
En 1674, au cours d’un débat présidé par le philosophe et théologien Jean Lacman, l’étudiant Philippe Leerse défend ses travaux de fin d’études à l’Université de Louvain. Il les a dédiés à son protecteur Macaire Simeomo, abbé de Saint-Michel à Anvers, ainsi qu’en témoigne une affiche conçue par Erasmus Quellinus et gravée par Richard Collin. Des personnifications de la Logique, de la Physique et de la Métaphysique, jointes à un ange représentant l’Ethique, y entourent le candidat. Celui-ci s’incline respectueusement et tient une grande feuille contenant la dédicace. Les figures allégoriques présentent à l’abbé, siégeant sur un trône, les conclusions de la thèse inscrites sur quatre médaillons. Le postulant donateur est ainsi introduit auprès de son patron.

En 1645, les frères Jean Michel et Ferdinand Morel ont, quant à eux, Ferdinand III pour protecteur. L’illustra- tion de leur thèse, par Michel Natalis d’après Abraham Van Diepenbeeck, présente celui-ci comme « Bello et Pace Iustitae defensori » ( « défenseur de la Justice en temps de guerre et en temps de paix » ). L’iconographie évoque la Justice à la fois comme discipline et comme première vertu cardinale. Sans surprise, le sujet de la recherche académique, inscrit sur des tablettes de pierre, est lié au droit international, plus particulièrement aux problèmes législatifs en temps de paix et de guerre. La figuration du contenu de la thèse va ainsi de pair avec la célébration de la sagesse politique du Roi de Hongrie, de Bohême et Empereur germanique. Un propos qui ne manque pas d’entrer en résonance avec les préoccupations dues à l’état de guerre continuel que connaissent alors les Pays-Bas catholiques…
C’est à partir de la seconde moitié du XVIè siècle que s’est répandu l’usage d’accompagner par la publication d’affiches les conclusions des thèses réalisées au terme des études de baccalauréat, maîtrise ou doctorat. Dans sa propre… thèse, défendue début 2017, Gwendoline de Mûelenaere (UCLouvain) a exploré les enjeux de cette production, manuscrite jadis, à présent imprimée et qui, dans nos régions, semble avoir été moins répandue qu’ailleurs mais aussi plus originale [1]. On avait certes de qui tenir, les gravures provenant largement ou principalement, au XVIIè siècle, de l’entourage de Rubens ou de la deuxième génération de son école. Outre l’Université de Louvain et sa cadette de Douai (alors partie intégrante de la Belgique habsbourgeoise), la pratique a pour cadres les collèges jésuites, en particulier l’Ecole de mathématique basée à Anvers et à Louvain entre 1617 et 1690, dans un contexte de rivalité qui n’est peut-être pas étranger à la multiplication des soutenances et à l’éclat qu’on s’efforce de leur conférer.
Distribués à l’avance au dédicataire de la thèse, voire à d’autres personnalités religieuses, politiques ou scientifiques importantes, les placards ou livrets académiques, qui peuvent parfois mesurer plus d’un mètre de hauteur, sont aussi affichés dans les lieux de la joute oratoire. Ils jouent à la fois un rôle d’annonce, de décor ainsi que de support visuel pour l’exposé et, plus tard, pour la mémoire des participants à l’événement. Evoluant des simples blasons et dédicaces à des frontispices richement élaborés, d’une mise en page séparant texte et image à une intégration de l’écrit dans des cartouches, des pilastres, des médaillons…, le média peut communiquer à la fois les éloges et la science, les hommages et les conclusiones ou assertiones. Les instruments allégoriques, observe la chercheuse, « étaient premièrement des images noétiques et servaient dès lors à transmettre le savoir; deuxièmement, ils étaient encomiastiques et comme tels facilitaient la visée sociopolitique de la dédicace à un patron puissant » .
