Guy de Brès, le ténor tragique du calvinisme

Mort sur le gibet, le pasteur et théologien montois, auteur de la « Confessio Belgica » qui récapitule la foi des réformés des Pays-Bas, coprésida à l’instauration à Valenciennes d’un éphémère régime théocratique sur le modèle de la Genève de Calvin (1547-1567)

Dans la nuit du 1er novembre 1561 à Tournai, un groupe d’hommes s’approche du château du gouverneur de Hainaut. Par-dessus le mur, vers la cour intérieure, ils lancent plusieurs exemplaires d’un livre dont l’auteur, Guy de Brès, fait partie de l’équipée. Objectif: que le roi Philippe II et sa gouvernante aux Pays-Bas Marguerite de Parme en reçoivent un exemplaire. L’ouvrage est intitulé Confession de foy, traduit en latin sous le titre Confessio Belgica. Il se veut un compendium de la foi des réformés, partiellement inspiré de la Confession française dite de La Rochelle. Dans une lettre d’accompagnement, des Tournaisiens gagnés à « la pureté de la doctrine » se plaignent des persécutions subies. « Nos ennemis vous ont rempli les oreilles de tas de faux rapports » , écrivent-ils dans l’espoir d’être lus à l’Escurial.

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La « Confession de foy » ou « Confessio Belgica » dans sa première édition, en 1561 à Rouen et à Lyon. (Source: n. 1, p. 35)

La témérité ne reste pas impunie. Les commissaires envoyés depuis quelque temps par la régente pour sévir contre l’activisme religieux trouvent, dans la paroisse Saint-Brice, la maison du théologien et pasteur en qui beaucoup voient « véritablement le réformateur des provinces des Pays-Bas » [1]. En son absence, ses livres et papiers ont été en partie brûlés par ses amis. Marguerite de Parme ordonnera de faire de même avec ce qui reste. Guy de Brès, pendant ce temps, est allé poursuivre son ministère itinérant à Valenciennes puis à Amiens où il est emprisonné puis libéré. Entre 1563 et 1565, il se met à l’abri à Sedan, protégé par le duc de Bouillon, protestant, dont il devient le chapelain, tout en continuant à militer en divers lieux.

La présidence de conventicules en plein air, l’organisation des structures ecclésiales, la participation à des synodes…, en plus de l’écriture, occupent toute l’existence de Guy de Brès (parfois orthographié de Bresse ou de Bray) depuis que vers l’âge de 25 ans, ce peintre sur verre né à Mons en 1522 s’est éloigné du catholicisme romain, influencé par ses lectures, par l’assistance à des assemblées secrètes, mais aussi par les martyrs de la cause… qu’il sera appelé à rejoindre. En ce temps, comme le soulignait Georges-Henri Dumont, « les continuelles exécutions indignaient les catholiques autant que les réformés » [2]. Institution séculière, contrôlée non par l’Eglise mais par la Couronne, l’Inquisition d’Espagne est devenue un bras armé aussi détestable pour les opposants politiques au centralisme hispanique de Philippe II que pour les opposants religieux à la volonté du fils de Charles Quint de maintenir l’unité catholique dans les Pays-Bas. Une unité à laquelle son père avait cependant renoncé dans les Etats allemands (par la paix d’Augsbourg de 1555 et l’affirmation du principe « tel prince, telle religion » )…

Formé à Lausanne et à Genève sous la houlette de Calvin et de de Bèze, le « surveillant et ministre général de ces sectaires calvinistes » , comme le désignent les autorités, opère principalement en terres hennuyères et flamandes, à Lille, Tournai, Valenciennes, Douai, Mons… En 1555, il a fait paraître sa première œuvre, Le baston de la foy chrestienne, propre pour rembarrer les ennemis de l’Evangile. Sa cible principale est le chanoine Nicolas Grenier, qui a porté la contradiction aux protestants dans son Bouclier de la foy publié en 1547. Après le séjour à Sedan, de Brès se trouve à Valenciennes quand éclate, en août 1566, la furie iconoclaste qui frappe alors de nombreuses autres régions dans les Dix-Sept Provinces habsbourgeoises.

Si l’argument des provocations a pu être invoqué des deux côtés de la barrière, c’est une foule montée par des prédicateurs contre les prêtres et « l’idolâtrie » , y ajoutant ses propres griefs contre les pouvoirs temporels, qui met à sac des églises et des couvents, brise des statues et surtout profane des hosties, crime plus abominable qu’un homicide pour la sensibilité de l’époque. Le 26 août, pourtant, des nobles engagés dans la défense des libertés et privilèges locaux apportent aux Valenciennois des lettres de la gouvernante autorisant le culte réformé « és lieux où de fait se font les prêches » , c’est-à-dire en dehors de la ville. Mais les réformés, qui se sont déjà emparés de trois églises, n’entendent pas les restituer [3]. Après plusieurs rebondissements, Philippe de Noircarmes, grand bailli de Hainaut, vient mettre le siège et obtient la reddition au bout de plusieurs mois, en 1567.

