Jeanne, Marguerite, Jacqueline: le pouvoir féminin au Moyen Age finissant

A la tête de plusieurs principautés, elles ont exercé leurs prérogatives de duchesse ou de comtesses, laissant toutefois la défense du territoire à leur époux. Pour être bien préparées, il valait mieux qu’elles soient considérées comme héritières présomptives dès leur naissance ou leur plus jeune âge (XIVè-XVè siècles)

   Jeanne, duchesse de Brabant et de Limbourg de 1355 à 1406. Marguerite de Male, comtesse de Bourgogne (Franche-Comté), Artois, Flandre, Rethel et Nevers, de 1384 à 1405 (également deux fois duchesse de Bourgogne). Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut, de Hollande, de Zélande et dame de Frise de 1417 à 1433. Ces trois noms le disent assez: le pouvoir féminin n’est pas un mythe dans nos anciennes principautés, ici saisies alors que s’amorce l’unification bourguignonne.

   On ne peut toutefois se dissimuler les difficultés parfois rencontrées par les filles pour succéder à leur père. En l’absence de règles fixes, il faut se référer aux coutumes. Endosser le rôle guerrier assigné au seigneur féodal ne va, en outre, pas de soi quand on appartient à l’autre moitié de l’humanité… C’est afin d’éclairer le champ des possibles et ses limites que Camille Rutsaert (Universités catholique de Louvain et Saint-Louis Bruxelles) s’est penchée sur la formation, le statut et le destin des trois figures précitées [1].

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Une révolution sexuelle au XVè siècle ?

Les sources littéraires témoignent de mœurs débridées dans les villes du duché de Brabant et du comté de Flandre jusqu’au siècle suivant. Un courant où la contrainte et le viol faisaient partie intégrante de l’art d’aimer… Mais l’époque n’était pas plus monolithique dans la licence que les temps antérieurs ne l’avaient été dans la rigueur (XIVè-XVIè siècles)

   Bon nombre de nos ancêtres, vers la fin du XVè siècle, seraient devenus de chauds lapins! Telle est, en tout cas, la conclusion à laquelle est parvenu Herman Pleij, professeur émérite de l’Université d’Amsterdam, après immersion dans les sources littéraires du temps [1]. Les villes prospères du duché de Brabant et du comté de Flandre auraient été les lieux d’ « une véritable révolution sexuelle » (p. 403), qui se serait ensuite propagée dans l’ensemble des anciens Pays-Bas, toutes classes confondues.

   Légion, de fait, sont les textes de rhétoriqueurs d’alors exaltant les plaisirs des sens. Aujourd’hui encore, certains de leurs ouvrages ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Mais des indices du phénomène se rencontrent bien avant le cadre chronologique pointé par le chercheur, spécialiste des lettres médiévales. Le premier exemple qu’il nous livre porte le titre bien innocent de d’Meisken metten sconen vlechtken (La fille aux jolies petites tresses). Cette chanson anonyme consacrée à un amour perdu, déjà célèbre vers 1400 dans les cercles nobles de Bruxelles et environs (manuscrit Van Hulthem), ne tarde cependant pas à évoquer d’autres attraits de la personne aimée. Y apparaissent des expressions connues pour renvoyer à des réalités osées, comme la présence d’une fossette dans le menton, avant que les choses soient dites plus crûment. L’œuvre a été conçue pour être chantée en communauté, de sorte que « les chanteurs accompagnants devaient bien s’identifier avec les frustrations sexuelles du poète faisant office de chanteur principal » , selon notre auteur (p. 14).

