L’autre silence papal: Benoît XV et la Grande Guerre

Comme Pie XII pendant le deuxième conflit mondial, le Pape s’est plié à la règle de l’impartialité qu’impose l’universalité de l’Eglise. En s’abstenant de condamner publiquement les atrocités allemandes en Belgique, il a évité d’exposer la population à des représailles mais s’est heurté à l’incompréhension (1914-1918)

   Un nom qui restera lié au souvenir d’une « immense omission » , d’un « des plus grands silences de l’histoire » : telle est, sous la signature de Maurice Geneste, l’appréciation portée par le journal catholique namurois Vers l’avenir, le 23 janvier 1922, sur la figure de Benoît XV au lendemain de son décès [1].

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Au service de la « légende noire » anti-espagnole

Rallié à la révolte des Pays-Bas contre les « infâmes Ibères », l’humaniste brugeois Bonaventura Vulcanius s’est répandu en pamphlets et poèmes virulents, notamment contre le gouverneur général don Juan d’Autriche. Il a pourtant continué à fréquenter le camp catholique, peut-être en mission secrète de renseignement (1572-1607)

   « Et alors ? Les dieux ne voient-ils pas d’un bon œil la fureur espagnole (ferocia Ibera), / ou vous favorisent-ils, vous Belges, qui avez subi tant de malheurs ? » . La question est évidemment rhétorique, la seconde réponse allant de soi, dans ces vers datés de 1578. Catholiques et protestants sont alors soulevés contre la domination espagnole depuis plus de dix ans. L’auteur, l’humaniste Bonaventure de Smet ou Bonaventura Vulcanius, a pris plus d’une fois la plume contre les serviteurs et la soldatesque de Philippe II. Ses écrits en latin, parfois en grec, ciblant plus particulièrement le gouverneur général don Juan d’Autriche, ont fait récemment l’objet d’une édition critique due à Eduardo del Pino (Universidad de Cádiz) [1].

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« Entre gens de bonne compagnie »

Apparues à partir de la fin de l’Ancien Régime, les sociétés littéraires ont offert aux élites sociales des lieux de lecture, de jeux et de conversation, soigneusement à l’écart des combats politiques ou philosophiques et non sans opportunisme vis-à-vis des pouvoirs. C’est peut-être le secret de leur longévité (1775-2025)

   Fondée en 1775, la Société royale du Cabinet littéraire de Verviers fête cette année rien moins que ses 250 ans d’existence. L’occasion de se demander comment et pourquoi ce cercle voué à l’agrément et à la culture des élites a vu le jour, avec beaucoup d’autres présentant les mêmes caractéristiques au même moment [1].

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Le décolonialisme, je présume ?

L’AfricaMuseum de Tervuren s’est fait dénonciateur de l’intervention belge à Stanleyville contre les Simba. Le retour de boomerang est venu des associations d’anciens paras-commandos mais aussi d’universitaires congolais. Ceux-ci ont souligné le caractère humanitaire de l’action qui mit fin aux exactions des rebelles (1964)

   En septembre 1964, alors que le Congo a sombré dans le chaos, une insurrection fait tache d’huile sur la moitié du pays. C’est celle dite des Simba (Lion en swahili), issus des tribus animistes de la province du Kivu et de la Province-Orientale. Elle permet au chef marxiste Christophe Gbenyé de prendre le contrôle de Stanleyville (Kisangani aujourd’hui) où il proclame la république populaire. Dans la foulée, il fait procéder parmi les Belges et d’autres Européens à ce qui sera considéré comme la plus grande prise d’otages de notre temps. En accord avec le gouvernement de Léopoldville, dirigé par Moïse Tshombé, et avec le soutien de la force aérienne américaine ainsi que d’une colonne de mercenaires, la Belgique envoie en novembre 600 commandos pour une opération de sauvetage baptisée « Dragon rouge » . Menée de main de maître, la mission sera considérée comme une réussite. Elle permet la libération de quelque 2000 personnes, mais elle n’a pas pu empêcher le massacre d’une centaine de captifs isolés.

   Cet épisode a été depuis critiqué ou réécrit – selon les points de vue – à l’issue de la rénovation du musée royal de l’Afrique centrale, devenu communément l’AfricaMuseum, rouvert à Tervuren en 2018. Avec pour propos « d’exposer une vision contemporaine et décolonisée de l’Afrique » [1], les travaux ont notamment conduit à « recadrer » quinze sculptures nichées dans la grande rotonde, laudatives comme on pouvait l’être jadis sur l’action de l’homme blanc: lutte contre l’esclavage, civilisation, bien-être… L’une d’elles illustre le thème de la sécurité apportée au Congo. Arsène Matton (1873-1953) y a représenté la Belgique protégeant dans les plis de son drapeau un homme et un enfant endormi.