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En prison avec Pérégrin de la Grange, Guy de Brès reçoit de nombreuses visites. (Source: n. 1, p. 28, représentation artistique sans mention de provenance)

Avec d’autres, de Brès s’est enfui quelques jours auparavant, mais il est rattrapé et ramené à la prison de Valenciennes. Il y reçoit de nombreuses visites, dont celle de l’évêque d’Arras et confesseur de Marguerite de Parme, François Richardot, avec qui il débat de l’eucharistie. C’est aussi en détention qu’il rédige un Traité de la cène et de la messe. Mais ses jours sont comptés. Le 31 mai, le prévôt annonce qu’il sera pendu en même temps que Pérégrin de la Grange, pasteur envoyé par Calvin. Si étonnant que cela puisse paraître à nos contemporains, le gibet est perçu comme un châtiment plus infâme que le bûcher. Et c’est à ce titre que la gouvernante l’a exigé: « Les sectaires abhorrent principalement cette forme de supplice qu’ils tiennent infâme, honteux et détestable comme propre et destiné à voleurs, larrons et brigands » [4].

L’historiographie a généralement fait du ténor montois de la Réforme un modéré, très classiquement débordé par les extrémistes de son camp. Il fut en tout cas l’ennemi résolu de ce qu’on appellerait de nos jours le radicalisme des anabaptistes, dénoncé tout au long du plus volumineux de ses livres, La racine, source et fondement des anabaptistes, paru à Sedan en 1565. Désireux d’unir les luthériens et les calvinistes, il a rencontré à cette fin Guillaume le Taciturne, le fédérateur des oppositions, mais a échoué devant l’intransigeance des deux mouvances antiromaines. De là à voir en lui un parangon de la tolérance moderne, il y a toutefois plus qu’un pas… Sous son pouvoir et celui de de la Grange, Valenciennes a connu l’avènement d’un régime théocratique, avec l’ambition de s’ériger en « nouvelle Genève » – cette même Genève où la justice protestante a usé amplement de la peine capitale, Michel Servet étant le plus célèbre de ses condamnés au feu. Sur le soutien dû à la sphère religieuse par la sphère civile, la Confessio Belgica ne laisse pas de place au doute: « Nous croyons, y lit-on, que notre bon Dieu, à cause de la dépravation du genre humain, a ordonné des Rois, Princes, et Magistrats; voulant que le monde soit gouverné par lois et polices, afin que le débordement des hommes soit réprimé, et que tout se fasse avec bon ordre entre les hommes. Pour cette fin il a mis le glaive dans les mains du Magistrat pour punir les méchants, et maintenir les gens de bien: et non seulement leur office est de prendre garde et veiller sur la police, mais aussi de maintenir le sacré ministère, pour ôter et ruiner toute idolâtrie et faux service de Dieu; pour détruire le royaume de l’antéchrist et avancer le royaume de Jésus-Christ, faire prêcher la Parole de l’Évangile partout, afin que Dieu soit honoré et servi de chacun, comme il le requiert par sa Parole » [5].

Le maître texte de Guy de Brès est toujours cité comme fondement dans bon nombre d’Eglises de tradition réformée sous diverses latitudes. Il est aussi une des références doctrinales du Staatkundig Gereformeerde Partij (SGP), parti protestant fondamentaliste néerlandais [6]. Singulier destin!

P.V.

[1] Frédéric VERSPEETEN, « Guy de Brès héraut de la foi réformée », dans Les Pays-Bas français / De Franse Nederlanden, n° 42, 2017, pp. 28-45. http://www.onserfdeel.be, Murissonstraat 260, 8930 Rekkem. – On pourra approfondir le sujet avec Emile Michel BRAEKMAN, Guy de Brès. Un réformateur en Belgique et dans le Nord de la France (1522-1567), Mons, Cercle archéologique de Mons (« Publication extraordinaire », nouvelle série, 3), 2014, 277 pp.

[2] Histoire de la Belgique, Paris, Hachette, 1977, p. 182.

[3] « Guy de Brès » (2006, éd. rev. 2018), dans
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_de_Br%C3%A8s.

[4] Lettre de Marguerite de Parme, ibid.

[5] Article XXXVI. La Confessio est en libre accès notamment sur http://doi.org/10.3931/e-rara-5952.

[6] « Guy de Brès », op. cit.

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