Si les officiers en charge notamment de la perception des impôts devaient fréquemment leur fonction à de bonnes relations en haut lieu, ce poste a pu être, pour d’autres, un puissant ascenseur social. Pour être receveur princier, par contre, il fallait faire partie des hommes de confiance des ducs de Bourgogne (XIVè-XVIè siècles)
Entre 1295 et 1500, vingt hommes ayant exercé la fonction de clerc de la Ville de Mons ont été recensés. Il ne s’agit pas ici d’ecclésiastiques mais bien d’officiers à gages, en charge notamment des comptes de la massarderie, ainsi qu’on appelle alors la perception des impôts dans le comté de Hainaut – aujourd’hui partagé entre la province belge du même nom et le département français du Nord. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ?… Les sources n’abondent pas pour reconstituer les itinéraires de ces personnages majeurs. Il faut les appréhender à travers les comptes eux-mêmes et les registres conservés aux Archives de la capitale hennuyère [1].
Les défenseurs du Souverain soulignent l’importance des données psychologiques aux origines de la crise royale. La rupture avec le gouvernement, l’entrevue avec Hitler, le remariage… ont été matières à griefs mais le Roi, en restant sur le territoire national, a fait barrage à l’instauration d’un régime dirigée par les SS (1939-1951)
Revue des troupes dans les années 1930. (Source: général Robert Close, « Léopold III, les « non-dits » » , Bruxelles, Ligne claire, 2001, hors-texte)
Même avec le recul du temps, Léopold III demeure un sujet touchy. Qu’on le veuille ou non, le réflexe persiste, quand sont évoqués des faits qui le concernent, de les classer à sa charge ou à sa décharge, même s’il n’en put mais. Les questions posées ne changent pas et survivent aux réponses fournies de longue date mais trop nuancées pour séduire le café du commerce. Elever le débat est l’ambition du Cercle Léopold III, créé en 2002 sous le haut patronage de la princesse Maria Esmeralda. Oui, on y défend l’honneur d’un Roi, mais en recherchant sincèrement la vérité, même si elle doit conduire à mettre des bémols au bilan du règne.
La démarche a débouché sur un ouvrage collectif [1], qui ne risquait certes pas d’être un nouveau pamphlet politicien, mais se trouve tout aussi éloigné des hagiographies trop ferventes. L’intention une fois saluée, regrettons qu’elle soit desservie par quelques scories, comme l’emploi de l’expression incongrue de « Rois de Belgique » (pp. 23, 32) ou l’ample recours au « journal des événements » (p. 34) du général Raoul Van Overstraeten, aide de camp puis conseiller militaire, sans préciser que ce prétendu journal ne fut pas écrit au jour le jour mais largement reconstruit ultérieurement [2].
L’ensemble s’articule aux interrogations les plus récurrentes adressées à l’association au cours des années 2012 à 2014. Sans surprise, c’est le remariage qui est arrivé en tête de liste (30 %), suivi de l’attitude à l’égard des questions humanitaires et du sort des Juifs (15 %), puis – à égalité (10 %) – de la politique d’indépendance et de neutralité, de l’entrevue de Berchtesgaden avec Hitler, de la déportation du Roi à la fin de la guerre (parfois présentée comme volontaire) et de l’abdication (parfois perçue comme une faiblesse). En queue (5 %) viennent la décision de capituler le 28 mai 1940, le choix de rester en Belgique plutôt que de suivre les ministres et les activités du « Roi prisonnier » sous l’occupation. Sur chacun de ces points sont proposés des dossiers bien étayés par l’historiographie et divers témoignages.
