Les premières séquences de la bande dessinée

Les publications belges francophones sont marquées par les exemples étrangers, français surtout, parfois repris à l’identique. Le caractère national s’affirme dans le choix des lieux et des sujets. Pour la professionnalisation progressive et l’émergence d’une presse destinée à la jeunesse, il faut attendre le début du XXe siècle (1840-1914)

   C’est aux débuts, encore peu explorés, de la bande dessinée sous nos cieux que Frédéric Pâques a consacré sa thèse de doctorat dont un livre est issu [1]. Le champ précis de sa recherche est la production francophone avant 1914 en Wallonie et à Bruxelles – un cadre géographique à nuancer, les frontières politiques ou culturelles n’étant pas étanches.

   L’auteur est professeur à l’Ecole supérieure des arts (ESA) Saint-Luc (Bruxelles et Liège) ainsi qu’à l’Université de Liège (en 2024). Quantitativement et proportionnellement, les matériaux qu’il a rassemblés situent la Belgique au même rang que les autres pays industrialisés à l’époque. Mais peut-on déjà parler, comme ce sera le cas plus tard, d’une spécificité ou d’une école propres à notre pays ? De toute évidence, ce serait pousser le bouchon trop loin.

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Regards florentins – et opportunistes –    sur les Pays-Bas insurgés

La « Description des Pays-Bas » de Guicciardini a reflété à travers ses nombreuses rééditions, du vivant de l’auteur et après sa mort, la guerre civile qui a débouché sur la scisson des dix-sept provinces. Avec le temps, l’ouvrage s’est étendu davantage sur l’actualité politique et a fini par présenter séparément le Nord et le Sud (1567-1662)

   Publiée en 1567 en italien et en français chez l’imprimeur anversois Willem Silvius, la Description des Pays-Bas de Lodovico Guicciardini (ou Louis Guichardin) fut gratifiée d’un impressionnant succès, concrétisé par 29 rééditions et traductions in extenso recensées jusqu’en 1662 [1]. Né à Florence en 1521, son auteur était établi dans la Métropole dès l’année de ses 20 ans, comme agent dans la filiale de son père commerçant. Il est demeuré sur les rives de l’Escaut jusqu’à sa mort en 1589.

   Son œuvre majeure est de celles qui ont contribué à la perception d’une unité géographique et sociopolitique des grands Pays-Bas – grosso modo l’actuel Benelux sans la principauté de Liège, avec une partie du Nord de la France. Mais paradoxalement, sa parution et celle de ses versions amendées successives coïncident avec la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648) qui fit éclater cet ensemble. En centrant son attention sur Anvers et les autres villes brabançonnes, Gustaaf Janssens, professeur émérite de la Katholieke Universiteit Leuven, également ancien archiviste du Palais royal, éclaire la manière dont les événements contemporains influencèrent les contenus des différentes moutures de la Descrittione, que celles-ci aient été dues à Guichardin lui-même ou à des continuateurs [2].

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Retour au bercail pour le Limbourg hollandais ?

Les milieux industriels de Maastricht et des environs ont-ils été plus enclins à soutenir le projet d’annexion porté par les partisans de la « grande Belgique » ? En dehors de quelques cas notoires, les acteurs économiques semblent avoir été généralement plus réservés. Même l’Eglise catholique est restée pronéerlandaise (1918-1919)

   Le 24 décembre 1918, l’agent de police Max Cappel remettait au procureur de la Reine du tribunal d’arrondissement de Maastricht le rapport qui lui avait été demandé sur les courants militant en faveur d’un retour du Limbourg hollandais à la Belgique. De ses conclusions, il ressortait qu’outre-Moerdijk, l’idée chère à nos nationalistes faisait surtout recette dans le milieu des grands industriels et commerçants. Confirmation moins d’un an plus tard, en automne 1919, par l’économiste renommé Johan Nederbragt, chargé d’indaguer par le ministère néerlandais des Affaires étrangères: il épinglait lui aussi le monde des affaires. La recherche historique a suivi la même piste. Selon Maria De Waele, qui fait autorité sur le sujet depuis sa thèse défendue à l’Université de Gand en 1989, la campagne annexionniste fut surtout soutenue, au moins en coulisses, par d’importants industriels maastrichtois.