Le thème récurrent de la présentation au protecteur « valorise le lauréat, validant publiquement sa position au sein de l’élite sociale en soulignant ses mérites intellectuels et son talent d’orateur » , note Gwendoline de Mûelenaere. La mise en scène peut parfois déboucher sur une véritable mise en abyme. Dans la thèse que deux artistes liégeois dédient à l’empereur Léopold Ier, fils et successeur de Ferdinand III, un étudiant apporte à son mécène un petit tableau de la scène qui se déroule entre eux. Les références au contenu du texte, sans tenir de l’illustration scientifique comme telle, facilitent en tout cas la compréhension et l’assimilation du message. Celui-ci est explicite dans les iconographies qui décrivent Léopold-Guillaume d’Autriche, frère de Ferdinand III et gouverneur des Pays-Bas de 1647 à 1656, comme un « prince dévot et guerrier » , chez qui la prière et la méditation sont à la source des exploits militaires par lesquels il défend la foi catholique romaine et la maison des Habsbourg. Les exigences complémentaires de la pax et de l’arma, de la paix et de la sécurisation de la foi, sont soulignées notamment en convoquant la figure dichotomique de Minerve, incarnation de la Science et de la Guerre. Dans une gravure de Schelte Adams Bolswert d’après Rubens, la déesse se tient avec les vertus catholiques aux côtés du cardinal-infant et gouverneur Ferdinand (1634-1641) pendant que les députés de la ville d’Anvers désignent une femme représentant les Pays-Bas, en proie à la Guerre, la Fureur et la Discorde.
Si les promotieprenten connaissent une large diffusion, même internationale, ayant leurs amateurs et collectionneurs, les sources sont lacunaires quant au nombre d’exemplaires qu’on imprime. La tradition elle-même ne s’est pas généralisée, loin s’en faut, le coût constituant un obstacle pour beaucoup. Nombre d’affiches anonymes, parfois peintes à la gouache, ont peut-être été réalisées par les étudiants eux-mêmes. D’autres récipiendaires, parmi les moins fortunés, s’en tiennent à des éditions non illustrées. Ils évitent aussi les frais liés bien souvent à la dimension spectaculaire et festive des défenses publiques, à laquelle les gravures sont appelées à contribuer en même temps que les chants, les discours, les pièces allégoriques, les emblèmes… « L’ornementation et la pompe développées pour l’occasion incluaient la musique, la poésie et la décoration de la salle du collège. Ce dispositif transformait les défenses en spectacles totaux qui produisaient une impression profonde sur l’assistance » . Passer les examens sans cérémonie est l’autre option, quand les moyens manquent. Le gaspillage d’argent et de temps suscite d’ailleurs, à l’occasion, des critiques et même des parodies, comme cette gravure attribuée à Jean Lepautre où un certain Asinus Asinonius présente sa thèse à l’université de Francolin avec un portrait de Scaramouche, le « petit batailleur » de la commedia dell’arte! Les prodigalités ne seront pas non plus du goût de l’impératrice Marie-Thérèse. En 1755, elle interdira par un règlement les festivités liées aux thèses, exception faite pour les doctorats, encore qu’avec de sérieuses limites.
Du coup, le recours aux images, devenues du reste de plus en plus standardisées et formatées au XVIIIè siècle, tombera progressivement en désuétude. Fin d’un folklore ? Fin aussi d’une occasion de rencontres entre le monde de l’intelligence et celui des arts…
P.V.
[1] « Double Meaning of Personification in Early Modern Thesis Prints of the Southern Low Countries: Between Noetic and Encomiastic Representation » , dans Personification. Embodying Meaning and Emotion, dir. Walter S. Melion & Bart Ramakers, Leiden-Boston, Koninklijke Brill (coll. « Intersections: interdisciplinay studies in early modern culture » , 41), 2016, pp. 433-460, et « Les thèses illustrées dans les Pays-Bas méridionaux à l’époque moderne: enjeux esthétiques, scientifiques et politiques » , dans GEMCA: Papers in Progress, Groupe d’analyse culturelle de la première modernité, t. 2, n° 2, Louvain, 2013, pp. 217-233, http://gemca.fltr.ucl.ac.be/docs/pp/GEMCA_PP_2_2013_2_005.pdf (en libre accès).