Quand des pans de bois témoignent du passé d’une habitation

Découverts lors de travaux de rénovation dans une maison ordinaire de Lorcé (Stoumont), ils ont été datés du XVIe siècle. La dendrochronologie et l’archéologie du bâti permettent de retracer l’évolution de la demeure, marquée notamment par le passage aux matériaux durs, l’ajout d’un étage, l’agrandissement et une autre répartition des pièces

   « Chaque maison a son histoire » , proclame le titre donné par Laurence Druez (Archives de l’Etat à Liège) à son guide des sources qui en permettent l’approche. Mais ces sources, bien souvent, se raréfient à mesure qu’on remonte le fil du temps. Pour autant que des éléments de la construction s’y prêtent, les méthodes de la dendrochronologie, visant à déterminer l’âge et les évolutions du bois, se révèlent ici d’un précieux secours. « C’est le cas, précise l’auteure, lorsque le bâtiment original en pans de bois a été englobé dans un bâtiment plus récent et plus grand en colombage ou en maçonnerie » [1].

   A côté d’habitations où cette disposition initiale s’offre toujours aux regards en existent d’autres dont l’apparence dissimule les traces de leur passé lointain. Ainsi en est-il allé pour cette demeure très ordinaire de la rue du Centre à Lorcé (Stoumont), à l’intérieur de laquelle des pans de bois ont été découverts lors de travaux de rénovation. Soumis à Emmanuel Delye et Patrick Hoffsummer (laboratoire de dendrochronologie, Université de Liège), ils ont été datés rien moins que de la première moitié du XVIe siècle [2]. A cette époque, le village, possession de l’abbaye de Stavelot, était doté d’une cour de justice et vivait avec ses dépendances (Chession et Targnon) sous un lieutenant-mayeur désigné par le chapitre abbatial. A côté de l’activité agricole largement dominante, un fourneau à fondre le fer y était établi depuis la fin du XVe siècle [3].

Continuer à lire … « Quand des pans de bois témoignent du passé d’une habitation »

Mosan, belge, wallon…: le Liégeois au fil des siècles

De Notger le « pater patriae » au frondeur Tchantchès, du rayonnement de l’art mosan à l’âme reflétée par les crayons de Walthéry, du culte de saint Lambert à l’hymne à la vie de Sandra Kim, Philippe George défend et illustre une identité principautaire sans complexe, qui n’ignore pas les dérives et les échecs

   En 2016, à la manière de Roland Barthes, Jean-Marie Klinkenberg et Laurent Demoulin livraient au public leurs Petites mythologies liégeoises [1], qui peuvent être décrites comme une entreprise de déconstruction jubilatoire des symboles tenus pour les plus évidents. Rien n’était épargné sous la plume des deux complices, l’un linguiste et sémioticien, professeur émérite de l’Université de Liège, et l’autre son élève devenu professeur associé de la même alma mater en langues et littératures romanes.

   En prenaient pour leur compte, les affirmations aussi courantes que péremptoires sur la convivialité liégeoise (qui existe comme partout, « mais mesurée » , comme partout aussi, p. 51), sur Liège « cité des musiciens » (alors qu’elle ne se souviendrait guère que de Grétry et qu’un Ciconia « est totalement inconnu » , p. 77), sur la francophilie liégeoise (« même pas un mythe, c’est un mensonge » , p. 76), sur le 15 août liégeois (« un grand piétonnier » … « où l’on boit » , p. 134), sur la cuisine liégeoise (« un discours » , p. 82), sur Liège où les filles seraient les plus belles (le Routard dixit, mais pareille assertion est « tout simplement absurde » , p. 69), et j’en passe… Il n’est pas jusqu’à Tchantchès, horresco referens, qui était révoqué pour ne ressembler en rien aux Liégeois d’aujourd’hui (pp. 63-66)!

