Un intellectuel catholique dans l’enfer nazi

Les écrits de Flor Peeters dénonçant les systèmes totalitaires l’ont conduit à Sachsenhausen. Il y a été témoin et victime du régime inhumain des camps ainsi que des collusions entre prisonniers communistes et autorités SS. Sa foi lui a permis de surmonter l’épreuve. Elle a continué de guider son action après la guerre (1941-1945)

  « Florent, je ne souhaite qu’une chose: fais ton devoir! » Ainsi parla sa femme ce jour de septembre 1941 où sept gestapistes armés firent irruption chez lui, à Duffel, pour l’arrêter. Les époux n’allaient plus se revoir avant la fin de la guerre. Pour Flor Peeters (1909-1989), alors enseignant en langues anciennes, plus tard professeur à l’Université de Gand, la grande épreuve allait s’appeler Oranienburg-Sachsenhausen, un des premiers camps de concentration, ouvert dès 1933. Au retour, ce survivant de l’enfer, qui devait en porter à tout jamais les séquelles, fournit un témoignage poignant et réfléchi dans une série de 122 articles publiés d’abord par le quotidien Het Volk, de juillet à décembre 1945, puis réunis en un livre l’année suivante. Une nouvelle vie éditoriale vient d’être conférée à celui-ci [1].

  Ancien élève des jésuites de Turnhout puis étudiant de l’Université catholique de Louvain, docteur en philologie classique et en philosophie, également candidat en droit, celui qui s’était engagé dans les Jeunesses ouvrières du futur cardinal Cardijn dut à son opposition radicale aux totalitarismes d’avoir été déporté. Ce rejet s’était exprimé notamment, en 1937, dans un ouvrage au titre des plus explicites: Het bruine bolsjevisme. Over de christenvervolging in het Derde Rijk (Le bolchevisme brun. Sur la persécution des chrétiens dans le Troisième Reich). En langage vulgaire, on dira qu’il était « brûlé » .   

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Etre édité en Tchécoslovaquie communiste

Le contrôle exercé sur les traductions et publications d’auteurs néerlandophones illustre le caractère orwellien d’un monde où le passé est gommé ou réécrit en fonction des décisions du Parti. Sauf pendant le dégel des années ’60, le caractère « rural » d’une œuvre suffit à la faire frapper d’interdit (1948-1989)

   « La littérature est un des plus puissants moyens pour diriger, mener et éduquer le peuple et la nation. Elle est certainement plus efficace que la science, l’école  ou les autres domaines de l’éducation » . Ainsi s’est exprimé Zdeněk Nejedlý, considéré comme le principal idéologue du régime communiste tchécoslovaque, au Congrès des écrivains du 6 mars 1949. Est alors imposée, comme on le sait, la norme du « réalisme socialiste » que le même Nejedlý définit non pas comme un reflet de la réalité mais comme l’évocation « par des procédés artistiques de l’idée de la réalité » . Parmi les effets de l’action des dispositifs de propagande de l’Etat, on observe notamment une prolifération de fictions populaires idéologiquement inoffensives, alors que les ouvrages instructifs se raréfient jusqu’à la pénurie.

   Les livres étrangers sont eux aussi soumis « au système orwellien à l’œuvre derrière l’octroi des permissions de publication » , selon les termes de Wilken Engelbrecht, docteur de l’Université d’Utrecht, professeur aux Universités d’Olomouc (République tchèque) et de Lublin (Pologne). Il est l’auteur d’un gros plan sur le sort réservé dans ce contexte particulier aux littératures néerlandaise et flamande [1]. Un sort tributaire notamment d’une autre des prédilections du pouvoir marxiste-léniniste: celle qui favorise le roman historique, en ce qu’il permet « de lier le combat présent avec la tradition et le passé révolutionnaires du peuple » , dixit Georgi Dimitrov, le leader bulgare qui a été l’agent principal de Staline au sein de la IIIè Internationale. Ainsi, parmi les 186 titres néerlandophones publiés en traduction tchèque entre 1949 et 1989, 50 (27 %) relèvent du genre cher à Alexandre Dumas père. Cette part diminue toutefois dans les années ’70 et ’80: plus que 9 sur 49 (18 %) pendant la période 1980-1989.

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De l’anarchisme au djihadisme, un même égotisme

Libertaires avant 1914, communistes dans les années ’80, islamistes aujourd’hui, les terroristes inscrivent leur esprit de sacrifice dans un culte du moi tout-puissant. Les facteurs sociaux les motivent peu. Le monde extérieur, perçu comme uniformément hostile, est pour eux condamné par le sens de l’histoire ou par la volonté de Dieu (1880-)

Bruxelles (mai 2014), Paris (janvier et novembre 2015), Saint-Quentin Fallavier (juin 2015), Bruxelles (mars 2016), Saint-Étienne-du-Rouvray et Nice (juillet 2016), Liège (mai 2018)…: ces tragédies ont marqué en Europe la troisième génération du terrorisme islamiste, liée à Daech. Les deux précédentes s’étaient cristallisées autour du conflit afghan (années ’80) et de l’organisation al-Qaida (New York 2001, Madrid 2004, Londres 2005…). Dans la présente séquence, notre pays se trouve, bien malgré lui, en position critique. Outre que l’attentat du Musée juif en 2014 est le premier du Vieux Continent à avoir été diligenté par « l’Etat » islamique, la Belgique globalement a été désignée comme une des plaques tournantes du djihadisme européen.

