S’arrêter à Outrelouxhe, sous la protection du dieu Mercure

Le relais routier romain d’Elmer à Outrelouxhe (Modave) procurait aux voyageurs et commerçants le repos, le ravitaillement et le changement d’équipage. Ils y trouvaient aussi la statue de leur divinité. La cave fut dotée d’un système de drainage des eaux dont on connaît peu d’équivalents (Ier siècle avant J-C – IIIè siècle après J-C)

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Le relais routier d’Outrelouxhe tel qu’on peut se le représenter dans la dernière phase de ses aménagements. (Source: Jacques Witvrouw, n. 1)

   Partie intégrante du réseau principal établi au Ier siècle avant J-C sous l’impulsion d’Agrippa, la grande voie romaine qui reliait Metz à Tongres en passant par Arlon a laissé un héritage à Outrelouxhe, village de la commune de Modave, aux confins du Condroz central et de l’Ardenne condruzienne. Les débris de matériaux de construction antiques, apparaissant lors des labours sur un terrain agricole, y ont en effet révélé la présence des rares vestiges d’un de ces petits relais routiers où les voyageurs, au début de notre ère, pouvaient trouver le repos, se ravitailler et changer d’équipage. Trois campagnes de fouilles de sauvetage (en raison d’un projet de lotissement) y ont été menées de 1996 à 1999 par le Cercle archéologique Hesbaye-Condroz, sous la direction de Daniel Witvrouw. Le rapport a été publié une quinzaine d’années plus tard [1].

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Lisez, Eduard de Dene vous parle

Transmission orale, épitaphes, chronogrammes, inscriptions, spectacles de rue…: les modes de diffusion des textes réunis dans le « Testament rhetoricael » de l’auteur brugeois (1562) sont révélateurs des nombreux chemins empruntés par l’écrit pour être communiqué hors du livre qui n’atteignait qu’une minorité (XVIè siècle)

   Que l’oralité ait été longtemps le mode principal de transmission de la littérature au plus grand nombre, on le sait assez. Les fêtes, les foires ou de grands événements tels que les Joyeuses Entrées offraient autant d’occasions de représenter des pièces de théâtre, de réciter des poèmes, d’interpréter des chansons, les œuvres en langue vernaculaire étant elles-mêmes bien souvent conçues à cette fin. Mais la diffusion des écrits hors des livres était loin de se limiter à ces seules performances. Pour illustrer les autres modalités en vigueur à l’aube des temps modernes, Samuel Mareel (museum Hof van Busleyden Malines, musée royal des Beaux-Arts Anvers, Université de Gand) s’est penché sur les chemins empruntés par les textes réunis dans le Testament rhetoricael d’Eduard de Dene [1]. Il s’agit d’une anthologie monumentale – environ 300 textes et 25.000 vers –, à la manière du Testament de Villon, d’un auteur célèbre notamment pour ses fables (De warachtighe fabulen der dieren). Né et mort à Bruges (v. 1505 – v. 1578), notaire et juriste, il était aussi membre de deux chambres de rhétorique, ces lieux, en plein essor dans les anciens Pays-Bas, où se réunissaient des écrivains et artistes d’un même métier ou d’un même quartier.

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De Tournai à New York… sans passer par Ohain

Les colons qui achetèrent aux Indiens une partie de Manhattan, future New York, en 1626 appartenaient à la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Mais ils provenaient en grande partie de nos régions. Les racines familiales de leur gouverneur Pierre Minuit plongent dans le Tournaisis (1626-1638)

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Vue de Nieuw-Amsterdam dans « Novi Belgii Novaeque Angliae nec non partis Virginiae tabula » , carte de Nicolaes Visscher, éd. v. 1690. (Source: coll. John H. Levine, New York Public Library, https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47da-f127-a3d9-e040-e00a18064a99)

