Autonomie et souci de l’image dans la ville médiévale

Conçus pour valider les actes par lesquels un pouvoir engage sa responsabilité vis-à-vis de tiers, les sceaux sont révélateurs de la manière, parfois changeante, dont les villes médiévales et modernes se percevaient et voulaient être perçues. Ils ont aussi joué un rôle d’emblème dans la défense des autonomies communales (XIIè-XVè siècles)

Grâce en soit rendue à Hergé, dans les générations qui furent diverties et instruites à la fois par les aventures de Tintin et Milou, on sait depuis son plus jeune âge ce qu’est la sigillographie, spécialité du professeur Halambique dans Le sceptre d’Ottokar (1939). Bien que cette science ait pu paraître improbable à nombre de jeunes lecteurs – combien ont cru qu’elle était sortie de l’imagination du maître de la ligne claire ? – les sceaux, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont beaucoup à nous apprendre, notamment sur les villes médiévales et modernes, l’autorité qui s’y exerçait ainsi que la manière dont les collectivités se percevaient et voulaient être perçues.

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Sceau et contre-sceau en argent de la Ville de Bruges en 1304, avec les étuis de cuir originaux. (Source: Stadsarchief Brugge, Hugo Maertens dans « 1302. Le désastre de Courtrai. Mythe et réalité de la bataille des Eperons d’or » , dir. Raoul C. van Caenegem, Anvers, Fonds Mercator, 2002, p. 77)

Un nouvel outil, édité par les Archives générales du royaume, est venu enrichir ce champ de recherche [1]. Consacré au comté de Flandre de la fin du XIIè siècle à la fin du XVè, il couvre pas moins de 63 villes: la densité urbaine constitue bien une des réalités belges les plus prégnantes. Pour chaque commune, les empreintes sont recensées, leur période d’utilisation déterminée, leurs lieux de conservation précisés. Si la fonction du sceau est de valider les actes par lesquels un pouvoir engage sa responsabilité vis-à-vis de tiers, bon nombre des éléments qu’on va y retrouver en font aussi un média avant la lettre, en ce qu’il transmet un message, celui de l’identité juridique et politique de la ville. C’est d’ailleurs par le terme « imago » que furent désignés les cachets quand ils commencèrent à se répandre dans l’Europe du XIè siècle. « Sigillum » n’est apparu que plus tard. Continuer à lire … « Autonomie et souci de l’image dans la ville médiévale »

Tournai au cœur des tragédies gauloises

Comme nombre de villes du Bas-Empire romain, Tournai, promue au rang de chef-lieu, fait face à l’insécurité en se dotant d’une enceinte. Les traces archéologiques témoignent toutefois d’une grande continuité dans la cité. Les crises y ont peu de répercussions avant que les Francs Saliens se rendent maîtres des lieux (IIIè-Vè siècles)

Pour nos régions, incluses dans la Gaule septentrionale, le Bas-Empire romain n’a rien d’un long fleuve tranquille. Oubliez la Pax romana, même si la chute finale est encore loin: invasions / migrations des peuples d’au-delà du Rhin, contre-pouvoirs émergents et guerres civiles, désordres et brigandages… reviennent par vagues persistantes à partir de la fin du IIè siècle, avec un premier pic franc au milieu du IIIè. Les ruines abandonnées et les magots enfouis, jamais récupérés, constituent les témoins archéologiques les plus éloquents de cette époque. S’y ajoutent les remparts dont s’entourent alors les villes et les ouvrages de défense qui jalonnent les principales voies de circulation. Certes, il est aussi des phases de rémission, particulièrement au troisième tiers du IVè siècle, quand s’élève le chant du cygne gallo-romain.

Un colloque consacré aux villes fortifiées entre Loire et Rhin (diocèse de Trèves) a fourni à Raymond Brulet l’occasion de faire le point sur le Tournai de l’Antiquité tardive [1]. La contribution du professeur émérite de l’Université catholique de Louvain traite principalement des résultats des fouilles relancées, au cours des deux dernières décennies du XXè siècle, par d’importants chantiers dont le moindre n’est pas celui de la restauration de la cathédrale Notre-Dame. Continuer à lire … « Tournai au cœur des tragédies gauloises »

Les bruits dans la ville, ce souci séculaire

A travers le cas d’Anvers, il apparaît que les citadins se sont toujours plaints des nuisances sonores, même si certaines ont changé de nature avec la révolution industrielle. La sensibilité à cette pollution varie surtout selon les lieux et la bonne ou mauvaise réputation de ceux qui la produisent (XVIè, XIXè siècles)

