Du Directoire à l’Empire, les dix ans d’un Flamand dans les armées françaises

Né et vivant à Wakken (Dentergem), le conscrit Jean Gheerbrant a gagné la Légion d’honneur et s’est hissé au grade de maréchal des logis-chef. Témoin des drames vécus tant par les civils que par les militaires, il n’a cessé de se réclamer de sa région d’origine et non de la France (1798-1808)

   Quand, en 1798, il est appelé à servir dans les armées de la République française, Jean Gheerbrant tente comme beaucoup, mais en vain, de se faire réformer pour raisons de santé. Il en prend pour dix ans, ne pouvant payer un remplaçant, bien qu’il soit d’un milieu relativement aisé. Fait rare parmi les plus de 200.000 Belges incorporés après l’annexion de nos provinces en 1795: le soldat malgré lui – qui saura quand même monter en grade – laissera des mémoires, transmis dans la famille et aujourd’hui accessibles dans une édition scientifique [1].

Continuer à lire … « Du Directoire à l’Empire, les dix ans d’un Flamand dans les armées françaises »

Comment mouraient les soldats de Napoléon

L’exploitation numérique d’un tiers des actes de décès des quelque 8800 Luxembourgeois qui ne sont pas revenus fait apparaître que les campagnes de France et d’Espagne furent les plus coûteuses en vies humaines. Mais le lourd bilan est dû aux mauvaises conditions sanitaires bien plus qu’aux combats (1799-1814)

   Dans les guerres du Consulat et du Premier Empire, les maladies ont tué davantage que les batailles. C’est en tout cas ce qui ressort des statistiques relatives aux causes de décès établies sur un échantillon de 3000 conscrits appelés sous les drapeaux à l’époque napoléonienne dans le département des Forêts (qui englobait les futurs grand-duché et province de Luxembourg ainsi que quelques territoires de l’actuelle Ostbelgien et de l’Eifel). Largement en tête viennent les fébrilités épidémiques (1917 morts), dont en premier lieu le typhus, suivies des pathologies intestinales (dysenterie) (711). Au troisième rang figurent les blessures mal traitées et infectées (259), entraînant souvent la gangrène. Par contre, ceux qui furent directement « tués par l’ennemi » ne sont que 36 (1,2 % de l’échantillon).

Continuer à lire … « Comment mouraient les soldats de Napoléon »

L’âge d’or de la guillotine française

La peine de mort a été plus appliquée sous le régime français que sous l’Ancien Régime ou ultérieurement. Dans le département de la Lys, on compte en moyenne une exécution tous les deux mois pendant cette période, en rupture avec l’abolitionnisme de fait qui prévalait dans nos régions depuis le milieu du XVIIIè siècle (1795-1815)

Le 20 octobre 1796, un an après l’annexion de l’espace belge à la France, la guillotine est mise en service pour la première fois sur la Grand-Place de Bruges, chef-lieu du département de la Lys. Les suppliciés sont deux Français, Jean Pigneron et Placide De Lattre, condamnés notamment pour avoir, avec le chef de bande fugitif François Salembier, tué une aubergiste enceinte, grièvement blessé deux autres personnes et volé argent, bijoux et autres biens, dans un établissement situé sur le chemin de Poperinge à Proven.

Le 28 septembre 1813, la dernière peine de mort sous le régime français dans la future province de Flandre-Occidentale est prononcée à l’encontre de Catherine Le Ducq, une bouchère d’Ypres âgée de 25 ans, convaincue d’avoir empoisonné sa sœur cadette à l’arsenic. Après le rejet de son pourvoi en cassation, elle adresse une demande de grâce à… Guillaume Ier, qui ne règne pas encore en Belgique mais y exerce le gouvernement général au nom des puissances alliées. Le recours est rejeté et l’exécution a lieu le 11 octobre 1815.

Entre ces deux dates, toujours dans le même département, 118 hommes et 12 femmes ont été livrés au bourreau par le tribunal criminel, la cour de justice criminelle (à partir de 1804) et la cour d’assises (à partir de 1811), auxquels s’est ajouté le tribunal criminel spécial (sans jury) mis sur pied par Napoléon. Onze de ces déchus du droit à la vie ont échappé au couperet pour des raisons diverses (un suicide, un décès inexpliqué, une évasion, une contumace, deux grâces impériales, cinq cassations). Des 119 autres résulte une moyenne de près de six exécutions par an – ou une par bimestre –, avec deux années particulièrement « fastes » , 1798 (23) et 1803 (27), parce que deux bandes importantes, celle de Salembier déjà citée et celle de Bakelandt, y sont venues grossir les chiffres. Au recensement manquent en revanche les peines prononcées contre des civils par des tribunaux militaires. Des sources mentionnent bien des cas en terres west-flandriennes, mais les archives qui permettraient de les comptabiliser font défaut.

