Un champion de la Contre-Réforme à l’heure des iconoclastes

Evêque puis archevêque de Cambrai, avec une autorité couvrant un vaste territoire du Brabant jusqu’en Hainaut, Maximilien de Berghes a été célébré comme « le saint Charles Borromée des Pays-Bas » pour son zèle à mettre en œuvre le concile de Trente et combattre le protestantisme. Il n’en resta pas moins soucieux de son rang et proche des nobles même frondeurs (1556-1570)

   Le 22 janvier 1565, un banquet est donné dans la citadelle de Cambrai en l’honneur du comte d’Egmont, alors capitaine général des Flandres et conseiller d’Etat, en route pour Madrid où il va exposer à Philippe II le point de vue de l’opposition nobiliaire face aux remous survenus dans ses Pays-Bas habsbourgeois (qui englobent la plus grande partie de l’espace belge actuel). Au cours de ce repas, une prise de bec virulente oppose l’archevêque Maximilien de Berghes et un ami d’Egmont, Henri de Bréderode, un des plus grands propriétaires du temps, notoirement proche des protestants. L’incident est jugé assez grave pour que l’information remonte jusqu’à la gouvernante Marguerite de Parme, laquelle en fait rapport au Roi d’Espagne. Dans sa réponse, celui-ci, très en alerte contre les tendances anticléricales qui se développent dans le milieu noble, somme sa représentante à Bruxelles de sermonner Bréderode ainsi que son compagnon le comte de Culembourg, également impliqué. Pourtant, le prélat lui-même ne fait pas trop grand cas des propos peu amènes dont il a fait les frais. Il se garde bien de couper les ponts avec ses contradicteurs, qu’il reçoit peu après et ouvertement à souper dans sa résidence.

   Faut-il voir dans cet épisode un topique de la vie et de l’attitude de l’évêque puis archevêque de Cambrai (1556-1570), dont l’autorité s’étend sur un vaste territoire allant du Brabant jusqu’en Hainaut ?

Né en 1518, d’origine bâtarde mais issu d’une lignée brabançonne prestigieuse, Maximilien apparaît dans l’historiographie sous deux profils des plus contrastés: tantôt celui d’un homme de pouvoir opportuniste bien plus que d’un pasteur soucieux de ses ouailles, tantôt celui d’un véritable homme de Dieu, d’un « saint Charles Borromée des Pays-Bas » , aussi appliqué que son collègue de Milan à mettre en œuvre les décisions du concile de Trente. Violet Soen (Katholieke Universiteit te Leuven) et Laura Hollevoet (Sint-Gummaruscollege Lier) ont entrepris de faire le tri [1]. De leur recherche ressort une figure de défenseur sans faiblesse de la foi et des prérogatives épiscopales, même si celui qui est aussi duc de Cambrai, comte du Cateau-Cambrésis et prince du Saint-Empire romain entend continuer à jouer un rôle dans les cercles de haut rang dont il provient, en dépit des progrès qu’y accomplissent les idées de Luther et de Calvin (tout particulièrement dans certaines grandes familles dépitées d’avoir été laissées à l’écart lors des dernières nominations épiscopales…).

   Du vivant même de de Berghes, les rumeurs relatives à ses ambitions vont bon train. Ainsi le vicaire général Maximilien Morillon, dans une lettre de 1566 au cardinal archevêque de Malines de Granvelle – parti à l’étranger à la demande du Roi en raison de l’hostilité des notables à son égard –, laisse-t-il entendre que le zèle tridentin de Maximilien serait lié à son désir d’imposer informellement, sur l’Ecclesia belgica, sa primauté contre celle octroyée au nouveau siège de Malines. Avec Reims aussi – voire surtout –, Cambrai est en compétition depuis que la première a vu sa province ecclésiastique (l’étendue de sa juridiction) se réduire au profit de la seconde. Quand le cardinal de Lorraine, de retour de Trente, convie ses collègues de Cambrai, de Tournai et d’Arras à son concile provincial, de Berghes est ravi de l’interdiction faite par Marguerite de Parme d’accepter l’invitation.

   Pour l’archevêque, il s’agit de n’être en rien inférieur à ses contemporains et pas davantage à ses prédécesseurs. L’enjeu s’impose avec d’autant plus d’acuité que pour une raison inconnue, alors qu’il avait été convoqué à la dernière séance de Trente, il ne s’y est pas rendu en dépit de la forte insistance du pape Pie IV. Celui-ci l’a forcément trouvée saumâtre et il importe pour Maximilien de remonter dans ses bonnes grâces, ne serait-ce que pour obtenir son soutien face aux chanoines de la cité de la batiste avec lesquels il est alors en conflit ouvert. Mais ses actions ne vont pas remonter aisément à Rome. Il devra pour cela attendre l’avènement du nouveau pape Pie V en 1566. Non moins symptomatiques sont les circonstances de la mort de « notre Borromée » , quatre ans plus tard. Elle intervient au Markiezenhof de Bergen op Zoom, marquisat de la dynastie Glymes-Berghes, où sa présence constitue une manière de protester contre la confiscation de terre et de biens infligée au chef de famille pour lèse-majesté. « Ainsi, écrivent les historiennes, les questions de rang et d’ordre social furent intimement liées à celles de la foi et de la réforme jusqu’à la fin de la vie de Berghes » .