L’ampleur du phénomène nous incite à la comparaison (ressemblances et différences) avec les autres vagues terroristes survenues sous nos cieux hors des temps de guerre, inspirées successivement par l’anarchisme et par le marxisme-léninisme. La première connut son apogée entre la fin du XIXè siècle et la Première Guerre mondiale. C’est l’époque où l’on pouvait entendre, au cours d’un meeting à Andrimont (Dison) en 1886, un certain Dehan affirmer « qu’il vaut mieux couper une tête que de casser cent carreaux et que même il est préférable d’employer de la dynamite qui se trouve dans nos caves » [1]. Ce n’était pas que paroles en l’air, comme le montrèrent les nombreux passages à l’acte des années 1892-1894, à Liège notamment, inscrits dans une stratégie de propagande par le fait. Si les poseurs de bombes ont opéré chez nous de manière ciblée et non meurtrière, il n’en alla pas de même pour leurs homologues espagnols et français, qui n’hésitaient pas à viser parfois la foule innocente. Continuer à lire … « De l’anarchisme au djihadisme, un même égotisme »

L’autre âge d’or de la gauche ultra

Insignifiante numériquement et électoralement, la Ligue révolutionnaire des travailleurs (LRT), émanation du trotskisme, a été influente avant tout dans le champ métapolitique, celui des « luttes » sociétales de l’après-Mai 68. Mais cette ligne n’a pas été sans tensions internes, ruptures et revirements (1971-1984)

   A l’heure où les sondages promettent une percée électorale d’appréciable ampleur au Parti du travail de Belgique (PTB), il n’est pas sans intérêt de revenir sur cet autre âge d’or de l’extrême gauche – appelée aujourd’hui gauche radicale – que furent les années ’70 du siècle dernier, dans le sillage de Mai 68. Le contexte très particulier de l’immédiat après-guerre n’autorise guère, en revanche, le parallèle avec le précédent temps fort que fut le raz-de-marée du Parti communiste de Belgique (PCB) aux élections législatives de 1946, d’où il sortit troisième parti du pays (23 sièges, devant les libéraux qui en comptaient 17). La vague rouge déferlante après nos golden sixties n’a guère eu, pour sa part, de répercussions dans les urnes. C’est davantage par le foisonnement des nouveaux partis et mouvements alternatifs qu’elle se caractérise.

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Mgr Van Bommel, un catholique social face au communisme

En février 1848, l’évêque de Liège dénonçait dans un mandement les « doctrines empoisonnées du communisme ». Mais il avait aussi pris la mesure de la condition ouvrière, « au-dessous de celle des esclaves ». Il comptait sur l’éducation et les associations chrétiennes pour inculquer la charité et la non-convoitise (1830-1850)

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D’origine hollandaise, Mgr Corneille Van Bommel, en fonction de 1829 à 1852, fut le premier évêque de Liège de la Belgique indépendante. (Source: Archives de l’évêché de Liège)

    L‘anniversaire ne pouvait passer inaperçu. Il y a ces jours-ci cent ans que la fraction bolchevique menée par Lénine s’empara du pouvoir en Russie. Le régime qui en résulta allait compter un certain nombre de réalisations sociales et culturelles à son actif. Mais au caractère totalitaire et oppresseur du « socialisme réel » ainsi qu’à ses piètres performances économiques allait s’ajouter un coût humain sans précédent: il serait proche des cent millions de morts, hors des guerres civiles et étrangères, pour l’ensemble des pays où s’imposa l’idéologie marxiste-léniniste, selon le Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997).

   Près de 70 ans avant l’événement de 1917, en février 1848, le spectre « hantait » déjà l’Europe, aux dires de Marx et Engels qui signaient alors le Manifeste du parti communiste. Fait remarquable: le même mois, le 18 exactement, l’évêque de Liège Mgr Corneille Van Bommel publiait un mandement, destiné à être lu en chaire, où il évoquait la « grande catastrophe » que constituerait la mise en œuvre des « doctrines empoisonnées du communisme » , appelant les fidèles à leurs devoirs « à l’approche des dangers qui menacent la religion et la société » . Philippe Dieudonné (Université de Liège) s’est livré à une recherche, notamment dans les Archives de l’évêché, sur cet écrit, sa genèse et son contexte [1]. Il en ressort que si le prélat ne pouvait imaginer l’ampleur des tragédies du XXè siècle et si les contre-feux qu’il préconisait, considérés rétrospectivement, n’étaient guère à la hauteur du défi, il ne manqua cependant pas de clairvoyance sur bien des points.

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