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L’horloge et le service à thé dans les foyers paysans

Dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, l’amélioration du rendement agricole, la proto-industrialisation et une orientation plus marquée vers le marché ont transformé les campagnes et permis une diversification des biens de consommation dans les Pays-Bas méridionaux (XVIIIè siècle)

Combien étaient-ils, parmi les ménages ruraux du comté de Flandre, à détenir au moins une horloge ou une montre et un service à thé ? Jusqu’au milieu du XVIIè siècle, aucun. A la fin du XVIIIè, 42 %. Nos ancêtres des champs ont été en outre, à cette même époque, un sur quatre à disposer de miroirs et de garnitures de cheminée, également inconnus ou presque auparavant. Témoin de cette montée des objets « superflus » dans les campagnes, Jacobus Hije, un membre des chambres de rhétorique (sociétés littéraires) à Gand, s’en était étonné: « Hoe sleghten ambachtsman, oock van konditi kleijn, / Het staet de vrouw wel aen, den theepot moet sijn » ( « Comment même d’un mauvais artisan, si peu honorable soit-il / La femme juge une théière nécessaire » ). Parallèlement, outre les commerces de détail, les médecins, les chirurgiens, les tailleurs, les apothicaires… se sont multipliés dans les contrées champêtres.

Sur ces premiers pas flamands et aussi brabançons vers la future société de consommation, quatre historiens des Universités d’Anvers, de Bruxelles (VUB) et de Gand ont fait le point des recherches, fondées notamment sur les inventaires après décès (qui supposent, il est vrai, des personnes possédant un minimum de biens) [1]. Sans surprise, le panorama fait ressortir une diffusion du « luxe » moins rapide dans les villages que dans les villes de même région (trois fois plus de miroirs à Alost), bien que les paysans manifestent une plus grande propension aux dépenses ostentatoires (bijoux, bagues…). Mais dans l’ensemble, soulignent les auteurs, les indicateurs convergent à faire de la seconde moitié du siècle dit des Lumières un temps de grande croissance économique dans les Pays-Bas méridionaux. Un constat qu’on peut sans peine étendre à la principauté de Liège, en phase d’expansion agricole à partir de 1706 [2]. Et la mentalité des acheteurs, dotés de davantage de moyens, peut à son tour exercer une influence sur la modernisation de l’offre et les bénéfices des marchands citadins. Continuer à lire … « L’horloge et le service à thé dans les foyers paysans »

Clercs, nobles, villes, franchises…: les représentants politiques sous les ducs de Brabant

Alors que le « parlement » du clergé, de la noblesse et du tiers état devient une puissance avec laquelle il faut compter, les hommes de condition y sont moins présents, les représentants des villes se révélant les plus actifs. La distance par rapport à Bruxelles joue aussi un rôle (XVè siècle)

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Jacob van Abcoude, seigneur de Gaasbeek, n’apparaît pas avec ce titre dans la liste de convocation de 1415. Son auteur savait qu’il n’était pas chevalier. (Source:  vitrail de la cathédrale d’Utrecht, dans Arnoldus Buchelius, « Monumenta passim in templis ac monasteriis Trajectinae urbis atque agri inventa » , manuscrit, 1630, Het Utrechts Archief, HUA [Bibliotheek], XXVII L 1, http://hdl.handle.net/1874/25842; n. 1, p. 25)

Si la fin du Moyen Age est marquée à bien des égards par une tendance lourde à la centralisation princière, on demeure à mille lieues des formes modernes d’absolutisme ou de pouvoir personnel. Le prince n’est pas seul: régulièrement, sa décision sur des matières de première importance est subordonnée à la concertation avec des représentants, sinon du « peuple » comme on l’entendrait de nos jours, du moins des ordres qui composent la société d’Ancien Régime. Dans le duché de Brabant, l’assemblée des « trois états » est dénommée comme telle à partir du XVè siècle, mais la pratique s’est développée dès le XIIIè, à l’initiative tantôt du souverain, tantôt des pouvoirs urbains.

A travers l’étude des listes de convocation à trois de ces réunions brabançonnes (1406, 1415 et 1489) et une aux Etats généraux (1464), listes par ailleurs publiées et assorties de l’identification des invités, Mario Damen, maître de conférences à l’Université d’Amsterdam, apporte de précieux éclairages sur la composition et le fonctionnement de cette instance en même temps qu’un véritable who’s who des personnes qui comptent alors politiquement [1]. Des listes identiques existent ailleurs en Europe. La plus ancienne qui nous soit parvenue est celle des villes de la province pontificale du Patrimoine de Saint-Pierre, datée de 1298. Les sources qui font l’objet du présent travail apparaissent cependant, par comparaison, comme particulièrement riches.

