La paroisse de Baisy (duché de Brabant) a connu maints changements de patronage, de l’abbaye Saint-Hubert d’Ardenne – pour financer l’expédition de Godefroi de Bouillon – à l’abbaye d’Aywières en passant brièvement par le futur ordre souverain de Malte (1084-1254)
Même si l’encyclopédie Larousse en ligne n’en doute pas, la naissance de Godefroi de Bouillon à Baisy (aujourd’hui Baisy-Thy, commune de Genappe), affirmée fièrement par une stèle commémorative dans l’église locale, est plus que sujette à caution pour les médiévistes. Selon Philippe Annaert, à la suite de Georges Despy, il faut y voir « une construction délibérée des nouveaux ducs de Brabant pour s’offrir à peu de frais une illustre généalogie en intégrant à leur lignée à la fois le pseudo « roi » de Jérusalem et sa sainte mère, Ide de Boulogne » [1]. Au XIXè siècle, quand triomphait l’histoire nationaliste et romantique, la question fit l’objet de querelles homériques entre érudits français tenant pour Boulogne, dont les comtes détenaient les terres genappiennes en alleu, et leurs collègues belges soutenant mordicus une origine brabançonne. « N’ayant aucun goût pour les horions, il nous répugne de trancher en aussi périlleuse matière » , écrivait encore Pierre Aubé dans sa biographie de Godefroi publiée il y a un peu plus de trente ans [2]!
Les fouilles menées sur ce site modavien de fortifications celtique et carolingienne ont révélé des occupations humaines s’étendant de quelque 4000 ans avant J-C jusqu’au Xè siècle après. Mais cette longue histoire comprend aussi presque mille ans de délaissement, après un abandon peut-être lié à la guerre des Gaules
Proposition de reconstitution des portes et fortifications celtiques (en haut) et carolingiennes (en bas) de Pont-de-Bonne (Modave). (Source: aSEHS studio, n. 1, première de couverture)
Nous sommes à Pont-de-Bonne, commune de Modave, à une encablure du château des comtes de Marchin. Les fortifications du rocher dit du Vieux Château y dominent le Hoyoux où se jette le ruisseau qui a donné son nom au hameau. Doté d’infrastructures touristiques rénovées, le site a aussi fait l’objet, depuis 2004, de fouilles du Cercle archéologique Hesbaye-Condroz (CAHC) qui en a publié les apports [1]. Mais fatalement, quand l’intérêt d’un lieu est aussi visible, on est rarement le premier servi…
C’est dès 1863 qu’un « promeneur archéologique » , Léon Caumartin, dans un article du Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, attira l’attention sur « l’emplacement et les restes d’un oppidium fortifié par la nature et par l’art » . Deux phases de construction avaient dû, selon lui, se succéder sur « ce plateau formidable qui commande toute la vallée du Hoyoux et était la clé du Condroz » . Il n’en fallait pas plus pour que des chercheurs, qualifiés ou non, viennent remuer la terre à la manière rudimentaire de l’époque. Nombre d’objets alors mis au jour ont alimenté les musées locaux et nationaux.
