La sécurité des monastères a un prix

Chargés de les défendre contre les pilleurs et les guerroyeurs, les avoués doivent aussi répondre à l’appel du prince pour participer à la défense du pays. Les moines et leurs dépendants sont tenus de contribuer à l’effort de guerre, particulièrement important dans le comté de Flandre (XIe-XIIe siècles)

   Dès les premiers siècles médiévaux, les abbayes fleurissent un peu partout en Europe. Et tout aussi tôt, il faut pourvoir à leur sauvegarde, ainsi qu’à celle des terres en leur possession, contre les pilleurs et les guerroyeurs. La mission d’assurer protection et justice aux religieux revient à ceux qu’on appelle les avoués. Mais leur fonction revêt aussi un aspect moins connu, plus directement lié à l’organisation militaire du pays. Jean-François Nieus est venu l’éclairer dans le cadre du comté de Flandre, « l’une des terres d’élection de l’avouerie monastique » [1].

   Au IXe siècle déjà, pour faire face aux raids normands, les grands monastères ainsi que les évêchés sont soumis à de lourdes obligations. En témoignent les énigmatiques caballarii et herescarii (guerriers ou paysans ?) du polyptyque (registre) carolingien de l’ancienne abbaye bénédictine de Saint-Bertin, située du côté aujourd’hui français, à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Les sources ne permettent toutefois pas de déterminer l’implication de l’avoué dans cette défense commune.

Continuer à lire … « La sécurité des monastères a un prix »

Des religieuses pour et contre la Réforme catholique

Combattues, soutenues ou instrumentalisées, les décisions du concile de Trente ont été diversement reçues dans les communautés qui jouissaient d’une large autonomie. Illustration à travers deux couvents d’augustines à Anvers et à Lierre. Le respect de la clôture et le rejet des richesses ont été les idéaux les plus épineux (1563-1700)

   Si le concile de Trente, achevé en 1563, marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Eglise, il n’a pas pour autant changé d’un coup de baguette magique la face de la chrétienté. « Les décisions tridentines n’ont pas été imposées sans plus, top-down, remarque Esther Van Thielen (Université d’Anvers). La réception et l’adhésion à ces décisions sont aussi importantes » [1]. Aux différents travaux corroborant ce constat, l’historienne ajoute sa contribution après s’être plongée dans les archives de deux communautés de chanoinesses régulières augustines, celle des Falcons à Anvers et celle de Vredenberg à Lierre (Lier).

Continuer à lire … « Des religieuses pour et contre la Réforme catholique »

Sortir du monde ou y rester sous l’Ancien Régime: des femmes témoignent

L’attrait pour la sérénité du cloître et la motivation religieuse s’expriment dans les annales écrites par les annonciades célestes de Liège, qui font aussi état des déchirements familiaux, de la désolation des refusées et d’une opinion publique prompte à s’émouvoir au moindre soupçon de vocation forcée (XVIIè-XVIIIè siècles)

   « L’ont a mieux aimé préférer le bien de la paix et de la solitude et, s’il le faut ainsy dire, Dieu aux hom[m]es » . Ces mots sont de la main d’une religieuse du XVIIè siècle, une annonciade céleste, qui pouvait aussi avoir vent d’échos négatifs de l’extérieur: « Souvent le monde improuve ce que Dieu approuve » .

   Sa communauté, d’abord installée à Tongres en 1640, s’est établie « au fauxbourg d’Avroy lez Liège » en 1677, suite à l’incendie de la maison initiale. De la même famille religieuse existait déjà en Cité ardente un autre monastère, fondé en 1627 à l’intérieur des remparts, dans l’ancien quartier de l’Ile. De l’un et l’autre établissements, les célestines – comme on les appelait familièrement dans nos régions – laissèrent des mémoires où, avec franchise, elles se faisaient les historiennes de leur ordre. Dans ces sources peu connues mais abondantes s’est plongée Marie-Elisabeth Henneau (Université de Liège), en y cherchant les raisons que pouvaient avoir ces femmes de sortir du monde… ou d’y retourner [1].

Continuer à lire … « Sortir du monde ou y rester sous l’Ancien Régime: des femmes témoignent »

Une noblesse qui ne roulait pas sur l’or

Une charte de 1217 récemment découverte fait état de la cession d’une dîme par le sire de Faing (Falaën, Onhaye) à l’abbaye bénédictine de Brogne. Rien de plus normal pour un impôt en principe ecclésiastique. Mais l’opération reflète aussi les difficultés financières que connaissent les élites aristocratiques de l’époque (XIIIè siècle)

  Un parchemin haut de 11 centimètres, un sceau rond détérioré en cire brune où figurent deux léopards, un contre-sceau (empreinte complémentaire) comportant une sextefeuille (fleur stylisée) ainsi que quatre fleurs de lys dans les espaces intermédiaires… et cette note: « Charta Goberti domini de Byurt de decimis de Maharenne » .