Les sources publiées relatives à l’Entre-Sambre-et-Meuse témoignent de l’existence d’un droit et de libertés qu’on a souvent cru réservés aux villes. Florennes dispose d’une charte depuis 1189, les recours au souverain en cas de conflit avec le seigneur sont fréquemment fructueux et l’information, par voie orale, circule bien (XIIIè-XVIIIè siècles)
Une idée encore répandue veut que les villes médiévales aient eu l’exclusivité des concessions mutuelles de pouvoirs au prince et de libertés aux habitants, dont les chartes constituent la forme la plus accomplie. Les campagnes, dans cette perspective, auraient été une sorte de Far West, certes non sans foi, mais certainement sans loi autre que celle du plus fort. La vision d’un seigneur qui n’en fait qu’à sa guise face à des paysans taillables et corvéables à merci n’a pas fini d’inspirer maintes productions littéraires, cinématographiques, télévisuelles… Et pourtant, elle a depuis longtemps déserté les travaux des historiens.
Parmi d’autres, une vaste édition de sources, qui vient d’arriver à son terme, témoigne d’une réalité autrement policée que ne le donnent à penser les représentations courantes. Il s’agit des actes, accords, sentences, règlements, ordonnances… émis dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, alors largement partie intégrante de la principauté de Liège, entre le XIIIè et le XVIIIè siècle [1]. Une durée d’autant plus longue que bon nombre de documents parmi les plus anciens relaient une tradition orale encore plus antérieure.
A l’instar de l’œuvre du jurisconsulte romain, ses « Observationes… » furent longtemps décisives pour fixer le droit liégeois. Dans son travail comparant les normes entre elles ou avec d’autres sources pas seulement principautaires, l’avocat français Henri Daudiguier vit rien moins que « le droit universel » (1652-1669, 1678)
Charles de Méan d’après une gravure de Michel Natalis, reproduite au début du premier tome des « Observationes… »
Un usage liégeois de jadis, datant au moins du début du XVIIIè siècle, voulait qu’à l’entrée en fonction des magistrats, on leur distribue les Observationes et res judicatae ad jus civile Leodiensium, Romanorum, aliarumque gentium, canonicum et feudale[1] de Charles de Méan. C’est assez dire l’importance de cet ouvrage monumental, en cinq tomes plus un posthume pour sa première édition (1652-1669, 1678), dans l’histoire du droit en principauté de Liège et aussi bien au-delà. Mais de la postérité de l’auteur, le cours s’est interrompu en notre temps. Benoît Lagasse (Universités de Liège et de Gand, FNRS), qui a fait de ce grand juriste le sujet de sa thèse de doctorat, s’applique à le tirer de l’oubli [2].
La formation de nouvelles villes, qui connut un pic à la fin du Moyen Age, n’eut rien de spontané ni d’anarchique. Entre les plans des cités des temps modernes et ceux des siècles antérieurs apparaît une grande continuité. Des privilèges fiscaux, économiques et juridiques étaient octroyés pour attirer les habitants (XIIIè-XIVè siècles)
Nombreuses sont les villes qui ont fleuri dans nos régions, comme un peu partout en Europe occidentale, aux XIIIè et XIVè siècles. On peut même parler d’un pic dans la formation de ce qui constitue aujourd’hui encore, pour une large part, notre structure de peuplement. Les autorités locales, féodales, y voyaient un moyen d’accroître leur puissance et leurs revenus. Mais ce mouvement fut tout sauf spontané. L’image qui a longtemps prévalu d’une croissance quasi anarchique, sans pensée préalable, irrégulière dans ses formes, ne tient plus la route au regard de la recherche historique contemporaine. « Il est clair qu’il y a eu là beaucoup de planification » , observe le spécialiste néerlandais du patrimoine Wim Boerefijn, qui a consacré sa thèse de doctorat à cette urbanisation du temps des cathédrales [1].
L’opinion erronée, écrit-il, « est en grande partie basée sur l’idée courante selon laquelle le Moyen Age fut obscur, irrationnel et chaotique » , en contraste total avec la Renaissance soudainement « claire, rationnelle et ordonnée » , avec des cités dotées d’une structure bien régulière.