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La SNCB dans le train de la collaboration… et de la résistance

Son rôle dans le transport de troupes ou de matériel militaire et plus encore dans les déportations a fait l’objet d’un examen à la demande du Parlement et du gouvernement. Mais elle était privée d’autonomie, alors que son personnel et ses responsables ont mené de nombreuses actions contre l’occupant (1940-1944)

   La Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) doit présenter « des excuses officielles » pour le rôle qu’elle a joué dans les déportations des Juifs, des Roms, des prisonniers politiques et des travailleurs forcés pendant la Seconde Guerre mondiale; elle doit prendre en outre diverses initiatives mémorielles et organiser une journée du souvenir; au-delà, il convient de sensibiliser l’ensemble des agents de l’Etat aux dilemmes moraux qu’ils peuvent rencontrer dans certaines circonstances: telles sont pour l’essentiel les recommandations, remises au début de cette année, d’un groupe de sages constitué par le gouvernement fédéral sous la houlette de la juriste Françoise Tulkens [1].

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A Malmedy, Lily avait 13 ans en 1940

Ballottée avec sa famille entre la Belgique et l’Allemagne, elle a connu la germanisation forcée, l’endoctrinement national-socialiste, les bombardements mais aussi la peur des Américains et les suspicions pesant après la Libération sur ceux qui s’étaient trouvés, même involontairement, du côté de l’ennemi (1940-1945)

   C’est un destin bien singulier que celui des habitants des cantons de l’Est nés au début du   XXe siècle: Allemands avant la Grande Guerre (par la volonté des vainqueurs de Napoléon en 1815), Belges après en application du traité de Versailles, de nouveau Allemands pendant la Seconde Guerre, de nouveau Belges ensuite. Venue au monde à la fin des années 1920 dans un Malmedy où les deux tiers de la population parlaient la langue de Goethe, Lily (Elisabeth) Pierry n’a pas connu la première intégration à la Belgique, qui ne se déroula pas sous les meilleurs auspices: plutôt à la manière d’une réparation de guerre. Elle peut en revanche témoigner des chapitres ultérieurs. C’était une raison amplement suffisante pour que son petit-fils instituteur Ronald Goffart lui donne la parole et se fasse son biographe [1].

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Vallée de la Meuse, vallée de la mort

On ne voit presque plus rien entre Liège et Huy en ces premiers jours de décembre. Mais le brouillard est aussi toxique et il sera mortel pour des dizaines d’habitants ainsi qu’une partie du bétail. En cause, des rejets industriels sulfureux combinés à un phénomène météorologique rare. Un pic dans des nuisances ici permanentes (1930)

   Le samedi 6 décembre 1930, on lit à la une du Chicago Daily Tribune ce titre en lettres capitales: « 68 DIE IN EUROPE’S « GAZ FOG »  » ( « 68 décès dans le « brouillard de gaz » en Europe » ). Le journal rapporte, parmi d’autres informations, que les autorités belges se préparent à distribuer plus de 20.000 masques à gaz et que les Bruxellois, terrorisés, se calfeutrent chez eux. Dans toute la presse des deux côtés de l’Atlantique sont relatés maints accidents, sur routes et en mer. Les effets de la purée se font sentir jusqu’à Paris mais c’est dans la vallée de la Meuse, entre Liège et Huy, qu’elle atteint son paroxysme. On n’y voit pratiquement plus rien, au point que les services de bus ont été supprimés temporairement.

   Dès le début de la semaine, les premiers « malades du brouillard » ont été signalés. Le mercredi 3 décembre, près d’Engis, un couple de fermiers et des ouvriers agricoles ont été frappés de quintes de toux, la gorge brûlée par une odeur âpre, crachant noir et jaune. Non loin de là, un éleveur, la poitrine oppressée, a dû abattre ses porcs qui suffoquaient. Après quelques jours, c’est parmi les humains que les morts se comptent par dizaines. Les victimes ont commencé par être sujettes à des essoufflements, des maux au thorax, des vertiges, des nausées. Certaines sont tombées dans le coma en pleine rue avant de rendre l’âme. Dans les étables, les cadavres de bestiaux s’accumulent. On a pu sauver certains d’entre eux en les amenant vers les hauteurs environnantes. Ce n’est qu’après le 5 décembre que l’air redeviendra à peu près respirable.