   Sur l’autre plateau de la balance, dans l’application des décrets tridentins aux Pays-Bas, c’est bien lui qui prend les devants en multipliant les visites pastorales et en réunissant successivement un concile en 1565 pour la province ecclésiastique dont Cambrai est la métropole et un synode diocésain en 1567. Entre ces deux moments, c’est aussi lui qui rassemble les évêques pour réfléchir en particulier aux moyens de relever le défi protestant, notamment par la formation du clergé. Et comme une réponse à ceux qui lient ses initiatives à son ambition au titre de primat, il propose à Marguerite de Parme de convoquer elle-même les évêques hors de Cambrai… Le couvercle de son mausolée d’albâtre aujourd’hui disparu en sa cathédrale célébrera celui qui « fut le premier à faire appliquer en Belgique les statuts du concile de Trente » et qui « combattit avec autant de succès que d’efficacité les hérésies naissantes » . Dans une lettre au Pape, la gouvernante fille de Charles Quint a même élargi le cadre géographique en louant les efforts de l’archevêque de Cambrai pour « être le premier à accepter franchement le concile en deçà des Pyrénées et des Alpes » .

   La partie est pourtant loin d’être gagnée. Quand, au concile provincial de 1565, il est proposé de signer un formularium de reconnaissance des décrets initiant la Réforme catholique, les évêques, abbés et doyens s’y rallient d’emblée, mais une forte résistance se manifeste du côté des chapitres (chanoines) face à la suppression de leurs droits d’exemption (en matière de devoir de résidence, d’assistance aux offices et de visites épiscopales). Même après avoir entendu pendant deux jours une commission de théologiens chargés de les convaincre, certains et non des moindres (Cambrai, Tournai, Arras, Namur…) persisteront dans leur refus. Le propre chapitre de Maximilien ne sera mis au pas qu’en 1568, après que d’autres contestations se seront manifestées, à la suite du synode diocésain, à propos de la mise en place d’une liste de Pâques et de communion.

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La prise de Valenciennes occupée par les calvinistes en 1566-1567, vue par Franz Hogenbergh. (Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Valenciennes)

   La flambée iconoclaste qui frappe les Pays-Bas après d’autres régions en 1566 rend pourtant bien insignifiants ces débats internes. Le 26 août au Cateau-Cambrésis, des bandes de calvinistes avec d’autres anticléricaux pillent des églises, brûlent des statues, font des autodafés de livres. Les moines de l’abbaye Saint-André du Cateau sont chassés. Les maisons de ceux qui ont fui sont saisies. La ville de Valenciennes est occupée et érigée en « nouvelle Genève » jusqu’en avril 1567. Mais les catholiques semblent réagir ici plus qu’ailleurs. « L’on void désià la résistance que font les bons en plusieurs lieux » , écrit de Berghes à Marguerite de Parme. Et la réponse des autorités civiles comme religieuses est sans pitié. En 1562 déjà, trois destructeurs d’une image sacrée et d’une croix dans un cimetière ont été exécutés. Début 1567, quelques protestants présentent une requête afin de pouvoir confesser leur religion au moment où ils sont appelés, comme les autres Cambrésiens, à prêter un serment de fidélité à la foi catholique et de respect de l’ordre public. Le prévôt prend très mal la chose et les fait aussitôt condamner à mort. Ces actions de répression pour l’exemple n’empêchent cependant pas Maximilien de faire « grande instance pour saulver ung des plus coulpables » , selon Morillon dans une lettre à Granvelle de juin 1567. Il s’agit de Pierre de Preys, membre du Compromis des nobles élaboré par les opposants religieux et politiques, mais aussi beau-père de la sœur du prélat dont on retrouve ici l’indulgence pour les personnes de son rang.

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Une pièce de 5 patards de Cambrai portant la devise de Maximilien de Berghes: « Nec cito, nec temere » . (Source: http://www.numismeo.com/fr/fodales/1456-cambresis-5-patards-de-maximilien-de-berghes.html)

   Plus largement, il joue avec François Richardot, l’évêque d’Arras, un rôle majeur dans l’élaboration et l’application d’un pardon général aux hérétiques repentants. L’interlocuteur à Bruxelles étant désormais le duc d’Albe, la première demande, en 1568, ne rencontre guère de succès et de Berghes va même, un temps, jusqu’à menacer de démissionner. Mais il obtient en 1570 une dérogation pontificale pour la réconciliation, qu’il délègue à son tour au clergé plus proche du terrain. Il décède peu après.

   « Nec cito, nec temere » (« ni vite, ni témérairement » ): telle était sa devise. Si c’est le contraire, à savoir un zèle imprudent, qui lui fut parfois reproché par des contemporains, il ne se laisse en tout cas réduire ni à la catégorie des évêques modèles post-tridentins, ni à celle des dignitaires purement politiques. Ni Charles Borromée, ni Albert de Hohenzollern.

P.V.

[1] « Le « Borromée » des anciens Pays-Bas ? Maximilien de Berghes, archevêque de Cambrai et l’application du Concile de Trente (1564-1567) » , dans Revue du Nord. Histoire, t. 99, n° 419, janv.-mars (oct.) 2017, pp. 41-65. https://revue-du-nord.univ-lille3.fr/, Université de Lille 3, BP 60149, 59653 Villeneuve-d’Ascq Cedex, France.

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