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Des chanoines entre trône et autel

La création d’un chapitre de 30 chanoines à ‘s-Hertogenbosch et l’extension ultérieure de sa sphère de compétence ont été voulues tant par le duc de Brabant que par l’évêque de Liège dont la ville dépendait. Mais les clercs ont dû faire face à la concurrence d’autres acteurs religieux (1366-1559)

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Une vue de ‘s-Hertogenbosch au XVIè siècle, où émerge l’église Saint-Jean. (Source: gravure sur bois publiée dans la « Descrittione di tutti i Paesi Bassi… » de Lodovico Guicciardini, Anvers, Guglielmo Silvio, 1567, entre les pp. 126 et 127,  https://amshistorica.unibo.it/185#; n. 1, p. 76)

Dans la sympathique complexité qui caractérise l’Ancien Régime, les géographies ecclésiastique et politique ne coïncident pas nécessairement. Ainsi est-ce l’évêque de Liège, Jean d’Arckel, qui fait procéder le 20 janvier 1366 à l’installation d’un chapitre (ou collège) de 30 chanoines à la paroisse Saint-Jean de ‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc). Celle-ci relève de son diocèse tout en appartenant au duché de Brabant. La mesure est congruente à la montée en puissance économique et administrative de la ville. Les élites locales n’y voient pas d’inconvénient, le pouvoir ducal encore moins et pour cause: tout indique qu’il est à l’origine de cette décision.

Le cas n’est nullement isolé. En terres liégeoises, les plus anciens groupements de clercs – dits « réguliers » quand ils vivent en communauté – sont attestés aux alentours de l’an 1000. Même s’il ne s’agit pas là de leur fonction première, ils constituent un marqueur de l’autorité spirituelle ou temporelle, fournissant à celle-ci un réservoir de célébrants, d’enseignants, de scribes administratifs…  Jan Sanders (Brabants Historisch Informatie Centrum)  vient de livrer une série d’éclairages portant notamment sur l’exportation de ce modèle dans l’actuel chef-lieu de la Province néerlandaise du Brabant-Septentrional [1]Le chapitre dont elle a été dotée, ainsi que les autres apparus bien auparavant dans le nord du diocèse, « ne sont pas à comparer avec les vieux chapitres de Tongres, de Maastricht ou de Liège, qui sont nés dans des lieux d’implantation épiscopaux » , observe l’auteur. L’émergence s’opère ici « auprès des détenteurs du pouvoir local » et au profit, plus tard, du duc qui trouvera dans ces institutions un point d’appui pour « l’accroissement de son pouvoir dans le bailliage » .

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De la richesse d’une métropole à celle de son droit

Le développement du droit privé à Anvers a accompagné son essor commercial dans la première moitié du XVIè siècle. Les échevins de la Métropole sont parvenus à donner aux normes une forme aboutie et unifiée. Ils ont aussi dû résister à l’extension des pouvoirs de l’Etat

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Vue d’Anvers depuis la « Tête de Flandre » en 1515. (Source: Archief Waanders Zwolle; « Histoire du Brabant du duché à nos jours » , Zwolle, Waanders, 2004, p. 245)

   Peu de villes ont connu un développement commercial aussi fulgurant qu’Anvers dans la première moitié du XVIè siècle. Profitant des assauts de la mer qui avaient ouvert un nouveau bras de l’Escaut, parmi d’autres circonstances favorables, ce qui n’était qu’un centre de moyenne importance devint la plaque tournante internationale des épices de l’Inde, du métal de la haute Allemagne, de la laine d’Ecosse, des draps d’Angleterre… Cet essor ne pouvait pas être sans incidences juridiques, ne serait-ce que par le rôle pionnier de la Métropole dans le développement de nouveaux outils financiers en matière d’escompte, de lettres de change, d’assurance maritime…