   Même s’il n’a pas été conçu comme tel, c’est un véritable antidote à ces dénégations qui nous est aujourd’hui proposé avec la parution du Valeureux Liégeois de Philippe George, sous-titré A la recherche de l’identité liégeoise [2]. Contre tous les scepticismes que peut susciter la psychologie des peuples, l’auteur, médiéviste, Liégeois naturellement, conservateur honoraire du Trésor de la Cité ardente (cathédrale), affirme sans complexe une liégitude ancrée non aux mythes – qui ont du reste leur utilité – mais aux faits.

Continuer à lire … « Mosan, belge, wallon…: le Liégeois au fil des siècles »

Des siècles de vie avec les loups

Leur retour dans nos régions a stimulé la recherche historique les concernant. Parmi les questions posées, celle de savoir si les guerres les ont attirés et les ont rendus plus dangereux pour les humains. Les déclins démographiques ont créé des espaces qu’ils ne tardaient pas à occuper (1000-1900)

   Le 10 août dernier, le réseau du service public de Wallonie compétent en la matière confirmait la naissance de cinq nouveaux louveteaux dans les Hautes Fagnes. Leur père avait été repéré pour la première fois en 2018, l’année qui vit les biologistes et environnementalistes de Belgique et des Pays-Bas faire état de la présence des premières meutes dans les deux pays, après une absence de plus d’un siècle. Ce retour, les questions qu’il soulève et les avis en tous sens qu’il suscite n’ont pas manqué de booster la recherche historique sur le sujet. Comment, des siècles durant, avons-nous coexisté avec les loups ?

Continuer à lire … « Des siècles de vie avec les loups »

Mythes et réalités d’un best-seller: le « Congo » de David Van Reybrouck

Salué par un concert de louanges médiatiques et politiques, ce livre à succès n’a pas fini d’être contesté par les spécialistes. L’engagement qui sous-tend le récit ainsi que le mélange qu’il présente de fiction littéraire et de « non-fiction » historique sont particulièrement épinglés

   Quand, en automne 2012, parut Congo. Une histoire de David Van Reybrouck [1], deux ans après sa version originale en néerlandais (Congo. Een geschiedenis), quelque 250.000 exemplaires de l’ouvrage avaient déjà été vendus. Avant même cette sortie dans la langue de Voltaire, l’éditeur avait dû lancer une seconde édition. Récompensé de plusieurs prix prestigieux, le livre devait aussi bénéficier d’une ample diffusion hors frontières, traduit en anglais, allemand, norvégien, suédois, italien, espagnol. Il est vrai qu’il avait été d’emblée validé, certifié conforme au vrai et porté aux nues par les médias dominants…

Continuer à lire … « Mythes et réalités d’un best-seller: le « Congo » de David Van Reybrouck »

De l’édition des Lumières à celle des gouvernements

Au XVIIIè siècle, le « Journal encyclopédique » de Pierre Rousseau, lancé à Liège, sert à propager les « idées nouvelles ». Il est à l’origine de la maison Weissenbruch, spécialisée notamment dans les publications musicales et officielles, les publicités et les affiches. L’entreprise familiale aura la vie dure (XVIIIè-XXIè siècles)

   « Rien de plus singulier, de plus louable, que la fortune de M. Pierre Rousseau, de Toulouse, qui, d’auteur médiocre et méprisé à Paris, est devenu un manufacturier littéraire très-estimé et très-riche » . Tel est le point de vue rapporté par Louis Petit de Bachaumont en 1769 dans ses Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France [1]. Il faut y ajouter que la success-story ici évoquée s’est jouée pour l’essentiel à Liège et à Bouillon: un itinéraire à l’inverse, donc, de celui des artistes et écrivains qui allaient quérir gloire et gain dans la capitale française.

   C’est en Cité ardente que Pierre Rousseau (1716-1785) a lancé, en 1756, son Journal encyclopédique, organe de propagande pour les Lumières, promis à une large diffusion européenne. C’est en bord de Semois qu’il a créé, en 1768, la Société typographique de Bouillon. L’entreprise sera durable. Transmise à la belle-famille du fondateur après la mort de celui-ci, elle deviendra la Société d’édition et d’imprimerie Weissenbruch, établie à Bruxelles et active jusqu’à l’aube du XXIè siècle. De cette longue histoire témoigne aujourd’hui un important fonds d’archives, qui a fait l’objet en 2016 d’une donation à l’Université de Liège où sa numérisation a été mise en œuvre [2].