   Et pourtant, s’il faut en croire l’étude récente d’Eddy de Beaumont, diplômé des Universités de Tilburg et Amsterdam, il y aurait lieu de nuancer quelque peu ces constats [1]

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Une histoire mondiale de nos villes

L’importance des échanges avec l’étranger proche ou lointain a marqué nombre d’entre elles aux plans commercial, démographique, culturel, sociétal… Le constat ne vaut pas que pour les grands centres tels Anvers et Bruxelles. Le poids du monde se fait aussi sentir dans bien des petites et moyennes cités

   S’il est bien une spécificité de nos régions depuis la fin du Moyen Age, c’est leur densité urbaine, devenue à la longue la plus élevée du monde. En 1700, 46 % de la population des Pays-Bas actuels vivait dans des villes de plus de 5000 habitants. En Belgique, on se bornait à 29 % mais on occupait la deuxième place, loin devant l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne (14-15 %). En 1870, Pays-Bas et Belgique étaient à égalité (32 %) mais dépassés par l’Angleterre (50 %). Aujourd’hui (chiffres de 2023), nous avons repris la tête (98 % des Belges, 93 % des Néerlandais) devant les Anglais (85 %). Les fusions de communes aidant, le seuil des 5000 âmes est certes facilement dépassé dans le temps présent, mais il est considérable pour l’Ancien Régime.

   Proches les unes des autres, alors que Londres et Paris ont évolué en mégapoles désertifiant les campagnes environnantes ou lointaines, nos cités se signalent aussi par leur internationalité – leur présence à travers le monde ou la présence du monde en elles. C’est cette dimension qui a retenu l’attention de cinquante historiens, réunis pour une vaste fresque couvrant l’espace bénéluxien (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) dans la longue durée, de l’Antiquité à nos jours [1].

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« Si nous sommes des djusses, ils sont des pètés »

Le relevé des sobriquets par lesquels se désignaient les habitants des communes namuroises témoigne de processus de formation à peu près partout identiques. Ils font écho à des épisodes historiques, des rivalités, des données religieuses ou culturelles, des activités économiques… et plus souvent encore à des traits de caractère supposés

   Rien de plus enraciné chez nous que l’esprit de clocher. Il s’est concrétisé notamment par la propension à se définir en opposition à ses plus proches voisins. Par contraste et aussi, bien souvent, par dérision… « Nos concitoyens ont gardé l’habitude de spoter [surnommer], au moyen d’un sobriquet, les habitants de nos diverses localités » , constatait ainsi en 1924 Fernand Danhaive, docteur en histoire et professeur à l’Athénée royal de Namur, auteur pour sa province d’un relevé de ces spots poursuivi par Herman Pector, membre correspondant de la Société archéologique de Namur. Cette étude est aujourd’hui rééditée [1].

   Beaucoup d’eau a certes coulé sous les ponts de nos villages depuis la première publication, mais il reste des traces de ces anciens usages qui appartiennent à notre patrimoine langagier et peuvent s’avérer riches en enseignements. « Le sobriquet, expliquait en effet l’érudit local, rappelle souvent un fait historique, social ou religieux ou économique. Il témoigne d’un sentiment d’envie, de haine, de sympathie ou de mépris » . Il reflète la vie en somme, avec ses grandeurs et ses travers.

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Henri Pirenne, Belge, Européen, universel

L’auteur de la monumentale « Histoire de Belgique » en sept volumes est aussi reconnu internationalement comme un pionnier de l’histoire « totale » prônée par l’école des Annales. Hostile aux nationalismes, il leur opposa le rempart de la méthode comparative et plaida pour la création d’une revue d’histoire universelle (1886-1937)

   Considéré chez nous comme une figure de proue de l’histoire nationale, dénigré à ce titre par les tenants des nationalismes concurrents – flamand, wallon… –, Henri Pirenne (1862-1935) fut aussi un des grands rénovateurs de la science du passé au début du XXe siècle. Dans et hors de nos frontières, il demeure une référence et nul ne conteste son inscription parmi les pères de ce qui s’est appelé, selon les époques, l’école des Annales ou la « nouvelle histoire » , entendez celle qui explore et intègre pleinement les données économiques, sociales, culturelles…

   Une preuve de plus du rayonnement du Verviétois, professeur à Gand puis à Bruxelles, mentor de Marc Bloch et de Lucien Febvre, nous est fournie par la récente réunion de plusieurs de ses livres, conférences et articles majeurs dans l’imposante collection « Quarto » de Gallimard [1]. Cité en préface, le médiéviste Léopold Génicot (Université catholique de Louvain) expliquait au mieux la pérennité du maître en notant que « toutes ses œuvres » , en dépit de leur inéluctable vieillissement, « sont des pierres angulaires de l’historiographie sur lesquelles tout historien doit méditer encore » (cité p. 19).

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Le siècle des localités

L’histoire locale a connu à l’époque contemporaine un essor qui ne s’est jamais démenti. Il tient en grande partie à l’attachement des Belges à leur ville ou leur village. Ces dernières décennies, les œuvres de notables, avec leurs limites, ont été rejointes par des travaux plus solides, où le monde universitaire s’est investi (XIXe-XXIe siècles)

   Si, dans l’Ancien Régime, les villes trouvaient aisément leurs historiens, il n’en alla pas de même pour les villages. Le manque d’archives explique sans doute en bonne partie cette carence. D’aucuns y ont ajouté l’absence de privilèges (ou franchises) dans le monde rural. A tort: il en a été relevé un bon nombre dans nos campagnes. Les seigneurs avaient besoin d’habitants pour faire fructifier leurs terres et on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Mais prégnante a été et demeure l’idée selon laquelle le milieu urbain aurait été le vecteur par excellence du « progrès » .

