histoire de Belgique d’Henri Pirenne, qu’il tenait pour un de ses inspirateurs. Evidemment, on ne peut être la figure de proue d’un récit national sans être ipso facto dénigré par les tenants d’identités concurrentes – flamande, wallonne… – si elles se veulent en outre exclusives. Mais dans comme hors de nos frontières, l’historien né à Verviers en 1862, mort à Uccle en 1935, demeure une référence et un père de ce qu’on appellera plus tard la nouvelle histoire, entendez celle qui explore et intègre pleinement les données de la vie matérielle et de la vie culturelle aux sens les plus larges.

   La carrière même du maître épouse de bout en bout les diversités belges. Venu au monde en terres ci-devant principautaires, formé d’abord à l’Université de Liège, il approfondit sa science en Allemagne et en France avant d’être, pendant plus de quarante ans, professeur à l’Université de Gand  puis, après s’être opposé à la néerlandisation complète de cette institution, à celle de Bruxelles.

Continuer à lire … « « Fiers d’être Bourguignons » ? L’héritage d’Henri Pirenne »

Deux historiens dans la tourmente de la Grande Guerre

Les journaux de Paul Fredericq et d’Henri Pirenne témoignent de leurs épreuves personnelles, en Belgique puis en déportation, et de leur désamour de l’Allemagne. Ils trouvent exutoire et réconfort dans le travail ainsi que dans la foi, pour le premier, et la conviction historiquement fondée de la victoire finale, pour le second (1914-1918)

   L’irruption de la guerre en août 1914, avec son ébranlement des repères de la vie quotidienne, avec son cortège de tragédies surtout, suscita des myriades de lettres, de journaux personnels, de textes intimes, tant de la part de militaires que de civils. Il fallait ainsi tromper l’ennui, meubler l’attente, tenter de voir clair en soi-même, énoncer des raisons d’espérer… Comment cette vague n’aurait-elle pas atteint les historiens, à l’heure où l’histoire se remettait en mouvement sous leurs yeux ?

   Deux d’entre eux et non des moindres, Paul Fredericq (1850-1920) et Henri Pirenne (1862-1935), l’un et l’autre professeurs à l’Université de Gand, ont été de ceux qui consignèrent leurs impressions quotidiennes, et ce dans de simples cahiers d’écoliers. Geneviève Warland, philosophe (Université catholique de Louvain), philologue (Université Stendhal-Grenoble III) et docteure en histoire (Université Saint-Louis-Bruxelles), les a passés au peigne fin pour mettre en lumière les états d’âme de ceux qui les remplirent, leur approche du présent et leur manière d’en témoigner [1].

Continuer à lire … « Deux historiens dans la tourmente de la Grande Guerre »