Continuer à lire … « L’âge d’or de la guillotine française »

Liberté, égalité,… centralité

Sous le régime français ou sous son influence, les Pays-Bas du Sud et du Nord ont connu des évolutions largement convergentes, dans le sens d’un dessaisissement des pouvoirs locaux au profit de l’Etat central. Après Waterloo, cette tendance ne s’est pas réellement inversée (1795-1815)

Entre 1795 et 1815, nos ancêtres ont connu – ou pas – la promulgation de cinq constitutions différentes. Sauf pour la dernière, leur longévité moyenne atteignait donc à peine la durée d’un gouvernement de législature de nos jours. Mais un fil rouge, dont nous dépendons encore dans une large mesure, relie ces textes aussi éphémères dans les faits qu’ils paraissaient sacrés aux yeux de leurs auteurs: c’est celui de l’absorption, progressive ou brutale selon les moments, des pouvoirs locaux par le pouvoir central, déjà amorcée à la fin de l’Ancien Régime, particulièrement sous Joseph II.

Avec le Premier Empire, bien sûr, ce processus culmine. Tout s’y trouve comme manœuvré de haut en bas. Il n’est pas jusqu’à l’Eglise, la famille ou l’école qui ne soient conçues comme autant de rouages de l’administration. Voit-on pour autant l’histoire prendre un cours radicalement différent après Waterloo ? L’étau se desserre à certains égards, certes, mais l’Etat conserve, voire accroît, son emprise à travers les régimes qui se succèdent, en France comme partout où son influence a été déterminante.

Continuer à lire … « Liberté, égalité,… centralité »

Henri Conscience et la chouannerie belge

« De Boerenkryg » , le roman d’Henri Conscience (1853), relate de manière réaliste le soulèvement contre le régime français, pour la foi catholique et pour la patrie belge, qui mobilisa dans toutes les couches de la population. Mais la diffusion de cette œuvre, comme le souvenir des événements eux-mêmes, se sont largement estompés (1798)

PASBEL20180402
Le monument conçu par Ernest Dieltiens et érigé en 1898 à Herentals pour le centenaire de la guerre des Paysans. (Source: https://www.herentals.be/boerenkrijgmonument)

   La Belgique est française depuis trois ans et Overmere, près de Termonde, appartient au département de l’Escaut quand, le 12 octobre 1798, un huissier, accompagné de quelques soldats de l’armée occupante, vient saisir les biens d’un citoyen récalcitrant à l’impôt. L’affaire fait rapidement le tour du village. Les jeunes commencent à s’attrouper, montrant les dents ou les poings en direction des sbires qui n’en mènent pas large. Les cris de « Vive l’Empereur » (d’Autriche) sont lancés comme autant de défis. Les représentants de l’ordre n’insistent pas: ils s’en vont sous les huées.

   Partie remise, bien sûr. On envoie peu après des gendarmes pour réduire les bagarreurs. Mais les jongens ont ameuté les communes environnantes. La guerre des Paysans est déclenchée. Elle va s’étendre, à des degrés divers, dans toutes nos provinces et, malgré l’appellation réductrice, mobiliser dans toutes les couches sociales. La République mettra trois mois au moins pour venir, partiellement, à bout de l’incendie.

   Un demi-siècle s’est écoulé depuis ces événements quand Henri (ou Hendrik) Conscience en fait, en 1853, la matière d’un roman qui sera l’un de ses plus grands succès, tant en néerlandais qu’en traduction française.

Continuer à lire … « Henri Conscience et la chouannerie belge »

Crimes et souffrances des soldats belges sous Napoléon

De l’examen des lettres de « grognards » conservées aux Archives de l’Etat à Liège ressort une réalité bien éloignée des visions héroïques et romantiques de « l’odyssée de la Grande Armée » . Epuisés, mal nourris, mal soignés, les conscrits avouent aussi les atrocités commises contre des populations ennemies (1799-1815)

PASBEL20170211
Jean-François Renier avait été tué au combat, en 1813, quand sa mère veuve et sa fratrie reçurent sa lettre à Lierneux. (Source: Archives de l’Etat à Liège; n. 1, ill. 3)

   Des hommes contraints de guerroyer loin de chez eux, nombreux à tenter de se soustraire à cet impôt du sang, par ailleurs mal fagotés, mal nourris, sales, épuisés, misérablement soignés en cas de blessure ou de maladie…: l’un d’eux, Dominique Rutten, natif d’Aubel, confie en 1809 que s’il revenait au pays avec son habit militaire, tout le monde le prendrait pour un mendiant. La réalité que décrivent les lettres écrites à chaud par les « grognards » à leur famille ou à leurs proches est donc bien éloignée de la propagande triomphaliste du Bulletin de la Grande Armée ou, plus tard, de la vision romantique nourrie par les mémoires d’officiers, les chansons de Béranger ou les Marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Les historiens Bernard et René Wilkin, fils et père, ont épluché 1600 d’entre ces documents, pour la plupart inédits, conservés aux Archives de l’Etat à Liège qui en sont un des gisements les plus riches. Le fruit de leur travail a d’abord été publié en anglais, dans une collection britannique spécialisée, avant de faire l’objet d’une édition en français [1].

Continuer à lire … « Crimes et souffrances des soldats belges sous Napoléon »