   Tout autre est l’étendue de l’intérêt porté sur le passé à partir du XIXe siècle. L’histoire locale connaît alors un essor dont profitent les communes même les plus modestes. Cette vogue, ses caractéristiques et ses causes ont fait l’objet des contributions de Jean-Marie Cauchies (Université Saint-Louis Bruxelles et Académie royale de Belgique) et Philippe Desmette (Université Saint-Louis Bruxelles) à un colloque consacré à l’historiographie du Hainaut, du comté à la province [1].

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« Fiers d’être Bourguignons » ? L’héritage d’Henri Pirenne

Ecrite avec la volonté de dégager une trame dans le passé de nos territoires, son « Histoire de Belgique » fait du regroupement réalisé par les ducs de Bourgogne un moment décisif. Négligeant le maintien des particularismes, il s’écarte néanmoins du discours nationaliste en plaçant notre syncrétisme romano-germanique au cœur de l’Europe occidentale

   En 1932, Lucien Febvre, cofondateur en France des Annales d’histoire économique et sociale, qualifia d’ « acte national » l’Histoire de Belgique d’Henri Pirenne, qu’il tenait pour un de ses inspirateurs. Evidemment, on ne peut être la figure de proue d’un récit national sans être ipso facto dénigré par les tenants d’identités concurrentes – flamande, wallonne… – si elles se veulent en outre exclusives. Mais dans comme hors de nos frontières, l’historien né à Verviers en 1862, mort à Uccle en 1935, demeure une référence et un père de ce qu’on appellera plus tard la nouvelle histoire, entendez celle qui explore et intègre pleinement les données de la vie matérielle et de la vie culturelle aux sens les plus larges.

   La carrière même du maître épouse de bout en bout les diversités belges. Venu au monde en terres ci-devant principautaires, formé d’abord à l’Université de Liège, il approfondit sa science en Allemagne et en France avant d’être, pendant plus de quarante ans, professeur à l’Université de Gand  puis, après s’être opposé à la néerlandisation complète de cette institution, à celle de Bruxelles.

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Un regard autre sur le creuset culturel belge

De langue française mais souvent d’origine mixte, nombre d’écrivains ont reflété notre identité métissée, au carrefour de la germanité et de la romanité. D’autres ont communié dans le goût des libertés, du repli sur la région, de l’esprit de clocher et/ou des paradoxes et des hardiesses esthétiques (XIXe-XXIe siècles)

   Pour dépasser les stéréotypes par lesquels la Belgique s’est bien souvent caractérisée elle-même (le surréalisme, l’autodérision, la bière, le chocolat…), un arrêt s’impose à ce « regard de l’altérité » que propose Carmen Andrei sur notre identité collective telle que reflétée par des sources littéraires [1]. Professeure à l’Université Dunărea de Jos de Galaţi (Roumanie), l’auteure a rassemblé et révisé ses études auscultant les œuvres de fiction créées sous nos cieux en langue française depuis Charles De Coster jusqu’à l’aube du XXIe siècle. Il ressort de ses travaux que cet espace géographique où nous vivons constitue, en dépit du schisme politique qui l’agite régulièrement de soubresauts, « un véritable creuset culturel » , « une culture originale, à la fois unitaire et plurielle » (p. 8).

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Le « Canon flamand » , si critiqué… en Flandre

Achevée en mai dernier, cette présentation de l’histoire en cinquante « fenêtres » (faits, personnages, lieux…) s’inscrit-elle dans une stratégie nationaliste ? Son contenu n’a rien de militant a priori, mais le passé y est considéré en lien étroit avec le présent et comme si les frontières politiques actuelles avaient toujours existé. Avec des oublis de taille…

   Le 9 mai dernier à Genk, sur le site de l’ancien charbonnage de Waterschei devenu un parc scientifique, était présenté aux médias le Canon de Flandre, fruit de deux ans et demi de travail d’une commission d’experts dirigée par le professeur Emmanuel Gerard (Katholieke Universiteit Leuven) [1]. L’événement s’est déroulé en présence  du ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts et du ministre-Président et ministre de la Culture Jan Jambon, tous deux issus de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), le parti indépendantiste devenu (tactiquement ?) confédéraliste. Le premier nommé a précisé que le Canon devait présenter « ce qui a fait de nous la Flandre et les Flamands » .

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