Continuer à lire … « De l’édition des Lumières à celle des gouvernements »

Flamand ou allemand ? Une autre question linguistique

L’usage d’appeler « Duitsch » ou « Duytsch » (allemand) la langue parlée dans le nord de l’espace belge, tout en la distinguant de celle d’outre-Rhin, a traversé les siècles jusqu’au XXème. Parfois en rude concurrence avec « Dietsch » , le mot a fini par céder la place à « Vlaemsch » sous l’influence francophone

   Si, au début du XIXè siècle, vous aviez demandé à des Flamands du Limbourg ou du Brabant quelle langue ils parlaient, qu’auraient-ils répondu ? Flamand ? Néerlandais ?… Ni l’un, ni l’autre. Selon Jan Frans Willems, qui la rapporte en 1837, la réponse aurait été: « Ik spreek Duitsch » , littéralement « Je parle allemand » . L’écrivain et philologue suggère toutefois qu’il faut comprendre « Dietsch » , soit « thiois » , entendu ici comme le terme désignant les parlers germaniques dans l’espace belgo-néerlandais. Avec des variantes phoniques, les dialectes continueront d’être désignés de la sorte par ceux qui les pratiquent jusqu’au milieu du XXè siècle.

   L’usage ambigu remonte loin.

Continuer à lire … « Flamand ou allemand ? Une autre question linguistique »

De la dame de Paddeschoot à l’écuyer d’industrie

Comment la révolte gantoise de 1379 contre Louis de Mâle, le soulèvement antiespagnol du XVIè siècle ou encore la révolution industrielle dès le XVIIIè ont pesé sur les destinées d’un ancien domaine seigneurial du pays de Waes (XIVè – XXIè siècles)

En 1217, un hameau se sépare de la commune de Waasmunster et reçoit le nom de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas), patron des commerçants notamment. La localité gagne en importance quand y est établi le siège politique et judiciaire (hoofdcollege) du pays de Waes, auquel la comtesse de Flandre Jeanne de Constantinople a accordé une charte en 1241. C’est dans cette contrée que se dessine la seigneurie de Paddeschoot dont une « ferme noble » , avec ses douves et ses remparts, demeure aujourd’hui le témoin. Témoin d’un passé aux multiples rebondissements, récemment retracés [1].

PASBEL20200608b
Ce qui demeure du château de Paddeschoot. (Source: photo de 1978, agentschap Onroerend Erfgoed, https://beeldbank.onroerenderfgoed.be/images/388561)

Continuer à lire … « De la dame de Paddeschoot à l’écuyer d’industrie »

De tous les peuples de la Gaule…

L’éloge de la bravoure des Belges par Jules César ainsi que ses descriptions des lieux et des peuples ont alimenté le patriotisme bien avant le XIXè siècle « nationalitaire » et romantique. Dès l’époque bourguignonne, des lettrés et des érudits ont cherché dans ce passé lointain l’unité précoce et la constance résistante de notre histoire

« La Garonne sépare les Celtes [Gaulois] des Aquitains, la Marne et la Seine les séparent des Belges. De tous ces peuples, les Belges sont les plus braves, parce qu’ils sont les plus éloignés de la culture et de la civilisation de la Province [romaine]… » L’historien Jean Lejeune, qui fut un de mes professeurs à l’Université de Liège, rapportait volontiers l’anecdote de l’écrivain Charles Bernard dont le professeur de latin, arrivé à ce passage célèbre des Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César [1], ajoutait: « Debout, Messieurs, saluez!  » [2]

Bien qu’elles ne soient ni scientifiquement, ni politiquement correctes, les filiations établies entre les Gaulois et les Français, les Germains et les Allemands, les Helvètes et les Suisses, les Romains et les Italiens… ou les Belges et les Belges ont la vie dure. Il est courant d’en rechercher l’origine dans l’historiographie romantique du XIXè siècle. Il faut en réalité remonter le courant beaucoup plus loin, ainsi que l’a établi un travail de fin d’études présenté à la Katholieke Universiteit Leuven [3]. Continuer à lire … « De tous les peuples de la Gaule… »

Une étrangeté, le « labyrinthe belge » ?