Faut-il orienter le cours d’histoire vers le présent et le fondre dans les sciences humaines et sociales ? On en débattait déjà au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour le Néerlandais Jan Romein et le Belge Leopold Flam, l’idéal d’objectivité devait céder la place à un enseignement au service des valeurs d’une nouvelle démocratie (1945-1965)
Le cours d’histoire doit-il être considéré comme formateur de l’opinion (démocratique) ou comme transmetteur d’un savoir ayant sa valeur en tant que tel ? Le dilemme n’est pas nouveau. (Source: Jean-Luc Flémal, IPM Group)
« Nous défendons avec force la présence d’un cours de formation historique à part entière, dans l’enseignement primaire et secondaire, et nous refusons fermement qu’il soit noyé dans un vaste cours de sciences humaines aux contours flous et incertains » . Ainsi s’exprimaient, dans une opinion publiée début 2017 par LaLibre Belgique, les professeurs membres de l’association Histoire et Enseignement, réagissant à un des scénarios envisagés pour les programmes en Communauté française de Belgique dans le cadre du « Pacte pour un enseignement d’excellence » [1]. Le projet ici dénoncé était déjà en partie réalité dans les établissements secondaires du réseau libre confessionnel. Depuis 1979, en effet, l’histoire comme telle, pendant les deux premières années (premier degré commun), y a été absorbée par l’étude du milieu « qui intègre les dimensions suivantes: l’homme, l’espace, le temps et des aspects socio-économiques » [2]. L’enseignement technique et professionnel a suivi des voies similaires. Mais l’idée même d’une telle intégration remonte plus loin encore…
Le dernier tiers du XIXè siècle a vu naître une expertise belge et une première institutionnalisation de la discipline, à la faveur du statut de neutralité du pays. Après la Première Guerre mondiale, Bruxelles a participé activement aux nouvelles instances internationales, non sans âpres débats entre pacifistes et réalistes (1869-1940)
Auguste Beernaert, Prix Nobel de la Paix en 1909. (Source: dessin d’Eugène Broerman, 1907, dans Henry Carton de Wiart, « Beernaert et son temps » , Bruxelles, La Renaissance du livre, 1945, p. 4)
Au cours de la décennie qui a précédé la Première Guerre mondiale, on a pu se faire une gloire en Belgique d’avoir totalisé pas moins de trois Prix Nobel de la paix. En 1904, celui-ci était octroyé à l’Institut de droit international (IDI), fondé à Gand en 1873. En 1909, l’homme d’Etat catholique et ancien chef du gouvernement Auguste Beernaert était couronné pour son action internationale. En 1913, à l’autre bout de l’échiquier politique, c’était au tour du socialiste Henri Marie La Fontaine de se voir accorder la même récompense en tant que cofondateur et président du Bureau international de la paix. Ultérieurement, seul le père Dominique Pire est venu, en 1958, ajouter un nom belge à la liste.
Ce brillant palmarès n’est certes pas étranger au statut de neutralité imposé avant 1914 à un pays qui, par ailleurs, ne se souvenait que trop des lourds tributs payés dans le passé pour avoir été un « champ de bataille de l’Europe » . Aussi, loin de se limiter à ces destinataires des lauriers du comité norvégien, notre contribution à la quête de relations mieux ordonnées entre nations a-t-elle pris, dès le dernier tiers du XIXè siècle, assez d’ampleur pour qu’on puisse parler d’ « un laboratoire belge du droit international » (public, sera-t-il précisé plus tard). Même avec de prudents guillemets et un point d’interrogation, Vincent Genin, assistant au département des sciences historiques de l’Université de Liège, a retenu cette formulation dans le titre de sa thèse de doctorat soutenue le 18 janvier 2017 [1]. Et les raisons ne manquaient pas, indépendamment de tout chauvinisme.
Si la défaite française n’a suscité aucun regret chez les contemporains, l’exploitation touristique et culturelle du mythe napoléonien a effacé ultérieurement le souvenir des souffrances endurées sous l’Empire. La vogue actuelle des reconstitutions poursuit sur la même veine (1815-2015)
Les armes venaient à peine de se taire sur la « morne plaine » , on venait à peine d’y ramasser les blessés et les morts que Waterloo attirait déjà ses premiers visiteurs. On les vit dès l’été 1815. Lord Byron et Walter Scott figuraient parmi eux. Un véritable circuit allait se mettre en place avec pour point de chute la ferme de la Belle-Alliance, promise à un succès inversement proportionnel à son rôle réel dans la bataille. Le premier hôtel, après la construction de la butte du Lion, fut ouvert par le sergent-major britannique Cotton, qui le dota d’un petit musée. Le succès du site n’allait plus jamais se démentir par la suite.
