« Entre gens de bonne compagnie »

Apparues à partir de la fin de l’Ancien Régime, les sociétés littéraires ont offert aux élites sociales des lieux de lecture, de jeux et de conversation, soigneusement à l’écart des combats politiques ou philosophiques et non sans opportunisme vis-à-vis des pouvoirs. C’est peut-être le secret de leur longévité (1775-2025)

   Fondée en 1775, la Société royale du Cabinet littéraire de Verviers fête cette année rien moins que ses 250 ans d’existence. L’occasion de se demander comment et pourquoi ce cercle voué à l’agrément et à la culture des élites a vu le jour, avec beaucoup d’autres présentant les mêmes caractéristiques au même moment [1].

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Une histoire mondiale de nos villes

L’importance des échanges avec l’étranger proche ou lointain a marqué nombre d’entre elles aux plans commercial, démographique, culturel, sociétal… Le constat ne vaut pas que pour les grands centres tels Anvers et Bruxelles. Le poids du monde se fait aussi sentir dans bien des petites et moyennes cités

   S’il est bien une spécificité de nos régions depuis la fin du Moyen Age, c’est leur densité urbaine, devenue à la longue la plus élevée du monde. En 1700, 46 % de la population des Pays-Bas actuels vivait dans des villes de plus de 5000 habitants. En Belgique, on se bornait à 29 % mais on occupait la deuxième place, loin devant l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne (14-15 %). En 1870, Pays-Bas et Belgique étaient à égalité (32 %) mais dépassés par l’Angleterre (50 %). Aujourd’hui (chiffres de 2023), nous avons repris la tête (98 % des Belges, 93 % des Néerlandais) devant les Anglais (85 %). Les fusions de communes aidant, le seuil des 5000 âmes est certes facilement dépassé dans le temps présent, mais il est considérable pour l’Ancien Régime.

   Proches les unes des autres, alors que Londres et Paris ont évolué en mégapoles désertifiant les campagnes environnantes ou lointaines, nos cités se signalent aussi par leur internationalité – leur présence à travers le monde ou la présence du monde en elles. C’est cette dimension qui a retenu l’attention de cinquante historiens, réunis pour une vaste fresque couvrant l’espace bénéluxien (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) dans la longue durée, de l’Antiquité à nos jours [1].

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« Si nous sommes des djusses, ils sont des pètés »

Le relevé des sobriquets par lesquels se désignaient les habitants des communes namuroises témoigne de processus de formation à peu près partout identiques. Ils font écho à des épisodes historiques, des rivalités, des données religieuses ou culturelles, des activités économiques… et plus souvent encore à des traits de caractère supposés

   Rien de plus enraciné chez nous que l’esprit de clocher. Il s’est concrétisé notamment par la propension à se définir en opposition à ses plus proches voisins. Par contraste et aussi, bien souvent, par dérision… « Nos concitoyens ont gardé l’habitude de spoter [surnommer], au moyen d’un sobriquet, les habitants de nos diverses localités » , constatait ainsi en 1924 Fernand Danhaive, docteur en histoire et professeur à l’Athénée royal de Namur, auteur pour sa province d’un relevé de ces spots poursuivi par Herman Pector, membre correspondant de la Société archéologique de Namur. Cette étude est aujourd’hui rééditée [1].

   Beaucoup d’eau a certes coulé sous les ponts de nos villages depuis la première publication, mais il reste des traces de ces anciens usages qui appartiennent à notre patrimoine langagier et peuvent s’avérer riches en enseignements. « Le sobriquet, expliquait en effet l’érudit local, rappelle souvent un fait historique, social ou religieux ou économique. Il témoigne d’un sentiment d’envie, de haine, de sympathie ou de mépris » . Il reflète la vie en somme, avec ses grandeurs et ses travers.

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Nos ancêtres avaient-ils meilleur air ?

Une hausse de 10 microgrammes de carbone suie par mètre cube d’air dans nos villes augmenterait de 7,1 % la mortalité naturelle. L’effet des autres polluants est nettement moindre. Mais on n’était guère mieux loti quand la révolution industrielle crachait feu et fumées ou quand les activités génératrices de nuisances proliféraient au cœur des cités

   S’il faut en croire l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la pollution de l’air dans l’espace public a été en 2019, pour l’ensemble de la planète, la cause de quelque 4,2 millions de décès prématurés. Et la Belgique, en raison de sa grande densité, ne fait pas précisément partie des pays jugés les plus « respirables » .