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Des logements pas si « sociaux » que cela

Les sociétés à l’origine des grands complexes d’appartements érigés à Anvers après 1945 ont rapidement sacrifié aux dures nécessités de la rentabilité leur vocation initiale d’aide aux plus démunis. Le profil des occupants a relevé davantage de la classe moyenne, même si on a fini par construire à moindres frais (1949-1978)

   Cela peut surprendre aujourd’hui mais il fut un temps où Anvers était à la pointe en matière d’habitats collectifs inspirés par la gauche. Savoir si cette politique a atteint ses objectifs est une autre question. Rick Faust (Université d’Anvers) a entrepris d’y répondre en dressant le bilan des sociétés de logement social SM Huisvesting et Onze Woning, porteuses de projets de grande ampleur dans trois quartiers de la Métropole [1].

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Une histoire mondiale de nos villes

L’importance des échanges avec l’étranger proche ou lointain a marqué nombre d’entre elles aux plans commercial, démographique, culturel, sociétal… Le constat ne vaut pas que pour les grands centres tels Anvers et Bruxelles. Le poids du monde se fait aussi sentir dans bien des petites et moyennes cités

   S’il est bien une spécificité de nos régions depuis la fin du Moyen Age, c’est leur densité urbaine, devenue à la longue la plus élevée du monde. En 1700, 46 % de la population des Pays-Bas actuels vivait dans des villes de plus de 5000 habitants. En Belgique, on se bornait à 29 % mais on occupait la deuxième place, loin devant l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne (14-15 %). En 1870, Pays-Bas et Belgique étaient à égalité (32 %) mais dépassés par l’Angleterre (50 %). Aujourd’hui (chiffres de 2023), nous avons repris la tête (98 % des Belges, 93 % des Néerlandais) devant les Anglais (85 %). Les fusions de communes aidant, le seuil des 5000 âmes est certes facilement dépassé dans le temps présent, mais il est considérable pour l’Ancien Régime.

   Proches les unes des autres, alors que Londres et Paris ont évolué en mégapoles désertifiant les campagnes environnantes ou lointaines, nos cités se signalent aussi par leur internationalité – leur présence à travers le monde ou la présence du monde en elles. C’est cette dimension qui a retenu l’attention de cinquante historiens, réunis pour une vaste fresque couvrant l’espace bénéluxien (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) dans la longue durée, de l’Antiquité à nos jours [1].

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La colline de Vaux-sous-Chèvremont, stratégique et emblématique

Les fouilles récentes ont apporté des éclairages nouveaux sur l’abbaye fortifiée du haut Moyen Age qui compta dans l’espace mosan, sur son enceinte de 850 mètres construite en deux phases ainsi que sur son vaste complexe architectural. Après son démantèlement, des ateliers de céramique occupèrent le site (VIIe-XIIe siècles)

   On est déjà un peu plus près du ciel quand on arrive au haut de la colline de Vaux-sous-Chèvremont (Chaudfontaine), qui surplombe la boucle de la Vesdre. L’ex-couvent des carmes déchaux y jouxte la basilique néogothique dédiée à Notre-Dame, honorée en ces lieux depuis le haut Moyen Age. Les premières pierres de l’église et de la maison des religieux furent bénies en 1877. Jusqu’à une époque récente, les sportifs notamment vinrent ici en pèlerinage.

   C’est donc une page d’histoire de près de 140 ans qui s’est tournée avec le départ des pères, décidé en 2015. Rendant visite, peu auparavant, aux derniers animateurs encore valides de ces lieux, j’ai pu vérifier à quel point ils étaient devenus trop lourds à porter pour eux. Les autorités locales et diocésaines ayant exploré en vain les voies d’une reprise par une autre communauté religieuse, le couvent et la basilique ont été désacralisés et vendus à une société immobilière en vue de transformer les bâtiments en logements – avec un parking sous le parvis! Il s’imposait donc de mettre en œuvre des fouilles archéologiques préventives avant que toutes traces soient perdues de l’abbaye fortifiée initiale, cet important jalon dans l’histoire médiévale de l’espace mosan. Elles ont débuté en juillet 2023 sous l’égide de l’Agence wallonne du patrimoine (AWaP) et en partenariat avec l’Université de Liège [1].

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