   Pour comprendre et mesurer cet enrichissement dans le domaine du droit privé, incontournable est la source que constitue le Gulden Boeck, ce recueil des normes anversoises au début du Siècle d’or, avec les changements dont témoignent ses rédactions successives. Dave De Ruysscher (Vrije Universiteit Brussel) a en établi le texte intégré de dix versions disponibles. D’autres documents, également édités par ses soins, reflètent les développements parallèles ou ultérieurs: des ordonnances de la Ville (v. 1510 – v. 1535), l’Antwerps rechtsboek (v. 1541 – v. 1545) et les textes préparatoires aux costuymen (1548) [1]. A l’influence des ordonnances précitées se sont ajoutées celles des turben, les déclarations et avis enregistrés d’échevins-juges, de procureurs, de greffiers, d’avocats… ou encore celle des placards, les publications d’autorités supérieures. Il fallait aussi compter avec les normes non écrites mais reconnues ainsi qu’avec l’émergence de nouvelles dispositions.

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Dans le bois quoi qu’il y a ? Des frontières intérieures du Brabant médiéval

Limites administratives et judiciaires en même temps que dispositifs de protection, les murs de terre érigés aux temps féodaux concrétisent le morcellement de l’autorité propre à l’époque. Ils ont aussi vu se développer une végétation spécifique, parfois disparue en partie faute d’entretien. Cas de Velder et des Geelders (Boxtel) (XIIIè-XIVè siècles)

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Le profil du rempart des Geelders mis au jour par les fouilles. (Source: n. 1, p. 59)

   Située dans le triangle formé par Eindhoven, Tilburg et Bois-le-Duc (‘s-Hertogenbosch), la Forêt verte (Groene Woud), domaine protégé depuis 2005, appartient à la province néerlandaise du Brabant septentrional. Comme son nom en fait mémoire, cette dernière fut partie intégrante du duché de Brabant jusqu’à la reconnaissance, en 1609, de son appartenance aux Provinces-Unies, séparées des Pays-Bas du Sud à la suite de l’insurrection calviniste. Aussi les murs de terre séculaires particulièrement remarquables, bien visibles par endroits dans cette zone naturelle, sont-ils riches d’enseignements pour notre histoire commune. A l’initiative de la Fondation Brabantse Bronnen (Sources brabançonnes), ceux des bois de Velder et des Geelders, dans la commune de Boxtel, ont fait l’objet de fouilles en tranchées [1].

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Une église brabançonne au rythme des croisades

La paroisse de Baisy (duché de Brabant) a connu maints changements de patronage, de l’abbaye Saint-Hubert d’Ardenne – pour financer l’expédition de Godefroi de Bouillon – à l’abbaye d’Aywières en passant brièvement par le futur ordre souverain de Malte (1084-1254)

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L’adieu de sainte Ide à ses fils Godefroi, Baudouin et Eustache partant pour la croisade, dans un manuscrit du « Chevalier au cygne » , chanson de geste du XIIè siècle. (Source: Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Français 786, http://visualiseur.bnf.fr/ConsulterElementNum?O=IFN-08100461&E=JPEG&Deb=57&Fin=57& Param=C)

   Même si l’encyclopédie Larousse en ligne n’en doute pas, la naissance de Godefroi de Bouillon à Baisy (aujourd’hui Baisy-Thy, commune de Genappe), affirmée fièrement par une stèle commémorative dans l’église locale, est plus que sujette à caution pour les médiévistes. Selon Philippe Annaert, à la suite de Georges Despy, il faut y voir « une construction délibérée des nouveaux ducs de Brabant pour s’offrir à peu de frais une illustre généalogie en intégrant à leur lignée à la fois le pseudo « roi » de Jérusalem et sa sainte mère, Ide de Boulogne » [1]. Au XIXè siècle, quand triomphait l’histoire nationaliste et romantique, la question fit l’objet de querelles homériques entre érudits français tenant pour Boulogne, dont les comtes détenaient les terres genappiennes en alleu, et leurs collègues belges soutenant mordicus une origine brabançonne. « N’ayant aucun goût pour les horions, il nous répugne de trancher en aussi périlleuse matière » , écrivait encore Pierre Aubé dans sa biographie de Godefroi publiée il y a un peu plus de trente ans [2]!

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