   Pour objectiver autant que possible nos conditions écologiques, une étude a été menée dans les neuf plus grandes agglomérations du royaume (représentant 52,9 % de la population). Il s’est agi d’évaluer les liens possibles entre la mortalité naturelle et l’exposition à court terme de groupes potentiellement vulnérables à cinq polluants (dioxyde d’azote, ozone, carbone suie et deux variétés de particules fines) [1]. La recherche a porté sur les années 2010 à 2015. Ses auteurs sont attachés à l’Agence interrégionale belge de l’environnement (Irceline), à l’Institut flamand de recherche technologique (Vito), au centre de recherche sur la santé Sciensano ou aux Universités de Hasselt ou de Louvain (Leuven).

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L’éternel retour des communiants

L’accès des enfants à l’eucharistie donne lieu à une préparation et une cérémonie publique qui n’ont cessé de gagner en importance. Quantités de coutumes sont venues se greffer à la fête, mais ce sont les plus profanes qui ont survécu. Que reste-t-il de l’attention portée naguère au suivi spirituel après le grand jour ? (XVIIe-XXe siècles)

   Elle a connu bien des avatars heureux ou non, cette fête aux communiants qui nous revient chaque année pendant le temps pascal, généralement en avril ou en mai. Instant privilégié naguère dans l’existence individuelle et collective, elle constitue aujourd’hui pour beaucoup de familles un des rares moments encore concédés à la pratique religieuse – avec le baptême, le mariage et les funérailles. Mais quel sens lui donnent encore ceux qui y participent ?

   On mesure tout l’écart entre passé et présent à la lecture de l’évocation, par le folkloriste et conteur Marcel Pignolet, de la manière dont fut vécu l’accès des enfants à la sainte table dans l’Ardenne de la première moitié du XXe siècle et en deçà [1]. Les travaux scientifiques édités sur le sujet n’abondent pas. Pour l’ensemble de la Belgique romane, je n’ai rien trouvé de postérieur à la synthèse de Jean Fraikin et Pierre Fontaine, historiens des coutumes et des parlers, qui récoltèrent écrits, objets, images de piété et documents photographiques puissamment évocateurs [2].

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Ces questions qui s’élèvent sur les Hautes Fagnes

Elles font l’objet de recherches systématiques depuis la fin du XIXe siècle, avec pour pionnier Léon Fredericq, auteur de la théorie de « l’îlot glaciaire » aujourd’hui contestée. La Station scientifique, ouverte en 1924, œuvre à l’étude du milieu ainsi qu’à sa préservation face aux projets d’exploitation

   La neige généreuse de ce début janvier a incité nombre d’entre nous à randonner dans les Hautes Fagnes. En tout temps, du reste, nous appelle cette étendue jamais identique à elle-même, d’où l’on peut contempler un horizon sans trace de présence humaine. Même quelques loups en ont redécouvert la quiétude. Entre deux promenades – et pour se réchauffer quelque peu! – une visite s’impose à la maison du Parc de Botrange, à son musée permanent ainsi qu’à l’exposition qui s’y tient jusqu’au 31 janvier. Elle a pour thème la découverte, les transformations et l’étude scientifique du « toit de la Belgique » , du milieu du XIXe siècle à 1939. Thèmes également développés dans un numéro de la revue Hautes Fagnes [1].

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Cinq cent mille ans de culture matérielle

De l’outil ordinaire à l’œuvre d’art prestigieuse, un ouvrage interuniversitaire parcourt notre histoire à travers cent objets représentatifs d’un temps, d’un lieu, d’un milieu… L’ensemble est éclectique et enrichissant, mais fatalement arbitraire et sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité. Un recueil d’articles plutôt qu’un exposé structuré…

   Sous la coordination d’historiens des différentes universités est paru récemment, dans les deux langues, un parcours de notre histoire articulé autour de cent objets tenus pour illustratifs d’un temps, d’un événement, d’un lieu, d’un milieu… [1] La formule bénéficie d’une vogue certaine. On trouve ainsi dans la bibliographie une histoire du monde, mais aussi des Pays-Bas, de l’Australie, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, ou encore de Bruges, ou encore de l’immigration… structurées à partir du même nombre « magique » de jalons. Ceux qui l’entourent directement (99 et 101) reviennent aussi régulièrement. Rien de rationnel dans pareils choix, certes, mais ils sont consacrés par l’usage. Après tout, pourquoi les médias font-ils si grand cas des « cent premiers jours » d’un gouvernement ou d’une crise ?

