Quand la Belgique était coupée en deux

Non pas entre Nord et Sud, mais entre catholiques et libéraux. Dans le dernier tiers du XIXè siècle, la violence des affrontements entre ces deux camps était au paroxysme. Les crispations autour des écoles et des funérailles dans le pays de Durbuy en fournissent une illustration éloquente (1879-1888)

   Jamais, selon les termes d’Henri Pirenne, les querelles politiques dans la Belgique contemporaine n’ont atteint « un tel degré de violence » que dans les années qui ont suivi 1870. « Catholiques et libéraux, poursuit l’historien, dressés les uns contre les autres, vivent dans un état de lutte permanente, aussi irréconciliables, aussi intolérants que les guelfes et les gibelins du Moyen Age ou les gueux et les papistes du XVIè siècle. Au drapeau bleu et au bleuet des libéraux, s’opposent le drapeau rose et le coquelicot des catholiques; le Chant des gueux répond au Lion de Flandre; à la campagne on insulte les enterrements civils; dans les grandes villes on siffle les processions et l’on disperse des pèlerinages à coups de canne » . Et d’ajouter un peu plus loin que « poussée à ce point d’exaspération, la passion politique eût infailliblement abouti à la guerre civile si la restriction du droit de suffrage ne l’avait circonscrite aux limites de la bourgeoisie censitaire » [1].

   Une série de documents publiés par la revue du cercle historique Terre de Durbuy apporte quelques exemples éloquents, à l’échelon local, de ces cris et fureurs auxquels le « petit peuple » était loin de demeurer étranger [2]. Ici comme ailleurs, les luttes ont alors pour terrains privilégiés l’enseignement (libre vs public) et les funérailles (civiles vs religieuses).

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Un intellectuel catholique dans l’enfer nazi

Les écrits de Flor Peeters dénonçant les systèmes totalitaires l’ont conduit à Sachsenhausen. Il y a été témoin et victime du régime inhumain des camps ainsi que des collusions entre prisonniers communistes et autorités SS. Sa foi lui a permis de surmonter l’épreuve. Elle a continué de guider son action après la guerre (1941-1945)

  « Florent, je ne souhaite qu’une chose: fais ton devoir! » Ainsi parla sa femme ce jour de septembre 1941 où sept gestapistes armés firent irruption chez lui, à Duffel, pour l’arrêter. Les époux n’allaient plus se revoir avant la fin de la guerre. Pour Flor Peeters (1909-1989), alors enseignant en langues anciennes, plus tard professeur à l’Université de Gand, la grande épreuve allait s’appeler Oranienburg-Sachsenhausen, un des premiers camps de concentration, ouvert dès 1933. Au retour, ce survivant de l’enfer, qui devait en porter à tout jamais les séquelles, fournit un témoignage poignant et réfléchi dans une série de 122 articles publiés d’abord par le quotidien Het Volk, de juillet à décembre 1945, puis réunis en un livre l’année suivante. Une nouvelle vie éditoriale vient d’être conférée à celui-ci [1].

  Ancien élève des jésuites de Turnhout puis étudiant de l’Université catholique de Louvain, docteur en philologie classique et en philosophie, également candidat en droit, celui qui s’était engagé dans les Jeunesses ouvrières du futur cardinal Cardijn dut à son opposition radicale aux totalitarismes d’avoir été déporté. Ce rejet s’était exprimé notamment, en 1937, dans un ouvrage au titre des plus explicites: Het bruine bolsjevisme. Over de christenvervolging in het Derde Rijk (Le bolchevisme brun. Sur la persécution des chrétiens dans le Troisième Reich). En langage vulgaire, on dira qu’il était « brûlé » .   

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Godefroid Kurth défenseur de Sitting Bull

Le célèbre historien de l’Université de Liège, aussi figure marquante du christianisme social, prit fait et cause pour les Amérindiens contre les Yankees. A la « barbarie » des Américains blancs, protestants et rationalistes, il opposa les bienfaits des missions catholiques dans le Nouveau Monde, de Las Casas au père De Smet (1878-1879)

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Godefroid Kurth, historien mais aussi homme d’engagements. (Source: Institut Destrée, http://www.wallonie-en-ligne.net/1995_Cent_Wallons/Kurth_Godefroid.htm)

   De Godefroid Kurth (1847-1916), on connaît surtout l’œuvre historique et l’action politique, de l’importation des méthodes de travail allemandes dans nos universités à la promotion du catholicisme social dans notre vie politique. Mais bien peu savent que l’auteur de Clovis, le fondateur, de La cité de Liège au Moyen Age ou de La nationalité belge prit aussi à cœur la cause de Sitting Bull et des Amérindiens en général [1]

   C’est en 1878 et 1879, dans une série d’articles totalisant pas moins de 235 pages et publiés par la Revue générale, alors liée au monde catholique, que le jeune professeur à l’Université de Liège livra sa vision de la conquête de l’Ouest et de ses conséquences dramatiques pour les populations autochtones. Le nom du principal chef des Sioux du Nord servit de titre à l’ensemble, écrit à un moment où Tatanka Iyotake (Taureau assis, en anglais Sitting Bull) était auréolé de gloire. Ses hommes, renforcés par les Cheyennes et certains Arapahos, étaient sortis victorieux – et sans pitié pour les vaincus – de la bataille de Little Bighorn contre le colonel Custer et le 7è régiment de cavalerie, le 17 juin 1876. Pour autant, il n’y avait pas lieu, selon Kurth, de se faire d’illusion « sur l’extinction totale et prochaine dont la race indienne est menacée » (Revue générale, t. XXVIII, 1878, pp. 842-843). Et plus loin: « Hélas! au moment où j’écris ces paroles, le sol du pauvre désert indien fume encore des ruines accumulées par la barbarie américaine, et les derniers défenseurs de la race rouge, exilés irréconciliables, rôdent comme des loups affamés autour des frontières de leur ancienne patrie! » (p. 852) Le titre complet de la série, qui parut également en un volume tiré à part, était des plus explicites: « Sitting Bull ou l’agonie de la race rouge » (rappelons que le mot « race » n’était pas alors chargé de ses connotations actuelles).

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