La grève de la faim, signe de débilité mentale ?

Dans les prisons de l’Entre-deux-guerres, les détenus qui y ont recours sont traités comme des cas psychiatriques. Les médecins, parfois, interviennent auprès des autorités en leur faveur. Mais si l’insistance ou les menaces ne suffisent pas à les convaincre de se nourrir de nouveau, on passe presque toujours à l’alimentation forcée (1918-1939)

Quand un groupe de sans-papiers occupant une église entreprend une grève de la faim, il est aussitôt entouré de sympathisants et assuré de recevoir un ample écho médiatique. Tout autre est la situation du prisonnier isolé: la même action le confronte directement à l’autorité, aux structures et à la discipline de l’institution carcérale. On ne badine guère avec ces dernières et dans un passé même relativement proche, l’improbabilité d’obtenir gain de cause par une insoumission nutritionnelle fut plus grande encore. En témoigne le master qu’Ayfer Erkul (Vrije Universiteit Brussel) a consacré à l’ultime recours des détenus protestataires dans la Belgique de l’Entre-deux-guerres [1].

L’historienne s’est plongée d’abord dans la presse de l’époque. Les articles, généralement brefs, consacrés à des internés ayant refusé de s’alimenter précisent fréquemment que ceux-ci ont été transférés vers l’aile psychiatrique de la prison. Ce que vont confirmer les autres sources. « Ce transfert peut être vu comme une mesure pour être débarrassé d’un élément perturbateur » , écrit la chercheuse. Mais joue aussi un contexte bien particulier, qui favorise alors l’idée d’un lien entre inanition volontaire et troubles mentaux. Continuer à lire … « La grève de la faim, signe de débilité mentale ? »

L’enfer d’Evere ou quand l’asile perdait la raison

Violences, insécurité, insalubrité, soins médicaux insuffisants…: telles sont les réalités mises en évidence par l’enquête et le procès consécutifs à un double homicide commis dans l’établissement pour aliénés d’Evere. L’affaire a suscité une prise de conscience et des réformes du régime asilaire, mais dans d’étroites limites (1871-1874)

Pendant la Première Guerre mondiale, le taux de surmortalité dans les institutions psychiatriques belges s’est élevé à 23 %. J’ai consacré un précédent article à ce moment « révélateur des carences de l’époque dans le domaine des soins aux aliénés » [1]. Sur un autre moment, celui-ci en temps de paix et non de désorganisation, de réquisitions et de privations, les recherches menées par Gauthier Godart (Université catholique de Louvain) jettent une lumière crue. Le chercheur est parti d’un double homicide commis à l’asile d’Evere, le 24 octobre 1871, et de l’ample scandale qu’il suscita [2].

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L’établissement de santé d’Evere tel qu’il apparaît dans une lithographie de l’artiste Louis Van Peteghem réalisée en 1859. (Source: n. 2, p. 185)

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Dans les asiles de la Belgique martyre

Le taux de surmortalité dans les institutions psychiatriques s’est élevé à 23 % pendant la Grande Guerre. La malnutrition, les conditions sanitaires, les réquisitions… sont à l’origine de ces nombreux décès, sans beaucoup de réactions du côté des autorités. Un moment révélateur des carences de l’époque dans le domaine des soins aux aliénés… (1914-1919)

Bâtiments réquisitionnés ou frappés par les bombardements, évacuations pour cause de proximité des combats, afflux de civils en fuite, déplacements épuisants de personnes fragiles, surpopulation délétère des institutions restantes…: le monde des asiles psychiatriques a payé, lui aussi, un lourd tribut à la Grande Guerre. Une situation encore aggravée par l’amenuisement des sources de financement public, l’Etat, les provinces et les communes étant eux-mêmes confrontés aux aléas en cascade qui les avaient rendus ménagers de leurs deniers (aide aux nécessiteux, ravitaillement et entretien des troupes d’occupation, crise monétaire…). En 1918, l’hospice des insensés de Liège touche 2,18 francs par journée d’aliéné pris en charge, alors que le coût réel est estimé à 4,58 francs. C’est un des nombreux indices de misère que relèvent Benoît Majerus (Université du Luxembourg) et Anne Roekens (Université de Namur) dans leur étude novatrice sur le sujet [1]. Ajoutons, pour aider à se représenter, que cent grammes de beurre coûtent alors 5,20 francs à Bruxelles [2].

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