Au carrefour de l’européanité occidentale, la Belgique n’est pas un « petit pays » et elle n’est pas davantage « surréaliste » . Ses lignes de fracture et les questions qui se sont posées ou se posent à elle ne diffèrent pas substantiellement de celles qu’on rencontre sous d’autres cieux

PASBEL20200419a
En couverture, un fragment de « L’entrée du Christ à Bruxelles » de James Ensor (1888). Dans une ambiance de kermesse ou de carnaval des plus belges, le peintre a mis en scène les acteurs de la vie publique, représentant notamment la religion (« Vive le Christ, roi de Bruxelles! » ) et les mouvements sociaux (« Vive la sociale! » ). (Source: n. 1)

Prenons du recul et de la hauteur: c’est à quoi nous convie l’histoire de Belgique remise sur le métier, pour la cinquième fois, par trois historiens de l’Université de Gand (UGent), avec la collaboration d’un quatrième de l’Université flamande de Bruxelles (VUB) [1]. Adaptation pour le grand public de l’enseignement donné aux étudiants, l’ouvrage apporte un témoignage de plus de l’intérêt suscité par un sujet nullement soluble dans notre devenir institutionnel. Citons seulement, dans la langue de Gezelle, les livres publiés ces dernières années, exactement sous le même titre, par Marc Reynebeau [2] et Benno Barnard et Geert van Istendael [3].

Richement illustrée, avec un recours (sur)abondant aux caricatures, la synthèse ici examinée se cantonne au passé socio-économique et politique, laissant de côté les domaines proprement culturel, artistique ou scientifique. En volume rédactionnel, l’après-1830 se taille la part du lion, sans pour autant que la Belgique « avant la lettre » (en français dans le texte) soit négligée (deux chapitres sur onze, plus deux chapitres à cheval sur les périodes qui ont précédé et suivi l’indépendance). On nous permettra, au passage, d’épingler ce très… belge excès d’humilité qui fait parler de « dit kleine land » (pp. 11, 25) et même « dit kleine landje » (p. 14) ou encore d’un « lilliputterland » (pp. 224, 228), contre toute évidence. La Belgique n’est pas « ce petit pays » mais bien un pays moyen, plus peuplé que la Suède (11,2 contre 9,7 millions d’habitants) et d’une superficie dépassant largement celle d’Israël (32.545 contre 21.000 km²). Continuer à lire … « Une étrangeté, le « labyrinthe belge » ? »

Des passions américaines pour les émaux mosans

Nos chefs-d’oeuvres abondent aux Etats-Unis où les collectionneurs ont alimenté les fonds muséaux. Parti à la recherche de ces joyaux, Philippe George en a fait le fil rouge d’une histoire de l’art jusqu’en 1789 dans l’espace wallon actuel. L’orfèvrerie ainsi que les pierres et marbres constituent des traits saillants de cette aire culturelle

Quand, en visite à New York, vous pénétrez dans le bâtiment principal du Metropolitan Museum of Art (Met) et y gagnez les salles consacrées à la vieille Europe, c’en est fini du dépaysement éprouvé en parcourant la ville de toutes les démesures. Retour au bercail! Une partie de la section médiévale se trouve ici, une autre au musée des Cloîtres, dans le nord de Manhattan. Le premier noyau fut le don de quelque deux mille objets du richissime financier John Pierpont Morgan par son fils en 1917. L’année de l’entrée en guerre des Etats-Unis: comme s’il avait fallu souligner, à ce moment, nos racines communes… Aujourd’hui, la collection est une des plus exhaustives du monde.

PASBEL20200218a
Caricature de John Pierpont Morgan (1837-1913) faisant venir à lui des œuvres d’art du monde entier avec un aimant en forme de dollar. (Source: Pierpont Morgan Library, New York; n. 1, p. 27)

Continuer à lire … « Des passions américaines pour les émaux mosans »