   A Battery Park, sur la pointe sud de Manhattan, se dressent deux monuments dédiés aux colons qui, en 1626, achetèrent aux Indiens cette partie de l’île qui porte leur nom (Manhattes ou Manhattans, liés à la nation Delaware). Le prix défiait toute concurrence: quelques tissus, outils et ustensiles européens pour une valeur de 60 florins d’époque (environ 800 euros actuels, à la grosse louche bien sûr). Ces fondateurs appartenaient à la Compagnie hollandaise des Indes occidentales, mais ils provenaient en grande partie de nos régions. Là où ils élevèrent une palissade en bois pour se protéger passe aujourd’hui Wall Street, alors que le chemin qu’ils empruntaient pour l’acheminement du blé – breedweg – est devenu Broadway. A la tête de la communauté, Pierre Minuit, qu’on voit en transaction avec un chef autochtone sur un bas-relief à l’entrée du parc, fut longtemps considéré comme un natif d’Ohain, une section de la commune de Lasne dans le Brabant wallon. C’était toutefois erronément, comme le confirme encore Yves Vanden Cruysen dans la biographie qu’il a consacrée au pionnier majeur de New York [1]: les racines familiales de cette grande figure se situent bien dans l’espace belge, mais il faut aller un peu plus au sud, à Tournai, pour les retrouver.

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Léopold III en questions

Les défenseurs du Souverain soulignent l’importance des données psychologiques aux origines de la crise royale. La rupture avec le gouvernement, l’entrevue avec Hitler, le remariage… ont été matières à griefs mais le Roi, en restant sur le territoire national, a fait barrage à l’instauration d’un régime dirigée par les SS (1939-1951)

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Revue des troupes dans les années 1930. (Source: général Robert Close, « Léopold III, les « non-dits »  » , Bruxelles, Ligne claire, 2001, hors-texte)

   Même avec le recul du temps, Léopold III demeure un sujet touchy. Qu’on le veuille ou non, le réflexe persiste, quand sont évoqués des faits qui le concernent, de les classer à sa charge ou à sa décharge, même s’il n’en put mais. Les questions posées ne changent pas et survivent aux réponses fournies de longue date mais trop nuancées pour séduire le café du commerce. Elever le débat est l’ambition du Cercle Léopold III, créé en 2002 sous le haut patronage de la princesse Maria Esmeralda. Oui, on y défend l’honneur d’un Roi, mais en recherchant sincèrement la vérité, même si elle doit conduire à mettre des bémols au bilan du règne.

   La démarche a débouché sur un ouvrage collectif [1], qui ne risquait certes pas d’être un nouveau pamphlet politicien, mais se trouve tout aussi éloigné des hagiographies trop ferventes. L’intention une fois saluée, regrettons qu’elle soit desservie par quelques scories, comme l’emploi de l’expression incongrue de « Rois de Belgique » (pp. 23, 32) ou l’ample recours au « journal des événements » (p. 34) du général Raoul Van Overstraeten, aide de camp puis conseiller militaire, sans préciser que ce prétendu journal ne fut pas écrit au jour le jour mais largement reconstruit ultérieurement [2].

   L’ensemble s’articule aux interrogations les plus récurrentes adressées à l’association au cours des années 2012 à 2014. Sans surprise, c’est le remariage qui est arrivé en tête de liste (30 %), suivi de l’attitude à l’égard des questions humanitaires et du sort des Juifs (15 %), puis – à égalité (10 %) – de la politique d’indépendance et de neutralité, de l’entrevue de Berchtesgaden avec Hitler, de la déportation du Roi à la fin de la guerre (parfois présentée comme volontaire) et de l’abdication (parfois perçue comme une faiblesse). En queue (5 %) viennent la décision de capituler le 28 mai 1940, le choix de rester en Belgique plutôt que de suivre les ministres et les activités du « Roi prisonnier » sous l’occupation. Sur chacun de ces points sont proposés des dossiers bien étayés par l’historiographie et divers témoignages.

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