Reflet d’un temps que l’on veut révolu, celui des guerres qui déchirèrent notre continent, ce lieu de mémoire – et de tourisme fructueux – est aussi souvent apparu comme un lieu de célébration paradoxale du vaincu dont l’épopée fascinait les esprits romantiques. On y revit, en outre, le dernier grand affrontement avant l’ère des guerres industrielles. « En 1815, les machines ne dominent pas encore la guerre de bout en bout, explique Bruno Colson (Université de Namur) dans un recueil d’études publié à l’occasion du bicentenaire [1]. Le rôle de l’homme est toujours fondamental, celui du cheval aussi. Waterloo clôt une époque où la guerre n’est pas encore dépersonnalisée, où elle offre encore un spectacle digne d’être peint ou reconstitué » .
Edifiée au XVè siècle sur le modèle de l’église du Saint-Sépulcre par le père et l’oncle du notable Anselme Adornes, mort assassiné en Ecosse, elle aurait dû accueillir sa sculpture et celle de son épouse Marguerite dans le cadre de travaux de transformation. Une histoire politique troublée en a décidé autrement… (1427-1485)
L’église de Jérusalem, à l’entrée de la Peperstraat, est reconnaissable à la croix de Terre sainte qui surmonte sa tourelle octogonale. (Source: Toerisme Brugge / Jan D’Hondt)
« Capellam ad honorem et memoriam salutifere passionis domini nostri Jhesu Christi et illius sepulcri sancti sub vocabulo incliti nominis Jherusalem » ( « une chapelle en l’honneur et à la mémoire de la salvatrice Passion de notre Seigneur Jésus-Christ et de son Saint Sépulcre connue sous le glorieux vocable du nom de Jérusalem » ): ainsi était formulée la requête présentée au pape Martin V, le 12 mai 1427, en vue d’obtenir la consécration de la chapelle de Jérusalem à Bruges. Six siècles après, elle est toujours bien là, à l’entrée de l’actuelle Peperstraat, reconnaissable à la croix de Terre sainte qui surmonte sa tourelle octogonale. Jacques et Pierre II Adornes, descendants d’un commerçant génois, l’avaient fait édifier sur le modèle en réduction de l’église du Saint-Sépulcre. Ils en auraient, selon la tradition, pris les mesures eux-mêmes au cours d’un pèlerinage, mais les sources sont muettes à ce propos. Il est avéré, en revanche, que notre Venise du Nord s’identifiait alors volontiers à la Ville sainte, comme en témoigne le paysage urbain en arrière-plan de la fresque de la Crucifixion, à l’intérieur de l’oratoire auquel on accède depuis l’étage de l’édifice à deux niveaux.
Les sources publiées relatives à l’Entre-Sambre-et-Meuse témoignent de l’existence d’un droit et de libertés qu’on a souvent cru réservés aux villes. Florennes dispose d’une charte depuis 1189, les recours au souverain en cas de conflit avec le seigneur sont fréquemment fructueux et l’information, par voie orale, circule bien (XIIIè-XVIIIè siècles)
Une idée encore répandue veut que les villes médiévales aient eu l’exclusivité des concessions mutuelles de pouvoirs au prince et de libertés aux habitants, dont les chartes constituent la forme la plus accomplie. Les campagnes, dans cette perspective, auraient été une sorte de Far West, certes non sans foi, mais certainement sans loi autre que celle du plus fort. La vision d’un seigneur qui n’en fait qu’à sa guise face à des paysans taillables et corvéables à merci n’a pas fini d’inspirer maintes productions littéraires, cinématographiques, télévisuelles… Et pourtant, elle a depuis longtemps déserté les travaux des historiens.
Parmi d’autres, une vaste édition de sources, qui vient d’arriver à son terme, témoigne d’une réalité autrement policée que ne le donnent à penser les représentations courantes. Il s’agit des actes, accords, sentences, règlements, ordonnances… émis dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, alors largement partie intégrante de la principauté de Liège, entre le XIIIè et le XVIIIè siècle [1]. Une durée d’autant plus longue que bon nombre de documents parmi les plus anciens relaient une tradition orale encore plus antérieure.