La représentation courante de la ville « populeuse et bruyante » se vérifie-t-elle toujours et partout ? Les historiens qui l’ont approchée divergent sur cette question éminemment complexe en ce qu’elle touche au vécu, à l’univers mental des collectivités comme à la subjectivité de tout un chacun. Les travaux de baccalauréat de Margo Buelens-Terryn et Christophe De Coster (Universiteit Antwerpen) situent leurs auteurs parmi ceux qui mettent à mal l’idée d’une croissance linéaire, au cours du temps, du concept de pollution sonore, avec la quête des stratégies visant à la réduire. A travers l’étude du cas d’Anvers, les chercheurs soutiennent, en particulier, que l’opposition entre époques préindustrielle et industrielle est à nuancer. Deux périodes de croissances économique et démographique ont été plus particulièrement envisagées: le XVIè siècle jusqu’à la fin du soulèvement calviniste (1585) et le XIXè jusqu’à la « Belle Epoque » [1].

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Le commerce florissant et l’affluence ont conduit à ouvrir à Anvers, en 1517, un deuxième marché aux bœufs, près de la porte Rouge, représenté ici dans un tableau de Peter van Bredael (v. 1670-1690). (Source: Musée royal des Beaux-Arts, Anvers, inv. 784, dans « La ville en Flandre. Culture et société 1477-1787 » , dir. Jan Van der Stock, Bruxelles, Crédit communal – Vlaamse Gemeenschap, Administratie Externe Betrekkingen, 1991, pp. 367-368)

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Contre les Germains, le développement urbain

A partir de 15 avant J-C, les régions de la Gaule conquises par César voient croître cités et chefs-lieux destinés à fortifier l’Empire. La naissance de Tongres, plus vieille ville de Belgique, s’inscrit dans ce contexte où Rome recourt à la coercition tout en optant à terme pour l’autonomie municipale (Ier siècle avant – IVè siècle après J-C)

On situe aux alentours de l’an 10 avant J-C, soit quatre décennies après la conquête de César (57-51), la naissance de Tongres, la plus ancienne de nos villes. Celles-ci ne seront, à vrai dire, pas foisonnantes à l’époque romaine dans l’espace belge actuel. Les plus importantes à côté d’Atuatuca Tungrorum seront Tournai et Arlon, qui s’imposeront plus tardivement par leur marché prospère. Toutes bénéficieront d’une position privilégiée sur les grands axes routiers.

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Reconstitution d’Atuatuca Tungrorum (Tongres) vers 150 après J-C. (Source: © Gallo-Romeins Museum of Tongeren, Ugo Janssens, https://followinghadrianphotography.com/tag/tongres/)

Le contexte général qui a vu émerger la localité hesbignonne peut s’éclairer notamment par l’étude que William Van Andringa (Université de Lille) a consacrée, en confrontant sources écrites et apports archéologiques, à l’avènement de la civilisation municipale et à l’installation des chefs-lieux en Gaule intérieure, processus qui démarre entre 15 et 12 avant J-C, avec en ligne de mire la Germanie à contrôler [1]. Symbole de ce tournant, l’autel du Confluent à Lugdunum (Lyon), où se réunissent une fois par an les représentants des cités des Gallia Celtica, Belgica et Aquitania, a été élevé en 12. Les premières traces d’activités et de constructions à Bagacum (Bavay), capitale des Nerviens qui occupent le Hainaut, le Cambrésis et le Brabant, ont été datées de 10 par les bois (dendrochronologie).

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Une planification urbaine au temps des cathédrales

La formation de nouvelles villes, qui connut un pic à la fin du Moyen Age, n’eut rien de spontané ni d’anarchique. Entre les plans des cités des temps modernes et ceux des siècles antérieurs apparaît une grande continuité. Des privilèges fiscaux, économiques et juridiques étaient octroyés pour attirer les habitants (XIIIè-XIVè siècles)

   Nombreuses sont les villes qui ont fleuri dans nos régions, comme un peu partout en Europe occidentale, aux XIIIè et XIVè siècles. On peut même parler d’un pic dans la formation de ce qui constitue aujourd’hui encore, pour une large part, notre structure de peuplement. Les autorités locales, féodales, y voyaient un moyen d’accroître leur puissance et leurs revenus. Mais ce mouvement fut tout sauf spontané. L’image qui a longtemps prévalu d’une croissance quasi anarchique, sans pensée préalable, irrégulière dans ses formes, ne tient plus la route au regard de la recherche historique contemporaine. « Il est clair qu’il y a eu là beaucoup de planification » , observe le spécialiste néerlandais du patrimoine Wim Boerefijn, qui a consacré sa thèse de doctorat à cette urbanisation du temps des cathédrales [1].

   L’opinion erronée, écrit-il, « est en grande partie basée sur l’idée courante selon laquelle le Moyen Age fut obscur, irrationnel et chaotique » , en contraste total avec la Renaissance soudainement « claire, rationnelle et ordonnée » , avec des cités dotées d’une structure bien régulière.

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