De milieux populaires, elles furent présentes sur le terrain pour approvisionner et soutenir les volontaires pendant les journées de septembre à Bruxelles. Au sein de la bourgeoisie et de la noblesse, leur influence a pu s’exercer sur leurs proches ou dans leur cercle. Rejet des violences et défense de la foi sont chez elles des thèmes récurrents (1830)
La Révolution de 1830 par Adèle Kindt (1804-1884). (Source: musée de la Ville de Bruxelles; n. 1, cover)
« Pourquoi pas ? » Ce fut notre première réaction quand Soraya Belghazi nous fit part de l’essai qu’elle a consacré aux femmes dans la Révolution de 1830. En même temps, nous ne pouvions nous empêcher de craindre pour elle qu’en voulant combler un vide historiographique évident, elle n’ait guère pu déboucher que sur un constat de carence. Si la Révolution brabançonne de 1789 a fait passer quelques noms féminins à la postérité, il n’en est plus allé de même quarante ans après. Effet du Code Napoléon, venu entre-temps réserver strictement la scène politique aux hommes ?
La chercheuse ne s’est pas découragée et ce fut avec raison. Elle nous offre un bel ouvrage [1]. Diplômée en sciences politiques à Paris, vivant à Bruxelles où elle travaille pour une association professionnelle dans le secteur privé, Soraya Belghazi s’est passionnée pour notre histoire dont elle a acquis une parfaite maîtrise. Nous n’y avons pas trouvé de ces petites fautes typiques par lesquelles on reconnaît tout de suite une plume française! Le contingent des archives écrites sur lesquelles elle se fonde aurait pu être plus étoffé (documents, mémoires et correspondances publiés ou numérisés, deux journaux bruxellois et deux gantois…), mais le sujet est au moins défriché. L’étude se signale en outre par une exploitation originale et fructueuse des gravures et caricatures d’époque.
L’apparition de nouveaux corps sociaux dans les villes, les luttes fiscales, le renversement de la conjoncture, les problèmes monétaires… n’ont pas peu pesé dans les affrontements auxquels elle a mis fin entre le prince-évêque de Liège et les autres pouvoirs. Et c’est une famine qui a disposé les adversaires à négocier (XIVè siècle)
Le 18 juin 1316, après des années d’affrontements, le prince-évêque de Liège Adolphe de la Marck et les représentants des corps constitués (chanoines, grands chevaliers, villes importantes appelées « bonnes villes » ) s’entendaient pour mettre fin aux hostilités dans le village de Fexhe-le-Voué, aujourd’hui Fexhe-le-Haut-Clocher. S’il faut mettre bien des nuances à une certaine vision romantique prompte à exagérer la portée de ce compromis établissant un équilibre entre les pouvoirs, il n’en a pas moins fourni une sorte de base « constitutionnelle » à ce que l’historien Jean Lejeune appellera la « démocratie corporative » liégeoise. En substance, la Paix de Fexhe imposait au prince le respect des lois du pays, proscrivait tout arbitraire dans l’exercice de la justice et subordonnait toute réforme législative à l’accord unanime du « sens » du pays (le prince et les trois états cités en début d’article).
Mais d’où provenait la crise politique qui a trouvé ainsi son dénouement ? Comme c’est bien souvent le cas, on se trouve en présence d’un enchevêtrement de causes qui ne se limitent pas à la dialectique des « petits » et des « grands » . Y interviennent des rivalités entre élites, des jeux de partis, des conflits entre métiers ou en leur sein… Le contexte économique a également joué un rôle majeur. Nul besoin d’être un historien marxiste pour reconnaître l’importance de ce facteur! « Il ne faut pas attendre des causes économiques toutes les explications de l’histoire. Mais il ne faut pas ignorer les causes matérielles qui façonnent les rapports de force au pays de Liège » , a souligné le médiéviste Alexis Wilkin (Université libre de Bruxelles) dans son intervention au colloque réuni à Liège, les 15 et 16 septembre 2016, sur la Paix de Fexhe et les révoltes similaires de l’époque [1].