La charte de Gobert de Bioul relative à la dîme de Maharenne. (Source: Archives générales du royaume, Bruxelles, Grand Conseil des Pays-Bas, Appels de Namur, n° 2452, dans n. 1, p. 115)

   Ainsi se présente un acte de 1217 découvert par Marc Ronvaux, président de la Société royale Sambre et Meuse, dans les archives du Grand Conseil de Malines, la juridiction suprême de nos anciens Pays-Bas. Le document était inséré dans le dossier d’un procès opposant, à l’époque moderne, les bénédictins de l’abbaye Saint-Pierre de Brogne (Saint-Gérard, Mettet) aux chanoines de la collégiale Saint-Feuillen de Fosses (Fosses-la-Ville), à propos de l’érection d’une chapelle en église paroissiale. Mais les enseignements qu’on peut tirer de cette pièce oubliée, qui n’avait laissé aucune trace in situ, vont bien au-delà de ce conflit singulier [1].

Continuer à lire … « Une noblesse qui ne roulait pas sur l’or »

Sainte Begge n’était pas béguine

Veuve, ayant décidé de se consacrer à Dieu, la fondatrice de l’abbaye d’Andenne, qui fut aussi la grand-mère de Charles Martel, a bénéficié d’un regain de popularité au XVè siècle, quand son nom la fit associer erronément au mouvement des béguinages (VIIè siècle)

PASBEL20200319a
Buste reliquaire de sainte Begge en l’église de Chèvremont. (Source: Yves Sorée, https://www.bibliotheca-andana.be/?page_id=153704)

« Une sainte noble au destin tourmenté et à la descendance royale » : telle fut Begge d’Andenne selon les termes de Sophie Leclère (Université Saint-Louis-Bruxelles) [1]. Et cependant, les médiévistes ne se sont pas bousculés au portillon pour mettre en lumière la fondatrice de l’abbaye de la ville mosane, morte sans doute vers 693. Sa renommée, en fait, n’a guère débordé le cadre local et son dossier hagiographique ne pèse pas bien lourd: un texte, quatre copies, trois miracles. L’historienne a entrepris d’établir une généalogie des sources (stemma codicum) relatives à cette figure inscrite dans un lignage des plus prestigieux: fille du maire du palais d’Austrasie saint Pépin de Landen et mère de son successeur (non immédiat) Pépin le Jeune, dit de Herstal, lui-même père de Charles Martel, futur vainqueur des musulmans dans les environs de Poitiers, et grand-père de Charlemagne. Le royaume mérovingien d’Austrasie s’étend alors sur le nord-est de la Gaule, en ce compris la Belgique contemporaine, avec Metz pour capitale.

Continuer à lire … « Sainte Begge n’était pas béguine »

A vos plumes, copistes cisterciens!

Une grande diversité caractérise les cartulaires où étaient transcrits les chartes, titres, bulles… des abbayes de l’ordre né à Cîteau. Ces manuscrits, qui constituaient la mémoire vivante de la communauté, pouvaient avoir une fonction pratique, de défense des intérêts de l’établissement ou de pur prestige (XIIè-XVè siècles)

Dans le dernier tiers du XIXè siècle, l’archiviste et historien Léopold Devillers entreprenait la description analytique de cartulaires et de chartriers du Hainaut. In fine, ce travail d’érudition remplit pas moins de huit volumes, outre un mémoire de plus de 350 pages rien que sur le cartulaire et les archives de l’abbaye d’Aulne (Thuin). C’est assez dire l’importance de ces recueils où étaient transcrits les titres de propriété, les privilèges temporels et plus largement tout ce qui pouvait constituer la mémoire de la communauté monastique.

Nathalie Verpeaux (Université de Namur) s’est livrée pour sa part à l’examen et à la comparaison des copies dues aux cisterciens, sur le territoire de la Région wallonne actuelle, entre le XIIè et le début du XVè siècle [1]. Le choix du cadre tant géographique que chronologique est évidemment arbitraire, l’intérêt de l’exercice étant de pouvoir aborder la question de l’uniformité ou de la diversité des pratiques en cours au sein de l’ordre né à Cîteau, au XIIè siècle, d’une volonté de renouer avec l’austérité première de l’idéal bénédictin.

Continuer à lire … « A vos plumes, copistes cisterciens! »