Une paix napoléonienne dans nos villes

La sévérité des tribunaux de simple police à Liège et à Namur sous le régime français s’est renforcée avec le temps. Chargés des infractions légères, ils ont œuvré à la « régulation judiciaire du social » par des peines plus souvent pécuniaires que coercitives. Mais ils n’ont cessé d’être confrontés à des problèmes d’organisation (1795-1814)

   Le croiriez-vous ? La grande majorité des contrevenants traduits devant les tribunaux urbains sous le régime français l’ont été pour des injures verbales et, dans une moindre mesure, pour des voies de fait. À Liège, les unes et les autres ont représenté, avec 37 % des contraventions, une proportion médiane entre Cologne (53,4 %) et Namur (24 %). Sous l’Ancien Régime, il était pourtant rare que pareilles infractions soient incriminées par la justice pénale.

   Ces données ressortent d’une récente étude sur ces trois villes, due à Antoine Renglet (Université catholique de Louvain) [1]. Trois villes jugées relativement « tranquilles » dans les rapports de l’époque, ce que l’exploitation des archives municipales et préfectorales permet de confirmer dans une large mesure.

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Du ciseau au barreau: un art pour inspirer les avocats

Comment « L’orateur » du sculpteur symboliste George Minne a pu, au tournant des XIXe et XXe siècles, rendre hommage aux avocats réformistes de l’époque, témoigner de leurs liens avec les artistes et / ou leur rappeler l’importance de l’éloquence persuasive, qui ne s’improvise pas, ainsi que de l’introspection et de la contemplation (1901)

   L’homme est d’âge moyen, élégamment coiffé, vêtu d’une longue robe, les yeux presque clos. Il a une pile de livres à portée de la main. De tout son corps penché, qui forme comme une ligne, il s’appuie par son avant-bras droit et son coude gauche sur un bloc massif qui semble émerger du sol. Tel est L’orateur (De redenaar) de George Minne (1866-1941), une sculpture datée de 1901, de petites dimensions (40,9 x 40,6 x 57,8 cm), dont existent deux versions, une en bronze (musée des Beaux-Arts de Gand) et une en marbre (collection privée).

   Qu’a voulu représenter l’artiste, avec quel éventuel message sous-jacent ? A ces questions, Chiara Logghe (Université de Gand) a entrepris de répondre [1]. Son analyse nous instruit, à bien des égards, sur une époque, un milieu, un moment.   

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Une histoire qui naît des cendres

Mode funéraire le plus répandu aux âges des métaux et à l’époque romaine, l’incinération a laissé des traces longtemps inexploitées mais dont on parvient aujourd’hui à tirer des enseignements. Ceux-ci confirment notamment l’existence de deux aires culturelles distinctes autour de la Meuse et de l’Escaut (v. 6500 avant J-C – 800 après JC)

   Dans les sites archéologiques belges de plus d’un millénaire, les sépultures contenant des restes humains incinérés sont monnaie courante. Pour les âges des métaux et l’époque romaine, elles sont même majoritaires. Longtemps, ces restes ont été considérés comme inexploitables pour la recherche. Ce n’est toutefois plus le cas, ces dernières décennies ayant vu se multiplier les travaux qui tirent parti des cendres de nos ancêtres.

   Le projet Crumbel (acronyme de CRemation, Urns and Mobility – Population dynamics in BELgium) s’est inscrit dans ce courant avec pour ambition d’appliquer les techniques de pointe aux fruits de fouilles parfois très anciennes, couvrant la longue durée qui va du néolithique au haut Moyen Age. Un article à trente mains, coordonné par Christophe Snoeck (Vrije Universiteit Brussel), a récemment fait le point sur ces avancées [1].

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Retour en force de la peine de mort

Collaborateurs et délateurs en firent les frais entre la Libération et 1950. 242 ont été exécutés alors que la peine de mort n’était plus effective en temps de paix depuis 1863. La gravité des faits et le traumatisme de la population expliquent une sévérité qui fut toutefois à géométrie variable et s’est atténuée avec le temps (1944-1950)

   Pendant les six années qui suivirent la Libération et la fin de la Seconde Guerre mondiale, 242 condamnés à mort ont été exécutés en Belgique, soit trois fois plus que les 79 recensés pendant 110 ans entre 1830 et 1940! Il s’agissait évidemment de collaborateurs politiques, policiers ou militaires et de délateurs, auxquels il faut ajouter un criminel de guerre, le major allemand SS Philipp Schmitt, commandant du camp de Breendonk, dernier à avoir été fusillé, le 9 août 1950.