Figure majeure dans les constructions historiques nationales au XIXè siècle, l’Empereur d’Occident est devenu un « père de l’Europe » dans la vulgarisation et la littérature de notre temps. L’inscription territoriale problématique du conquérant franc s’y prête au mieux en permettant de le situer entre germanité et romanité (768-814)
C’est finalement au sein de l’Euregio Meuse-Rhin que la référence à Charlemagne garde aujourd’hui sa plus grande pertinence. (Source: n. 1, cover)
Ce n’est pas sans raison qu’une statue équestre de Charlemagne se dresse à Liège, au boulevard d’Avroy, comme à Paris, sur le parvis de Notre-Dame, pour ne citer que ces lieux emblématiques. A des titres divers, le roi franc devenu empereur s’est vu ou se voit encore octroyer un rôle de pionnier, voire de père, de la Belgique ou de la France mais aussi de l’Allemagne, de l’Europe, de l’Occident chrétien… « Un padre dell’Europa » est le sous-titre de la biographie qu’Alessandro Barbero lui a consacrée en 2000 (trad. franç. Payot, 2004). Devenue moins fréquente aujourd’hui, son instrumentalisation dans les constructions historiques nationales a fait florès au XIXè siècle. Une série d’études, réalisées à l’occasion du 1200è anniversaire de la mort de cette figure tutélaire, en témoigne pour la Belgique[1].
Au même titre que Godefroi de Bouillon, Philippe le Bon ou Charles Quint, le fils de Pépin le Bref prend place dans la galerie de nos grands ancêtres. Un écueil toutefois: sa naissance en terres aujourd’hui belges n’est nullement attestée (et même improbable pour les médiévistes actuels). Catherine Lanneau (Université de Liège), qui a centré ses recherches sur les ouvrages de vulgarisation, épingle notamment la manière dont Théodore Juste, qui façonna notre « roman national » après 1830, bottait en touche sur le sujet. Tout en admettant avec Eginhard qu’on ne peut situer le lieu où Charlemagne vit le jour, il ajoutait que « les traditions populaires suppléent heureusement au silence des chroniqueurs » et permettent de le rattacher « au pays qui avait été le berceau de sa famille » , celui des Pépin de Herstal, des Charles Martel et autres Pépin le Bref. Ferdinand Henaux, tenant de l’histoire romantique, allait plus loin encore en faisant naître Charlemagne au palais de Liège, mais il s’attira des critiques pour avoir poussé le bouchon un peu trop loin!
Le recours à cet instrument politique était déjà familier au temps des cathédrales. Il a été florissant dans le comté de Flandre. La justice fiscale, les abus des autorités locales et le maintien des espaces publics constituent les thèmes les plus récurrents. L’attachement à la commune originelle s’y exprime aussi (fin XIIIè – début XIVè siècles)
Pour la mise par écrit, on peut faire appel à un clerc, notaire ou autre érudit local. (Source: miniaturiste inconnu, Bibliothèque royale de Belgique, MS 9278, fol. 10r, https://fr.wikipedia.org/wiki/Copiste)
« Pardonnez-moi, Prince, si je / Suis foutrement moyenâgeux » , chantait Brassens. Il aurait pu le dire aussi de ces écrits pour lesquels notre signature est fréquemment sollicitée et par lesquels une plainte ou une demande est adressée à telle ou telle autorité. Rien de plus ordinaire de nos jours que le recours à la pétition comme mode d’action politique. La Constitution belge (article 28) comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 44) en font un droit qu’organisent notamment les règlements de nos diverses assemblées parlementaires. Mais combien savent que cet instrument si familier l’était déjà au temps des cathédrales ?…
Les historiens ont mis en évidence depuis belle lurette les formes et procédures par lesquelles, individuellement ou collectivement, oralement ou scripturalement, des requêtes pouvaient être transmises au prince ou à d’autres détenteurs de pouvoir dans l’Europe médiévale. Jan Dumolyn (Université de Gand) a ainsi analysé le contenu des écrits pétitionnaires particulièrement florissants dans le comté de Flandre à la fin du XIIIè siècle [1]. Sans doute leur croissance alors significative n’est-elle pas étrangère à la récession économique, particulièrement sensible en milieu urbain, qui caractérise cette période où s’affirment en outre les corporations d’artisans désireuses de participer au pouvoir communal.