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Une histoire qui naît des cendres

Mode funéraire le plus répandu aux âges des métaux et à l’époque romaine, l’incinération a laissé des traces longtemps inexploitées mais dont on parvient aujourd’hui à tirer des enseignements. Ceux-ci confirment notamment l’existence de deux aires culturelles distinctes autour de la Meuse et de l’Escaut (v. 6500 avant J-C – 800 après JC)

   Dans les sites archéologiques belges de plus d’un millénaire, les sépultures contenant des restes humains incinérés sont monnaie courante. Pour les âges des métaux et l’époque romaine, elles sont même majoritaires. Longtemps, ces restes ont été considérés comme inexploitables pour la recherche. Ce n’est toutefois plus le cas, ces dernières décennies ayant vu se multiplier les travaux qui tirent parti des cendres de nos ancêtres.

   Le projet Crumbel (acronyme de CRemation, Urns and Mobility – Population dynamics in BELgium) s’est inscrit dans ce courant avec pour ambition d’appliquer les techniques de pointe aux fruits de fouilles parfois très anciennes, couvrant la longue durée qui va du néolithique au haut Moyen Age. Un article à trente mains, coordonné par Christophe Snoeck (Vrije Universiteit Brussel), a récemment fait le point sur ces avancées [1].

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« Fiers d’être Bourguignons » ? L’héritage d’Henri Pirenne

Ecrite avec la volonté de dégager une trame dans le passé de nos territoires, son « Histoire de Belgique » fait du regroupement réalisé par les ducs de Bourgogne un moment décisif. Négligeant le maintien des particularismes, il s’écarte néanmoins du discours nationaliste en plaçant notre syncrétisme romano-germanique au cœur de l’Europe occidentale

   En 1932, Lucien Febvre, cofondateur en France des Annales d’histoire économique et sociale, qualifia d’ « acte national » l’Histoire de Belgique d’Henri Pirenne, qu’il tenait pour un de ses inspirateurs. Evidemment, on ne peut être la figure de proue d’un récit national sans être ipso facto dénigré par les tenants d’identités concurrentes – flamande, wallonne… – si elles se veulent en outre exclusives. Mais dans comme hors de nos frontières, l’historien né à Verviers en 1862, mort à Uccle en 1935, demeure une référence et un père de ce qu’on appellera plus tard la nouvelle histoire, entendez celle qui explore et intègre pleinement les données de la vie matérielle et de la vie culturelle aux sens les plus larges.

   La carrière même du maître épouse de bout en bout les diversités belges. Venu au monde en terres ci-devant principautaires, formé d’abord à l’Université de Liège, il approfondit sa science en Allemagne et en France avant d’être, pendant plus de quarante ans, professeur à l’Université de Gand  puis, après s’être opposé à la néerlandisation complète de cette institution, à celle de Bruxelles.

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Le « Canon flamand » , si critiqué… en Flandre

Achevée en mai dernier, cette présentation de l’histoire en cinquante « fenêtres » (faits, personnages, lieux…) s’inscrit-elle dans une stratégie nationaliste ? Son contenu n’a rien de militant a priori, mais le passé y est considéré en lien étroit avec le présent et comme si les frontières politiques actuelles avaient toujours existé. Avec des oublis de taille…

   Le 9 mai dernier à Genk, sur le site de l’ancien charbonnage de Waterschei devenu un parc scientifique, était présenté aux médias le Canon de Flandre, fruit de deux ans et demi de travail d’une commission d’experts dirigée par le professeur Emmanuel Gerard (Katholieke Universiteit Leuven) [1]. L’événement s’est déroulé en présence  du ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts et du ministre-Président et ministre de la Culture Jan Jambon, tous deux issus de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), le parti indépendantiste devenu (tactiquement ?) confédéraliste. Le premier nommé a précisé que le Canon devait présenter « ce qui a fait de nous la Flandre et les Flamands » .

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