   Pour faire pleine lumière sur ce retour en force de la peine capitale, on dispose aujourd’hui du précieux travail de quatre historiens. Elise Rezsöhazy, Dimitri Roden, Stanislas Horvat et Dirk Luyten, attachés à des universités, à l’Ecole royale militaire ou au Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (Ceges/Soma), ont pu pour la première fois tirer ample moisson non seulement des dossiers pénaux individuels, mais aussi des archives de l’auditorat général [1].

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Les animaux dans la ville, quelle histoire!

Amies ou utiles, ennemies ou esclaves, les bêtes couraient les rues sous l’Ancien Régime. Focale sur les relations entre la faune et l’homme à Liège et à Namur, de l’éloignement ou l’abattage des espèces nuisibles ou alimentaires à l’adulation des compagnons à poils et à plumes dans la sphère privée (XVIIe-XVIIIe siècles)

   Les archives des autorités locales, centrales et provinciales des villes de Liège et Namur contiennent la bagatelle de 134 règlements relatifs aux relations entre l’homme et l’animal rien que pour les XVIIe et XVIIIe siècles. C’est dans ce cadre géographique et chronologique que William Riguelle s’est attaché à éclairer les rapports anthropozoologiques en milieu urbain. Son livre, issu d’une thèse soutenue à l’Université catholique de Louvain, prend appui sur la plus grande diversité de sources possible [1].

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Dans les bistrots de nos aïeuls

Le style et l’équipement des cafés populaires de l’Entre-deux-guerres correspondent à une longue tradition sur laquelle viennent se greffer quelques éléments plus modernes. On a plus souvent l’électricité que l’eau courante… Une mine d’informations glanées dans les dossiers pénaux de la Flandre-Orientale (1932-1938)

   « Le meilleur siège, les consommations les plus fines, ne seront appréciés parfaitement que si la décoration de l’établissement est franchement agréable » . La revue architecturale Bâtir insistait en ces termes, dans les années ’30 du siècle dernier, sur l’importance, pour assurer le succès d’un café, de l’aménagement intérieur, en même temps bien sûr que de la personnalité du patron ou de la patronne. Investir ce champ n’est toutefois pas chose aisée pour l’historien. Si les lieux emblématiques sont généralement bien documentés, il en va tout autrement pour les débits de boissons ordinaires.

   Marjan Sterckx (Université de Gand) est pourtant parvenue à forcer l’entrée de ces foyers de sociabilité populaire [1]. L’originalité de son étude est de reposer sur les archives judiciaires, plus précisément sur les photographies légales et les plans de scènes de crimes qu’elles contiennent. L’alcoolisme aidant, les bistrots ont alimenté plus souvent qu’à leur tour la rubrique des faits divers des journaux! Après échantillonnage, la chercheuse a retenu dix dossiers d’assises de la province de Flandre-Orientale pour la période 1932-1938, conservés aux Archives générales du Royaume à Gand. L’ambition n’a pas été d’aboutir à un tableau pleinement représentatif, mais d’au moins déblayer la question.

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Pilleurs de troncs, gibier de potence

Pris en flagrant délit dans une église de Dinant aujourd’hui disparue, trois « étrangers » vivant de rapines de ville en ville ont payé de leur vie leur vol considéré comme un sacrilège. L’instruction judiciaire a mis en lumière leur vaine recherche d’un métier stable, suivie de leur errance de hors-la-loi sans frontières (1698)

   Dans le fonds de l’échevinage de Dinant, déposé aux Archives de l’État à Namur, sont contenues les pièces du procès de trois pilleurs de troncs pris en flagrant délit dans la « bonne ville » alors liégeoise, à la fin du XVIIe siècle. De ces archives, Pascal Saint-Amand, animateur à la maison du Patrimoine médiéval mosan, a tiré les riches enseignements, tant sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire que sur le profil social des aigrefins du temps [1].