Le panneau d’ « Anne et Marie » attribué à Memling ou à ses proches et conservé au musée d’Enschede est-il un faux réalisé au XXè siècle par l’imitateur Jef Van der Veken ? Une étude menée avec des techniques de pointe permet au contraire de situer au début du XVIè siècle cette œuvre qui pourrait être bien due à l’atelier Memling (1500-1550)
Le triptyque reconstitué de la crucifixion de Jan Crabbe et en dessous le volet « Anne et Marie » , où Marie a pris la place de la mère de Crabbe. (Sources: Web Gallery of Art WGA 14.810 et Rijksmuseum Twenthe)
On ne prête qu’aux riches. En témoigne, la liste des faux attribués à Jef Van der Veken, surtout connu pour sa copie du panneau dit des « Juges intègres » qui a remplacé l’original volé dans le polyptyque de L’Agneau mystique de (ou des) Van Eyck, conservé à la cathédrale de Gand. Jean-Luc Pypaert, traqueur inlassable des imitations du peintre et restaurateur anversois (1872-1964) dont il a publié le catalogue, a-t-il indûment ajouté une pièce à son tableau de chasse ? Il s’agit d’ « Anne et Marie » , un petit panneau attribué à Hans Memling (v.1433-1494), son atelier ou son entourage, conservé au Musée national de la Twente à Enschede, dans la province néerlandaise de l’Overijssel. C’est peu dire qu’on y a été piqué au vif par la contestation du « chercheur indépendant » – ainsi qu’il se présente –, parue dans un ouvrage collectif édité par l’Institut royal belge du patrimoine artistique (Irpa) et reprise ultérieurement parmi des compléments au catalogue précité.
Selon les archives des Colonies de bienfaisance de l’Etat, le concept de vagabondage était des plus flexibles, pouvant s’appliquer à des individus sédentaires mais jugés perturbateurs. Certains internés, en quête d’un refuge à tout prix, étaient eux-mêmes demandeurs (1870-1930)
L’entrée principale de la Colonie de Merksplas au début du XXè siècle et aujourd’hui. (Sources: carte postale, collection privée Rik Vercammen, n. 1, p. 57; Gevangenismuseum Merksplas, http://www.gevangenismuseum.be/)
Les moines mendiants qui sillonnèrent les routes d’Europe au XIIIè siècle n’auraient pas joui de la même liberté dans les Etats modernes! Fruit atténué d’une stigmatisation et d’une répression croissantes à partir du XVIè siècle – et dont le Code Napoléon avait largement hérité –, la loi belge de 1866 envoyait, sans coup férir, les sans domicile et sans subsistance ayant fait l’objet d’une condamnation dans des Colonies de bienfaisance de l’Etat. Le complexe de Merksplas, qu’on peut visiter aujourd’hui, fut l’une d’elles. La durée minimum du séjour, portée à deux ans en 1891, permit d’avoir moins de sujets à poursuivre mais fit gonfler le nombre des colons du royaume jusqu’à plus de 5000. Le durcissement des peines frappa surtout ceux qui étaient censés avoir choisi librement leur état marginal.
A l’instar de l’œuvre du jurisconsulte romain, ses « Observationes… » furent longtemps décisives pour fixer le droit liégeois. Dans son travail comparant les normes entre elles ou avec d’autres sources pas seulement principautaires, l’avocat français Henri Daudiguier vit rien moins que « le droit universel » (1652-1669, 1678)
Charles de Méan d’après une gravure de Michel Natalis, reproduite au début du premier tome des « Observationes… »
Un usage liégeois de jadis, datant au moins du début du XVIIIè siècle, voulait qu’à l’entrée en fonction des magistrats, on leur distribue les Observationes et res judicatae ad jus civile Leodiensium, Romanorum, aliarumque gentium, canonicum et feudale[1] de Charles de Méan. C’est assez dire l’importance de cet ouvrage monumental, en cinq tomes plus un posthume pour sa première édition (1652-1669, 1678), dans l’histoire du droit en principauté de Liège et aussi bien au-delà. Mais de la postérité de l’auteur, le cours s’est interrompu en notre temps. Benoît Lagasse (Universités de Liège et de Gand, FNRS), qui a fait de ce grand juriste le sujet de sa thèse de doctorat, s’applique à le tirer de l’oubli [2].