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Une vague de quarantaines à la Côte

Sous l’influence des épidémies dans le bassin méditerranéen ainsi que des conceptions économiques valorisant la croissance et la santé de la population, les mesures de confinement des marins, d’abord liées aux temps de crise, ont évolué en tendant à devenir plus permanentes. Mais les entraves au commerce sont demeurées limitées (XVIIIe siècle)

   Si le mal était connu et nommé dès le Moyen Age, il avait pris, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, une ampleur appelant des réponses adaptées. Devenue endémique dans le bassin méditerranéen, particulièrement dans l’Empire ottoman, la peste bubonique a imposé, dans les zones portuaires, le renforcement de la seule barrière qui lui était alors opposable: la quarantaine. La mer du Nord et la Manche, certes plus éloignées de la menace, n’ont pas tardé à être impactées elles aussi, au moins dans les phases de crise aiguë. En examinant qu’il en fut dans l’espace actuel de la Côte belge, Stan Pannier (Vlaams Instituut voor de Zee, Oostende, et Katholieke Universiteit Leuven) nous fait découvrir une terra (presque) incognita [1].

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Dans la tête des participants à la plus vieille loterie

Organisée à Bruges en 1441 pour remédier à l’endettement de la Ville, elle a été rééditée et a fait école. Les Pays-Bas de la fin du XVIIe siècle en comptaient plusieurs centaines. Sur les billets, les participants adressaient leurs supplications à Dieu, à la Vierge, aux saints… ou écrivaient des plaisanteries moins édifiantes (XVe-XVIIe siècles)

   C’est à Bruges, en 1441, que fut organisée la première loterie de l’histoire des anciens Pays-Bas, lesquels englobaient une grande partie de la Belgique actuelle. L’événement a été peu étudié et pour cause: pour toute source le concernant, on ne dispose que d’une ligne dans les comptes de la cité. Mais ce ne fut pas one-shot, comme il se dit en franglais. Et pour un des jeux de hasard ultérieurs, celui de 1446, c’est Byzance! Les Archives de la Ville contiennent à son sujet pas moins de trois registres, dont un précieux document qui nous entrouvre la porte sur ce que les joueurs avaient en tête. Marly Terwisscha van Scheltinga (Universiteit Antwerpen, Fonds Wetenschappelijk Onderzoek) en a tiré parti [1].

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Quand des pans de bois témoignent du passé d’une habitation

Découverts lors de travaux de rénovation dans une maison ordinaire de Lorcé (Stoumont), ils ont été datés du XVIe siècle. La dendrochronologie et l’archéologie du bâti permettent de retracer l’évolution de la demeure, marquée notamment par le passage aux matériaux durs, l’ajout d’un étage, l’agrandissement et une autre répartition des pièces

   « Chaque maison a son histoire » , proclame le titre donné par Laurence Druez (Archives de l’Etat à Liège) à son guide des sources qui en permettent l’approche. Mais ces sources, bien souvent, se raréfient à mesure qu’on remonte le fil du temps. Pour autant que des éléments de la construction s’y prêtent, les méthodes de la dendrochronologie, visant à déterminer l’âge et les évolutions du bois, se révèlent ici d’un précieux secours. « C’est le cas, précise l’auteure, lorsque le bâtiment original en pans de bois a été englobé dans un bâtiment plus récent et plus grand en colombage ou en maçonnerie » [1].

   A côté d’habitations où cette disposition initiale s’offre toujours aux regards en existent d’autres dont l’apparence dissimule les traces de leur passé lointain. Ainsi en est-il allé pour cette demeure très ordinaire de la rue du Centre à Lorcé (Stoumont), à l’intérieur de laquelle des pans de bois ont été découverts lors de travaux de rénovation. Soumis à Emmanuel Delye et Patrick Hoffsummer (laboratoire de dendrochronologie, Université de Liège), ils ont été datés rien moins que de la première moitié du XVIe siècle [2]. A cette époque, le village, possession de l’abbaye de Stavelot, était doté d’une cour de justice et vivait avec ses dépendances (Chession et Targnon) sous un lieutenant-mayeur désigné par le chapitre abbatial. A côté de l’activité agricole largement dominante, un fourneau à fondre le fer y était établi depuis la fin du XVe siècle [3].

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